Bonjour à tous !
L'incertitude. C'était la dernière tendance. Le suspense était à son comble et pourtant, c'est bien le scénario le plus attendu dans les sondages qui s'est déroulé hier soir. Ainsi, Mélenchon n'a pas pu briser la glace, ni François Fillon revenir dans la partie. Mais si ce scénario était attendu ces derniers jours, il n'en reste pas moins inédit dans notre histoire politique et déclencheur ainsi d'une nouvelle incertitude et d'une nouvelle donne.
Le second tour : boulangisme contre boulangisme
La première inconnue réside dans le second tour. Alors oui, Emmanuel Macron est en tête et bénéficie d'une dynamique sans doute plus favorable alors que Marine Le Pen pouvait espérer la première place il y a encore une ou deux semaines. Oui également, le "Front Républicain" se constitue par les appels de Benoît Hamon et de François Fillon à voter pour le candidat d'En Marche. Mais la donne n'est pas tout à fait la même qu'il y a 15 ans : cette fois-ci, l'écart sera beaucoup plus serré. Le Front National a en effet pénétré bien plus profondément dans les mentalités et apparaît comme un vote plus solide et convaincu. Par ailleurs, le débat présidentiel de l'entre-deux tours aura lieu et pourrait bien être compliqué pour un Macron devant se mouiller tout en rassurant sa (très) large équipe de soutiens. Ajoutons aussi que les consignes de vote ne seront pas forcément suivies d'effet, l'électorat était relativement versatile : seul 33 pour cent des électeurs de François Fillon seraient prêts à voter pour Macron selon un sondage et la moitié chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. De même, ce dernier (ainsi que Nicolas Dupont-Aignan) ne se sont pas encore prononcé sur le second tour.
En réalité, le deuxième tour peut rappeler quelque peu le boulangisme de la fin du XIXème siècle : Marine Le Pen entend rassembler tous les patriotes, qu'ils soient électeurs de Jean-Luc Mélenchon, François Fillon ou Nicolas Dupont-Aignan, traversant les clivages politiques comme le faisait le général Boulanger (entre extrême gauche, radicaux de gauche, bonapartistes et monarchistes) ; de son côté, Emmanuel Macron incarne un boulangisme plus centriste assez éloigné de son aîné sur le fond, mais pas sur la forme (il fait le grand écart entre Robert Hue et Alain Madelin au nom du progressisme). Les tentatives de fusions électorales, dignes d'alchimistes médiévaux, montrent à quel point le paysage politique et l'électorat ont évolué.
L'inconnue des législatives
La seconde inconnue, c'est celui des législatives. En effet, pour la première fois de l'histoire, le vainqueur de la présidentiel n'appartiendra pas à un grand parti de gouvernement. Et même si Emmanuel Macron ressemble à la prolongation de François Hollande par d'autres moyens, son mouvement En Marche promet un renouvellement de la classe politique, en particulier chez les députés. Ce qui signifie qu'il va devoir se démarquer du Parti Socialiste.Ce constat fait, on peut en déduire que les législatives vont se dérouler dans un climat inédit : il faudra pour le vainqueur obtenir une majorité à des élections locales majoritaires à deux tours, règlement qui a toujours favorisé les gros appareils. Le Front National le sait mieux que quiconque : obtenir un gros score aux élections présidentielles n'assure pas (loin s'en faut) un nombre conséquent de députés. De même, si c'est Emmanuel Macron qui est élu, il faudra soit se débrouiller seul (avec les forces centristes tout de même), soit composer avec le PS, mais c'est loin d'être un avantage au vu de l'état des socialistes... Quel socialiste osera tenter l'aventure avec En Marche ? Y aura-t-il des arrangements locaux ou nationaux de désistement ? Les électeurs prendront-ils face à ces arrangements ? Ces questions doivent encore trouver réponse...
