Dans (presque) tous les pays du monde, en dépit de la croissance continue du recours à des moyens de paiement électroniques, depuis les cartes bancaires jusqu'aux porte-monnaie mobiles, les espèces sonnantes et trébuchantes continuent à régner sur une bonne part des échanges financiers, notamment dans les petits commerces. Cette situation crée une forme d'exclusion, en particulier au sein des populations les plus fragiles, presque imperceptible alors qu'elle induit des coûts sociaux considérables.
La banque centrale de Corée a donc décidé de s'attaquer au problème en commençant par les pièces de monnaie, après avoir mené une enquête auprès d'un échantillon de consommateurs grâce à laquelle elle a vérifié qu'une majorité d'entre eux était favorable à leur disparition. Cependant, consciente de l'ampleur de la tâche, plutôt qu'un retrait total, elle vise surtout à instaurer un cycle vertueux de réduction progressive de leur utilisation, en capitalisant sur les infrastructures de paiement existantes.
Pour initier le changement, c'est une expérimentation qui est mise en œuvre dans quelques-unes des plus grandes chaînes d'épiceries de quartier (« convenience stores ») et de grands magasins du pays. Il s'agit de proposer aux clients réglant leurs achats en espèces de recevoir leur monnaie sous forme de crédit sur une carte prépayée. L'avantage de la solution réside dans son utilisation des terminaux de rechargement déployés depuis longtemps dans les boutiques concernées, qui figurent aussi parmi les lieux où les consommateurs sont le plus susceptibles de payer en liquide.
En revanche, le parcours client, tel qu'il est conçu à ce stade, risque de constituer un sérieux obstacle à l'adoption, ce qui est regrettable puisqu'un enjeu pour les commerçants serait de simplifier le rendu de monnaie. Là, il faudra qu'ils composent avec une procédure dans laquelle, après confirmation de son accord, le client (ayant préalablement payé ses emplettes) fournit les coordonnées de la carte, sur laquelle le caissier doit ensuite enregistrer l'opération de chargement… Heureusement, la banque centrale invite les acteurs impliqués à profiter du pilote pour imaginer et tester d'autres méthodes.
L'initiative sera activement promue dès cette phase expérimentale, de manière à en assurer la notoriété auprès de la population, et son évolution sera suivie attentivement pour déterminer les suites à lui donner. Si les résultats s'avèrent satisfaisants, le programme sera étendu, entre 2018 et 2020, à la fois en termes de couverture (c'est-à-dire le nombre de magasins) et de fonctions. Il est ainsi envisagé, entre autres, de décliner le concept pour permettre un virement de la monnaie sur un compte courant (ce que les coréens tendent à préférer, selon le sondage).
Avec ce calendrier, l'ambition de la Banque de Corée est de rendre la gestion des flux plus efficace dans l'ensemble de la chaîne de valeur. Pour les consommateurs, en leur évitant de stocker et manipuler des pièces et en développant les usages des instruments modernes. Pour les institutions financières, en limitant les besoins de prise en charge de la monnaie dans leurs réseaux. Pour la banque centrale elle-même, enfin, qui espère abaisser ses coûts de production (l'équivalent de 44 millions d'euros en 2016)…
Pour référence, l'expérimentation coréenne rappelle le modèle de la jeune pousse canadienne ChangeJar, qui a retenu un équilibre sensiblement différent entre expérience client (un peu plus fluide) et équipement dédié…