Entre pertes humaines et matérielles, les tremblements de terre laissent des traces difficiles à oublier. Mais pourquoi la science a-t-elle tant de mal à les prédire ? Sont-ils vraiment insaisissables ?
(article co-écrit avec Nella Chebbah)
En janvier dernier, une série de séismes de magnitude 5,4 ont frappé le cœur de l’Italie. L’épicentre se trouvait près de la ville d’Amatrice qui, en août 2016, avait vécu l’une des secousses les plus meurtrières que l’Italie n’ait jamais connu (magnitude 6,0 ; bilan humain : près de 300 morts).
L’Italie, mais aussi Haïti ou Fukushima : les séismes meurtriers jalonnent notre Histoire. Anticiper ces catastrophes naturelles permettrait de limiter les dégâts humains et matériels. Mais prédire les tremblements de terre n’est pas uniquement un enjeu majeur pour nos sociétés : c’est aussi « le Saint Graal des sismologues » selon John Robert Scholz, doctorant à l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPG). « C’est toujours un sujet de recherche. C’est un objectif sinon impossible, du moins très difficile », tempère, lucide, le physicien adjoint à l’IPG Martin Vallée.
Secousses quantiques
Les tremblements de terre ont un côté presque quantique : impossible de savoir où ni quand ils vont frapper. Imaginons que vous souhaitiez déplacer une armoire normande en la poussant de toutes vos forces. Le meuble bougera dès lors que votre poussée excédera la friction entre ses pieds et le sol. « Mais l’instant précis où l’armoire se déplacera, c’est-à-dire le moment du séisme, est difficile à prévoir », explique Martin Vallée. N’en déplaise aux autorités italiennes qui ont poursuivi des scientifiques suite au séisme de L’Aquila, en 2009. La secousse de magnitude 6,3 avait causé 308 morts et délogé 300 000 personnes. En 2012, la justice italienne avait condamné en première instance sept scientifiques à six ans de prison ferme pour avoir sous-estimé les risques (ils ont néanmoins été acquittés en appel deux ans plus tard).
D’une magnitude 6,3, le séisme de l’Aquila (2009) est l’un des plus dévastateurs que l’Italie ait connu. (© USGS/Wikimedia Commons)La communauté scientifique s’est indignée de la première décision de justice. Certes, une activité sismique inquiétante avait précédé la catastrophe ; signe parfois précurseur d’un grand tremblement de terre. Les spécialistes auraient-ils dû donner l’alerte et faire évacuer le périmètre ? « La région était très grande, en déplaçant la population ils risquaient même de les rapprocher de la zone où le séisme s’est finalement produit », analyse Martin Vallée.
Outre le travail des scientifiques, la construction des édifices a aussi été remise en cause : les règles parasismiques, alors en vigueur en Italie, n’avaient pas été respectées. Elles dépendent à la fois de la sismicité de la zone considérée et du type de bâtiment à construire. « On ne s’autorise pas une même norme de risque pour une centrale nucléaire ou pour un bâtiment individuel », souligne Martin Vallée. Le but de ces règles est de limiter les dégâts matériels et humains, en réduisant le risque d’effondrement des structures.
Identifier les signes précurseurs
L’aléa sismique, c’est-à-dire le hasard propre aux séismes, rend ces derniers difficiles à appréhender. Mais il en faut plus pour décourager les géologues. Ils multiplient les sismomètres et les observations satellitaires pour tenter d’identifier les signes précurseurs des secousses. A l’Ecole Normale Supérieure, des scientifiques génèrent même des séismes en laboratoire pour tenter de caractériser leur cyclicité. Car la Terre a malgré tout le bon goût de trembler à peu près en rythme. Mais un rythme chaotique : « s’il était périodique, ce serait trop facile ! sourit Martin Vallée. Disons plutôt que le processus aléatoire va respecter un temps de retour moyen ». En pratique, « ce n’est pas parce qu’il s’est produit un séisme à un temps donné et qu’on a estimé la périodicité à 100 ans, que le séisme arrivera 100 ans plus tard… » Mais la terre a des chances de trembler dans le siècle qui suit.
