» Dopplerganger » 150 x 150 cm huile sur toile 2016 Orsten Groom
Avant même de pénétrer dans la galerie du 24 rue Beaubourg à Paris, la peinture d’Orsten Groom vous saute déjà aux yeux à travers la vitrine avec une éruption de formes et de couleurs que chaque toile lance au visage du regardeur. Lorsque vous pénétrez dans les espaces de la galerie, l’ensemble de l’exposition « Odradek » vous cerne sans aucune possibilité d’échappatoire, chaque tableau produisant ce même effet turbulent.
Pour desserrer l’étreinte et tenter d’examiner plus sereinement ces toiles au premier abord exaltées, peut-être faut-il prendre en considération le titre de cette exposition : « Odradek » ? Ce terme mystérieux trouve son origine dans une nouvelle de Franz Kafka : ‘Le Souci du père de famille’. Mais loin de nous donner immédiatement une explication, ce terme d’Odradek, grâce au génie de Kafka, semble présenter davantage de mystères que d’ éclaircissements. Personnage inconnu ? Créature indéfinissable qui rôde dans sa maison? Finalement c’est bien dans les tableaux d’Orsten Groom qu’il va falloir tenter de déchiffrer l’énigme de ce titre.
« Fatras »
Kafka n’est pas étranger, nous dit-on, aux origines judéo-slaves de l’artiste : Orsten Groom, alias Simon Leibovitz – Grzeszczak. Dans ce que le peintre appelle lui-même ces « Fatras » il va falloir, au-delà, de la première impression, tenter de déchiffrer (disséquer?) ce contenu serré, imbriqué de signes, formes, personnages, couleurs, matières.
Loin d’être une confrontation brutale, irraisonnée, spontanée avec la toile, la démarche du peintre trouve son point de départ dans un argument particulier (une gravure médiévale par exemple). Au-delà de son protocole thématique, cette peinture n’échappe pas aux références auxquelles nous pouvons être tentés de la relier dans l’histoire de l’art : Jackson Pollock, Jasper Johns notamment. On pourrait y retrouver également cette envie de vouloir tout mettre dans un tableau à la manière d’un Basquiat.
« Jagdplatz » 80x60cm huile sur toile 2015 Orsten Groom
Assurément des plans successifs, superposés, introduisent une temporalité, un mouvement fixé sur le plan de la toile, traduisant ce phénomène de rémanence qui donne alors au tableau cette qualité de surface sensible à laquelle le peintre assigne cette mission : décrire la trace d’une mémoire, révéler le parcours d’un cheminement artistique. Mais comme cette opération ne se fait pas dans la sérénité, son geste de peintre traduit les tensions, les douleurs peut-être de ce passage à l’acte.
Si bien que la surface du tableau, riche de cette superposition de formes à la fois figuratives et abstraites, de couleurs sans nuances (utilisation des primaires et des complémentaires), de traces presque sismographiques révélatrices d’une gestuelle impétueuse, apparaît comme un champ dans lequel s’affrontent les forces, les tensions d’un rapport au monde fait de cette mémoire composite où histoire, culture, art, peinture nourrissent ce « fatras » décrit par Orsten Groom.
Cette peinture sans retenue, fougueuse, produite par un artiste (né en 1982) d’une génération qui a souvent choisi d’autres voies que celles du medium peinture montre dans sa profusion ( plus de quarante tableaux dont certains de très grand format ) à la fois sa capacité à occuper les espaces vastes de cette galerie et son aptitude à prendre à bras le corps sa relation au monde.
Photos: Galerie 24
Orsten Groom / Odradek
Du 19 avril au 2 mai 2017
Galerie 24
24 rue Beaubourg
75003 Paris