Au début de 1789 George, jeune violoniste de talent et son père, un noir de la Barbade arrivent d'Autriche pour conquérir un public parisien. Recommandés par Haydn, le jeune métis semble voué à un bel avenir. S'ils multiplient rapidement les concerts, la révolte révolutionnaire gronde et les oblige à fuir pour Londres.
George Bridgetower, s'il est tombé aujourd'hui dans l'oubli, a pourtant marqué son siècle, au point que Beethoven lui a consacré une sonate, ladite "Sonate à Bridgetower". Il fut un temps en effet où les deux hommes furent amis, avant qu'une brouille ne les sépare et transforme la sonate en "Sonate à Kreutzer". Fondé sur des faits réels, ce roman retrace le destin du jeune Georges des cours parisiennes au faste de Vienne, en passant par Londres.
"Frederick de Augustus prit conscience d'une chose : l'importance de la musique. Elle ne se situait pas à la périphérie, mais au coeur même de la société, voire du régime, là où se croisaient et se confrontaient tous ceux qui avaient la prétention de faire bouger les choses dans quelque domaine que ce soit dans le royaume de la France." p. 95
Son père a joué un rôle prépondérant dans sa notoriété puisqu'il l'a poussé, motivé par des voeux égoïstes : devenir lui-même riche et célèbre. Leurs personnalités finiront par se heurter.
Au-delà des destins individuels, Emmanuel Dongala dresse le portrait d'une époque mouvementée, aux bouleversements marquants. Les deux hommes rencontrent dans les salons des hommes et des femmes illustres qui ont façonné le siècle comme Thomas Jefferson, Olympe de Gouges, Louise de Keralio. Il aborde également l'essor du mouvement abolitionniste et les conditions des noirs à l'époque. A la fin du roman, George découvre horrifié le destin d'Angelo Soliman qui finit empaillé dans un musée " Voilà que cet homme éminent qui, sa vie durant, avait incarné pour ces Européens la "perfectibilité" de l'Africain postulée par leurs philosophes, le "sauvage" qui, à force d'éducation, de travail et de dévouement, s'était "civilisé" et s'était si parfaitement intégré qu'il était considéré comme un pair par l'élite de la société, était maintenant exposé comme le type même du "sauvage", à moitié nu, avec des plumes et des coquillages !" p. 331
Ce que j'ai moins aimé : S'il est érudit et enrichissant, ce roman manque néanmoins à mes yeux de souffle romanesque...
La sonate à Bridgetower, Emmanuel Dongala, Actes Sud, janvier 2017, 336 p., 22.50 euros
Lu dans le cadre d'une lecture commune autour de Emmanuel Dongala pour Lire le Monde