Droite et Gauche : recoller les morceaux
La troisième inconnue est celle de la nouvelle recomposition du paysage politique. Et cette inconnue concerne en premier lieu les grands perdants de cette élection : la gauche et la droite. Précisément les deux qui ont organisé des primaires. Comme si la présidentielle affirmait l'incompatibilité entre primaire et élection légale. Le PS et les Républicains ont donc été balayés, chacun dans une mesure bien différente. Les premiers, retranchés derrière un Benoît Hamon sincère mais très court, ont dû affronter les trahisons et la poussée de Mélenchon qui leur a fait beaucoup de mal. Les second, pourtant forts du succès de leur primaire, ont été minés par les affaires concernant leur leader, incapable de laisser sa place à mieux placé que lui pour sauver son camp.
L'avantage du Parti Socialiste est peut-être qu'il est arrivé au fond du gouffre : avec 6,35 pour cent (score non définitif), il obtient son score le plus bas depuis 1969, et imite ainsi le PASOK grec. Les troupes semblent donc terriblement affaiblies, mais au moins, on sait qu'elles sont toutes fidèles (les opportunistes ayant rejoint Emmanuel Macron). D'ailleurs, la consigne de vote de Benoît Hamon en faveur du candidat en tête du premier tour ne pose aucun problème chez les socialistes, unis dans leur moralité du style "Front Républicain". La recomposition du PS n'est toutefois pas acquise. Passe-t-elle par une coopération avec Emmanuel Macron ? Par Benoît Hamon ? Par un autre leader ? Il semblerait qu'un temps de suspend soit observé : il est probable que les législatives éclaircissent la situation pour un parti qui devrait faire un meilleur score. Mais rien n'est sûr un terme de groupe parlementaire, tant l'inconnue est grande sur la capacité des "nouvelles forces" (FN, En Marche), à gagner de telles élections. La recomposition se fera sans doute par le député le plus connu du futur groupe, mais qui aura la lourde tâche de reconstruire une identité idéologique et politique à ce parti, tout en opérant une reconquête des électeurs perdus.
De leur côté, les Républicains ont l'avantage de disposer d'un socle de voix solide et même extensible tant la défaite peut-être liée à la personnalité de leur candidat et à ses affaires. Mais leur situation est délicate et leur union tient à un fil. Dès les premières minutes après l'annonce des premières estimations, deux tendances s'affirmaient sur les plateaux : celle du vote Macron (donc du Front Républicain, portée par Raffarin, Fillon, Juppé...) et celle du ni-ni (Morano, Poisson...). Par ailleurs, de nombreux électeurs de Fillon sont tout à fait disposés à voter pour Marine Le Pen. Certains comme Paul-Marie Couteaux appellent même à des accords entre les trois partis de Droite : LR-DLF-FN. On le sent, les difficultés peuvent se présenter avant même les législatives entre ceux qui voudront négocier avec le Front National et ceux qui ne voudront pas. Sans doute que l'appareil "LR" refusera toute alliance nationale avec le FN, mais il est probable qu'il ne puissent retenir certains élus et électeurs. Il faudra aussi prendre en compte l'avis du Nicolas Dupont-Aignan qui annoncera bientôt son choix pour le second tour (probablement Le Pen ou vote blanc). Si le souverainiste franchit le Rubicon, il ne comptera plus vraiment dans les schémas tactiques à droite, ce qui serait dommage alors même qu'il est parvenu à 4,73 pour cent. S'il ne le franchit pas, il aura l'envie de continuer à séduire les Républicains déçus mais avec quel succès ? En tous les cas, deux cas de figures peuvent se présenter : -soit les Républicains sont menés par un main de fer qui réussit à unir les troupes et gagner les législatives (suivez mon regard). -soit les Républicains se muent en un parti plus centriste et acceptent de travailler avec Emmanuel Macron (ce qui entraînerait la constitution d'un pôle patriote élargi autour du FN).
Que retenir de cette élection si particulière ? Certes, le dernier acte est encore en cours d'écriture, mais on peut déjà constater que les forces politiques sont en recomposition, dans la continuité de ces dernières années. Que les aspirations des électeurs se cristallisent sur des choix et orientations clivantes entre 4 "gros". Que gagner un second tour revient à agglomérer des opinions très contradictoires. Que remporter l'élection revient à balayer d'un revers de main la moitié de l'opinion et la moitié de la société pour 5 ans. Que cette moitié est toujours la même... Autant de signes qui montrent que notre système électoral et nos institutions doivent être radicalement remis en cause.
Vin DEX