Orange organisait cette semaine un grand show dont une des vedettes était sa future banque. Les quelques détails fournis à cette occasion me laisse toujours perplexe : en dépit de quelques idées intéressantes, l'ensemble continue à donner l'impression de n'être qu'une offre comme les autres, assortie de promesses toujours reportées à plus tard…
Le malaise commence d'emblée avec la date de lancement officielle, repoussée (une fois encore) au 6 juillet. Certes, les premiers clients seront accueillis dès le mois de mai – conformément aux communications précédentes, alors qu'il était initialement question du début 2017 – mais ce ne seront que des collaborateurs d'Orange. Les mauvais esprits pourraient en outre insinuer que le choix d'attendre l'été permettra d'éviter un rush de demandes, laissant entrevoir une certaine inquiétude quant à la montée en charge.
Quant à la solution, en quoi est-elle donc à la pointe de l'innovation ? Orange Bank vous proposera un compte courant, avec une carte de paiement, un pilotage en temps réel sur le smartphone, les transferts d'argent par SMS, le tout gratuit… enfin, presque. Cela vous rappelle quelque chose ? Oui, cela ressemble à N26 à son arrivée dans l'hexagone, à l'automne dernier, jusqu'aux conditions de gratuité (3 opérations par mois pour la française, 9 par trimestre pour l'allemande), assorties d'un tarif plus dissuasif (5 euros mensuels, contre 2,90 euros) si elles ne sont pas respectées…
Bien sûr, il existe des différences. Passons sur le chéquier (!) et le compte d'épargne (basique) rémunéré et arrêtons-nous sur le découvert autorisé. Difficile de voir là une grande rupture avec les banques historiques, une majorité de nouveaux entrants (dont N26) ayant plutôt tendance à privilégier une approche par le crédit à la consommation, qui possède l'avantage de la transparence, si importante de nos jours : la souscription d'un emprunt est un acte volontaire, réalisé avec toutes les informations en main, contrairement au découvert, dont la facilité d'accès se mue rapidement en piège.
Autre originalité d'Orange Bank (loin d'être inédite, toutefois), ses clients pourront interagir par tchat avec leurs finances personnelles, via un assistant virtuel. Motorisé par la technologie Watson d'IBM, il est vanté comme capable d'apprentissage, au fil de ses conversations, afin d'améliorer sa pertinence et de personnaliser la relation. Le principe semble séduisant, si ce n'est que l'ambition affichée de rendre possible les transferts d'argent par ce moyen à la fin de l'année le rend un peu trivial : aujourd'hui, c'est surtout de conseil avancé que les clients ont besoin, pas d'aide avec leurs transactions.
En arrière-plan, les contradictions et autres approximations sont tout aussi dérangeantes. Par exemple, l'affirmation qu'Orange Bank est conçue d'abord pour le mobile n'est supportée par aucune réalité. Outre les services qui, on l'a vu, restent très classiques (même en incluant le paiement via smartphone), ses fondations techniques reposent, selon la rumeur publique, sur le progiciel de SAB (comme le Compte Nickel…), qui, quelles que soient ses qualités, est loin de constituer une base de banque mobile.
Plusieurs dirigeants (dont son directeur général, André Coisne, dans la vidéo ci-dessous) répètent à l'envi qu'Orange Bank collabore étroitement avec les meilleures startups – ce qui serait une excellente idée, comme le démontrent, encore, N26 et sa capacité à ajouter rapidement de nouveaux produits à son catalogue. Pourtant, c'est IBM qui propulse son assistant virtuel, c'est une PME plutôt traditionnelle qui fournit le cœur de système, c'est (autre on-dit) Capgemini qui réalise l'intégration… Ce ne sont pourtant pas les jeunes pousses crédibles qui manquent (en Europe) pour créer une offre innovante !
Viennent ensuite les (inévitables ?) déclarations d'« agilité », ou la capacité de la nouvelle banque à déployer continuellement les produits et services que les clients demandent, et qui seront développés avec eux. Malheureusement, l'attente de 18 mois (dont presque 6 de retard, au total) pour la livraison du premier lot de fonctions et le renvoi à 2018 (sans plus de précisions) de l'introduction au catalogue de solutions de crédit et d'assurance n'incitent pas particulièrement à l'optimise en termes de réactivité et de flexibilité.
En synthèse, malgré toutes les assertions de l'opérateur, Orange Bank n'apparaît résolument pas comme une révolution pour le secteur bancaire français. Il semble même dépassé quand il oublie le principe fondamental qui guide aujourd'hui toutes les tentatives de transformation « digitale » de ses concurrents : l'obsession du client. Ici, il est principalement question de l'obsession du mobile (et éventuellement d'agent intelligent), sans que soit évoquée la proposition de valeur distinctive pour le consommateur.