« À chaque fois, c’est un peu un pari », note le physicien. En Californie, des scientifiques ont bardé le sol de capteurs en attendant un nouveau séisme significatif, « qui offrait la probabilité d’installer du matériel au bon endroit et au bon moment ». La secousse était attendue pour le début des années 1980. « C’est ce qu’indiquait la récurrence des séismes depuis le XIXème siècle. Elle s’est effectivement produite, mais en 2004 ! »
« Un phénomène continu »
Les secousses telluriques sont décidément insaisissables… Ou bien ne serait-ce qu’une question de point de vue ? C’est du moins l’opinion d’Hubert Halloin, chercheur au laboratoire AstroParticule et Cosmologie de l’Université Paris Diderot : « Les séismes ont l’air d’arriver à des instants aléatoires, mais à l’échelle des temps géologiques, c’est un phénomène continu ! »
IGOSat est un nanosatellite conçu par des étudiants de l’Université Paris-Diderot. (© IGOSat/IN2P3)Ce chercheur est physicien référent du projet IGOSat, un nanosatellite étudiant qui s’envolera en 2018. Gros comme une boîte à chaussures, l’engin embarquera un GPS, une flopée de détecteurs dernier cri et l’espoir de s’approcher un peu plus du Saint Graal. Posté dans l’ionosphère, à la frontière entre l’atmosphère et le vide spatial, IGOSat aura les yeux rivés sur la Terre. Il mesurera de minuscules particules présentes naturellement à ces hauteurs : les électrons et les rayons gamma. L’océan de ces particules oscille en fonction des jours, du soleil… mais aussi de l’activité sismique. « Un tremblement de terre ou un tsunami provoque une onde de gravité qui se propage dans l’atmosphère et dont l’effet s’amplifie à mesure qu’elle gagne en altitude », explique Hubert Halloin. A la lisière de l’espace, le séisme génère des vagues dans l’océan d’électrons de l’ionosphère – sous le regard attentif d’IGOSat. Le satellite mesurera les fluctuations de la densité des particules ainsi que leur énergie.
Un espoir dans l’espace ?
« Ce dispositif serait complémentaire des mesures au sol », note le chercheur. Une flottille de petits satellites, quadrillant la Terre depuis l’espace, pourrait ainsi fournir une couverture spatiale globale de la planète. Pour mieux décrire les séismes, les localiser, suivre leur évolution… et, peut-être, les prédire ? Selon Hubert Halloin, « il semblerait que des signaux ionosphériques devancent le tremblement de terre : ce dernier serait précédé par des perturbations électromagnétiques. » Ces perturbations, ténues, échappent aux sismomètres. D’après des géologues, ces fluctuations pourraient cependant être transmises à l’ionosphère avant même que la rupture n’ait lieu. Les chercheurs espèrent ainsi obtenir jusqu’à plusieurs jours d’avance sur l’arrivée d’un séisme !
Reste toutefois à valider la théorie par des observations. Comme le souligne Hubert Halloin, la route est encore longue : « Il n’est pas question de dire qu’avec notre nanosatellite, on va (pré)voir des séismes. On ne sait même pas quelle sensibilité on va obtenir ! L’idée, c’est de se faire la main, de voir comment ça marche. C’est d’abord un but de démonstration technologique. »
Remerciements – Pour aller plus loin
- Un grand merci à John Robert Scholz, Hubert Halloin et Martin Vallée de bien avoir voulu nous recevoir et d’avoir répondu à nos questions
- Le site d’IGOSat (sur Twitter : @IGOSat_Diderot)
- L’observatoire GEOSCOPE (Martin Vallée est responsable de la contribution française au réseau de capteurs)
- Pascal Bernard, Pourquoi la terre tremble, éd. Belin, 2017