Pour la première fois depuis les débuts de la Vème république, 4 candidats
sont arrivés en tête du premier tour dans un mouchoir de poche ou au moins dans
un petit napperon de 4 points environ. L’électorat s’est réparti en 4 blocs
relativement équivalents.
Mais le problème n’est pas vraiment là, il est dans le fait que ce premier
tour a permis de constater une cassure nette entre 40% des électeurs qui ont
voté pour des partis antisystèmes qui veulent le remettre en cause
fondamentalement et 40% qui ont voté pour des candidats « réformistes
».
De surcroit, au sein de chacune de ces deux catégories, des inimités fortes
opposent ces électeurs. Pour un certain nombre d’électeurs de Fillon le choix
entre Macron et le Pen n’a rien d’évident. De même que pour un certain nombre
d’Insoumis, Le Pen et Macron font l’objet d’un même rejet
catégorique.
Difficile d’imaginer qu’une fois les élections passées et quel qu’en soit le
résultat, tout le monde avance dans le même sens.
D’autant plus difficile à imaginer que plus de 40% des électeurs sont sur
une ligne politique extrême. Ceux-là ont comme caractéristique commune d’être
ancrés dans leurs certitudes, d’être dans une fidélité aveugle dans leur
représentant et de marquer un rejet fort de tous ceux qui n’ont pas les mêmes
opinions.
Les récentes manifestations de lycéens avec leurs slogans « Ni patrie,
ni patron, on nique les élections » ou « Macron, Le Pen, la finance
ou la haine » sont symptomatiques de cette radicalisation des
opinions.
La mise sur le même plan de Le Pen et de Macron dans une même récusation
brutale, va au-delà de l’habituel rejet viscéral de l’extrême droite
puisqu’elle va jusqu’à contester violemment un résultat électoral. Mon champion
n’est pas au second tour, je conteste donc la légitimité de celui ou de celle
qui sera élu(e).
Sans même juger le fond de l’argumentation qui ne fait que traduire la
vulnérabilité de ces jeunes face aux démago-populistes qui les manipulent en
leur faisant croire qu’ils sont les derniers défenseurs d’un Peuple martyrisé,
ce refus du choix des urnes révèle des fractures fortes dans notre société. On
en arrive à une situation où, quel que soit le nouveau président de la
République, il démarrera son quinquennat avec 75% des électeurs qui au mieux le
considère avec suspicion et au pire avec une aversion affirmée. Et ce constat
fonctionne quel qu’eut été l’heureux élu parmi les 4 plus importants
prétendants.
Fillon se serait fait harceler en permanence à coup de bruyantes casseroles
et se ferait fait renvoyer à la figure l’emploi fictif de sa femme à la moindre
mesure impopulaire.
Mélenchon est tellement clivant tant par sa personnalité que par son
programme, qu’il se serait pris, en permanence, son agressivité dans la tronche
tel un boomerang.
Le Pen subirait exactement le même sort avec, en plus, à affronter les
hordes déchainées « d’anti-fascistes ».
Quand à Macron, dont le programme est pourtant potentiellement le plus
fédérateur, il serait confronté à tous ceux qui lui reprochent en vrac d’être
un ancien banquier, d’être pro-européen et de ne pas rejeter la mondialisation
mais de vouloir que la France y trouve sa place. Sans compter ceux qui en font
le successeur de Hollande. Et ça fait hélas beaucoup de monde.
Cet état d’esprit de guerre civile est largement entretenu par les
professionnels de la contestation et de l’indignation tout azimut qui
n’imaginent la politique que comme un combat non pas d’idées mais d’idéologies,
mettant face à face les bons contre les méchants, les corrompus contre les
intègres, les solidaires contre les égoïstes ou les nantis contre les
« plus démunis ».
Les débats deviennent inutiles tant chacun est ancré dans ses confortables
certitudes souvent basées sur des slogans vides, des contre-vérités quelques
fois calomnieuses et une ignorance crasse des mécanismes économiques,
sociologiques et politiques.
Certes les lycéens qui manifestent ne sont qu’une poignée mais cette
violence et ce dogmatisme ont le trouve largement répandu sur les réseaux
sociaux et bien au-delà.
Même si les périodes électorales se prêtent aux excès, on ne peut pas, comme
l’affirment violemment ces jeunes décérébrés, niquer les élections. On ne peut
pas tout remettre en cause et rejeter violemment l’alternative choisie
démocratiquement par les citoyens sous prétexte que ce n’est pas notre
choix.
Notre système démocratique a ses défauts, il peut certainement être
amélioré, mais on ne peut pas remettre en cause la légitimité de celui ou de
celle qui aura été désigné par les citoyens pour prendre les décisions au nom
de la collectivité. La démocratie suppose le respect du choix de la majorité
(même relative). Or, sous une forme ou sous une autre c’est bien ce que
contestent beaucoup poussés en cela par des politiques irresponsables qui n’ont
pas arrêté de leur expliquer qu’il fallait tout balayer sans nuance et sans
tarder.
Il est vraiment à craindre que ces apprentis sorciers aient libéré une vague
de violence et de ressentiments qui sera difficile à endiguer.
Le prochain Président de la République sera nécessairement mal élu, il sera
confronté dès le début de son mandat à toutes sortes de critiques, de
railleries et de suspicions, et sans majorité franche pour le soutenir, il fort
probable qu’il ne puisse que décevoir.
Quel qu’il soit, on ne peut s’en réjouir, car de ces situations ne peuvent sortir qu’un régime autoritaire ou populiste.