Patrice van Eersel : La pertinence de votre nouveau livre nous oblige à revenir à la base : au fond, c’est quoi, une émotion ?
Catherine Aimelet-Périssol : Bien avant d’être un phénomène psychique, c’est un mouvement naturel du corps, qui entre en résonance avec la situation où nous nous trouvons et y répond pour protéger la vie. Il s’agit d’un mouvement archaïque, inconscient, biologique. Ce n’est que dans un second temps que cela se déploie dans le psychique, pour donner l’émotivité. Mais ce serait une erreur de penser que tout part de cette dernière - elle n’est que la conséquence d’un geste interne de survie.
Patrice van Eersel : Vous dites qu’il y a quatre émotions naturelles de base...
Catherine Aimelet-Périssol : Oui, la peur, la colère, la tristesse et la joie. Chacune constitue une modalité particulière de ce mouvement interne, comme une gamme à quatre notes, quatre façons corporelles d’entrer en résonance avec la situation. A partir de ces quatre notes, notre psyché va fabriquer des mélodies, c’est-à-dire des histoires sur lesquelles notre langage va broder toutes sortes de scénarios. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire, car nous pouvons nous enfermer dans ces scénarios et y croire comme s’ils étaient vrais. Nous voudrons alors les fuir, ou les refouler, oubliantqu’ils ont surgi d’un mouvement vital.
Patrice van Eersel Dès les premières pages, vous dites qu’on ne « gère » pas ses émotions. Pourtant, les nombreux conseils que vous donnez ne forment-ils pas une sorte de « super gestion » émotionnelle ?
Catherine Aimelet-Périssol : Non, dans la mesure où, derrière le mot gestion, il y a l’idée d’une maîtrise. Notre éducation nous a généralement appris à contrôler nos émotions, à les dompter et souvent à les faire taire. Notre approche est plus humble et plus naturelle. Il ne s’agit pas de chercher à contrôler ses émotions, mais d’abord à en prendre conscience, à les vivre, pour les comprendre et faire alliance avec elles. On ne « gère » pas ses peurs. Il faut inverser notre attitude à 180 degrés et réfléchir à la meilleure façon de répondre au désir de sécurité et liberté que nos peurs signalent.
Patrice van Eersel : Mais n’essaie-t-on pas forcément de « gérer » la peur d’un enfant qui voit des monstres sous son lit?
Catherine Aimelet-Périssol : Bon exemple. Ma benjamine avait de telles peurs. Son père essayait de la raisonner, rien n’y faisait. J’ai pris le chemin inverse. Partant de son besoin de sécurité, je lui ai demandé ce qu’elle pourrait faire pour se protéger. Elle a fini par dire qu’un bâton lui serait utile pour frapper les intrus. Nous en avons trouvé un. Cela l’a calmée. Elle m’a dit : « De toute façon, je pourrai t’appeler. » J’ai acquiescé et sa peur s’est évanouie. Nous étions passés de la peur au désir de vivre.
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