Le 13 avril dernier, Paul Nguyen, étudiant vietnamien en master analyse statistique aux Etats-Unis imagine une carte de l'Europe avec pour fond une célèbre œuvre pour chaque pays. Décryptons donc ce qui se cache derrière ce puzzle culturel.
Conçue sur Reddit, cette carte est basée sur des recherches sur Wikipedia, Yahoo Answer et Quora. Une sélection suit, des difficultés surviennent : quel artiste choisir en Suède quand la production est riche et variée ? Pour les Pays-Bas, doit-il mettre une œuvre de Vincent Van Gogh quand celles-ci ont été peintes en France ? L'exercice est complexe et révèle qu'il est difficile de rattacher une œuvre à un pays sans inclure une idée de production nationaliste-artistique (néol.).
Comme le fait remarquer le site Verne, une carte du même genre a été conçue en 2012 pour le compte du site europeisnotdead.com. Cependant, contrairement à son titre traduit " l'Europe n'est pas morte ", l'examen de la datation de la majorité des œuvres prête à rire. Il n'y a aucune trace de peintures datant du XXIe siècle, il s'agit donc d'une Europe vieillissante. Cette observation est similaire pour la seconde carte et les deux démontrent que les chefs d'œuvres d'art contemporain européen sont pour la plupart limitées à la production du début du siècle dernier. Tout de même, le premier exemple met en avant des dissonances sur l'analogie pays, œuvre, et nationalité de l'artiste. Malte est figurée par un tableau du Caravage, peintre italien, célèbre pour ses clairs-obscurs. Mais l'apparition de La Décapitation de saint Jean-Baptiste s'explique par sa commande par les chevaliers de Malte et son exposition à La Valette. Si Paul Nguyen oublie de le remplir à son tour c'est juste pour un souci de visibilité. Doit-on comprendre que la carte est elle-même une œuvre d'art ?
Intrinsèquement, cette carte rappelle les discours nationalistes datant de la fin du XVIIIe siècle. Aujourd'hui, les discours entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen démontrent que l'art dit " français " pose problème. Pour l'ancien ministre des finances, l'art en France est multiculturel, reniant l'existence d'un art uniquement français, ce que réfute la représentante du Front National, condamnant plus tard la " dérive multiculturelle ". Est-ce que vraiment Impression, soleil levant de Monet représente la France ? La Liberté guidant le peuple de Delacroix, plébiscité dans la carte de 2012 ne reflète-t-elle pas mieux les aspirations nationalistes ? Entre un paysage paisible avec une touche plus libre mais très critiquée à son époque, puis une représentation allégorique du soulèvement des Parisiens pour plus de liberté, il y a deux idées très différentes, entre sensibilité artistique et rappel des valeurs républicaines. Une chose est sûre, l'art continue d'être un instrument politique qui divise ou rallie les citoyens. Paul Nguyen ne réfute pas cet aspect nationaliste mais dénonce la réduction de la signification de l'art quand elle peut être plus large:
" La peinture est une forme d'art. L'art est une forme d'expression humaine et celle-ci peut avoir plusieurs sens et intention. La politique peut en être l'une d'elle comme l'amour. Pour moi, la peinture n'a pas d'objectif unique. C'est une entité multidimensionnelle qui couvre chaque aspect singulier de la vie. "
Ce phénomène de la réappropriation d'un tableau par une nation continue. Marc Chagall est né à Liozna, alors dans l'empire Russe, aujourd'hui en Biélorussie. Il n'est alors pas étonnant que Le Violoniste de Chagall puisse être considéré comme une œuvre majeure de la Biélorussie mais son inspiration n'était-elle pas tirée de la vaste Russie plutôt que d'un pays qui n'existait pas ? Et si l'œuvre était simplement un emblème de la ville natale de l'artiste naturalisé français ?
Tout de même, certaines œuvres sont reliées à un pays sans qu'on ne veuille les contester. Le Baiser de Klimt pour l'Autriche, La Jeune fille à la perle de Vermeer pour les Pays-Bas en sont des exemples phares. Mais ce que l'on retire de ces plus fameuses compositions sont les approches uniquement personnelles des artistes. Il n'y a rien de nationaliste, Le Cri de Munch traduit par exemple les tourments psychologiques de l'artiste. Quant à L'Ange blessé du Finlandais Hugo Simberg, il illustre les vœux didactiques de l'instigateur de la carte. Le projet de Paul Nguyen est avant tout de permettre aux internautes de découvrir des artistes, des œuvres en allant sûrement plus loin que la périphérie Paris-Londres-Berlin, de s'ouvrir aux différentes cultures sans distinctions économiques et politiques, puis de détruire le mur entre l'Europe occidentale et l'Europe orientale.
Le jeune étudiant ne s'intéresse pas uniquement aux célèbres œuvres européennes. Son amour de l'art le pousse aussi à réaliser une nouvelle carte axée sur la représentation féminine en Asie en reprenant le même procédé. Fasciné par la beauté féminine, l'étudiant nous ouvre une autre fenêtre:
" Je voulais explorer comment les artistes de divers pays voit la beauté chez les femmes et les influences sociales derrière la surface. Par exemple, dans quelques pays, la religion joue beaucoup sur la représentation de la gente féminine. Tandis que dans d'autres pays c'est la technique qui prime. "
Est-il dangereux de faire de La Joconde une œuvre italienne? Est-ce qu'un portrait féminin représente les valeurs d'un pays? Ne doit-on pas amputer à l'art la notion nationaliste ? La carte de Paul Nguyen répond à une partie de ces questions tout en les reniant pour mettre en valeur la production artistique d'un continent plutôt que d'un morcellement de plusieurs pays.