Le Tribunal International Monsanto est ce que l'on appelle un " tribunal d'opinion ". Il ne s'agit ni d'une cour ordinaire relavant de l'ordre judiciaire d'un État ni d'une cour mise en place par une organisation internationale. C'est une cour " extraordinaire " née de la détermination de la société civile, qui en prend l'initiative et s'y engage de façon active. Le premier tribunal d'opinion, qui est aussi le plus connu, fut créé en 1966 sous l'impulsion des philosophes Bertrand Russell et Jean-Paul Sartre. En 1979, sur l'initiative du sénateur et théoricien Lelio Basso, le Tribunal Russell-Sartre fut étendu au Tribunal permanent des peuples1. Plusieurs tribunaux d'opinion ont déjà été constitués dans différents pays afin de statuer sur différents sujets2.
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Le Tribunal International Monsanto s'est tenu à La Haye aux Pays-Bas du 14 au 16 octobre 2016. Ce "tribunal d'opinion extraordinaire" a été créé à l'initiative de la société civile afin de livrer une opinion juridique sur les dommages sanitaires et environnementaux causés par la firme Monsanto qui a refusé d'être présente aux auditions, dénonçant une "parodie de procès". "Ce procès n'est pas juridiquement contraignant, mais il n'en est pas moins juste et légitime", a répondu Arnaud Apoteker, membre du Comité d'organisation du tribunal, précisant que "les témoins ont présenté de vrais cas à de vrais juges".
Six questions détaillées ont été soumises au Tribunal. Elles concernent respectivement le droit à un environnement sain, le droit à l'alimentation, le droit à la santé, la liberté de recherche scientifique, la complicité de crimes de guerre et le crime d'écocide. Après 26 semaines de travail suivant un examen exhaustif et rigoureux de témoignages, d'études scientifiques et de sources de droit, les cinq juges du Tribunal International Monsanto ont présenté publiquement leurs conclusions et recommandations le 18 avril 2017 à La Haye.
Le verdict est le suivant : "Les juges concluent que Monsanto a porté atteinte aux droits fondamentaux des droits de l'homme" ont-il expliqué dans un communiqué. "La société s'est engagée dans des pratiques qui ont un impact négatif sur le droit à un environnement sain, le droit à l'alimentation et le droit à la santé. Egalement, la conduite de Monsanto affecte négativement le droit à la liberté indispensable à la recherche scientifique. Enfin, concernant le crime d'écocide, le Tribunal conclut que s'il était reconnu dans le droit pénal international, les activités de Monsanto pourraient constituer un crime d'écocide."
Voici, point par point, les conclusions du Tribunal Monsanto, "à la fois au regard du droit international existant et du droit international prospectif" :
1/ Le Tribunal a conclu que Monsanto s'est engagé dans des pratiques qui ont un impact négatif sur le droit à un environnement sain, en raison notamment de l'usage massif du glyphosate, la substance active du Roundup - considérée comme toxique pour la biodiversité et comme probablement cancérogène pour l'homme par le Centre International de Recherche sur le Cancer -, et des OGM qui lui sont liés.
2/ Le Tribunal a conclu que Monsanto s'est engagé dans des pratiques qui ont un impact négatif sur le droit à l'alimentation et qu'il y a ainsi atteinte à la souveraineté alimentaire. "Monsanto a entravé la capacité de certains individus et de certaines communautés à se nourrir directement par le biais de terres agricoles qui sont aujourd'hui dévastées par l'utilisation grandissante de semences génétiquement modifiées qui nécessitent l'utilisation d'importants volumes d'herbicides tels que le glyphosate" ont expliqué les juges. De plus, "Monsanto porte par la même occasion atteinte au droit à l'alimentation en refusant aux paysans l'accès à leurs moyens de production. Les cultivateurs des pays ayant adopté les OGM ont en effet vu leur choix de semences restreint. Les semences non génétiquement modifiées sont progressivement retirées du marché, réduisant ainsi le choix de semences."
3/ Le Tribunal a conclu que Monsanto s'est engagé dans des pratiques qui ont un impact négatif sur le droit à la santé. Les juges ont rappelé que Monsanto a produit et diffusé de nombreuses substances dangereuses évoquant les PCB, le glyphosate et les OGM. Le Tribunal a précisé "qu'il n'existe, à ce jour, pas de consensus scientifique sur l'innocuité des OGM sur la santé humaine " et que les "OGM commercialisés par Monsanto sont résistants au Roundup".
4/ Le Tribunal a conclu que le comportement de Monsanto affecte négativement la liberté indispensable à la recherche scientifique. "Le discrédit porté sur les recherches scientifiques qui soulèvent de sérieuses questions relatives à la protection environnementale et sanitaire, le recours à de faux rapports scientifiques commandés par Monsanto, les pressions sur les gouvernements ou encore les intimidations sont autant de comportements qui portent atteinte à la liberté indispensable à la recherche scientifique" ont déclaré les juges.
5 / Le Tribunal a évoqué la complicité de crime de guerre, Monsanto ayant fourni "l'Agent Orange" à l'armée des États-Unis dans le cadre de l'opération " Ranch Hand " déclenchée au Vietnam à partir de 1962. Cet herbicide et défoliant chimique contenant de la dioxine a été pulvérisé sur les forêts vietnamiennes afin de détruire l'habitat et l'abri naturel du Viêt-Cong et des troupes nord-vietnamiennes pour éviter les embuscades. Il a causé de graves dégâts sur les populations et l'environnement. "Il semble que Monsanto savait à quoi ses produits allaient servir et détenait les informations concernant les conséquences sanitaires et environnementales de leur déversement" ont expliqué les juges. "Le Tribunal relève que si le crime d'écocide devait être érigé, à l'avenir, au rang de crime de droit international, les faits rapportés pourraient relever de la compétence de la Cour pénale internationale."
6/ Le Tribunal a conclu que, si un tel crime d'écocide existait en droit international, alors les activités de Monsanto pourraient relever de cette infraction. Parmi elles figurent :
- La production et la fourniture à la Colombie d'herbicides contenant du glyphosate dans le cadre de son plan d'épandages aériens des plans de coca,
- Le recours à très grande échelle de produits agrochimiques dangereux dans l'industrie agricole,
- La production, ainsi que la commercialisation et la diffusion d'organismes génétiquement modifiés.
"Les graves contaminations des sols, de l'eau et de la diversité des plantes relèveraient également de la qualification d'écocide. Enfin, pourrait également relever de cette qualification d'écocide, l'introduction de polluants organiques persistants tels que le PCB dans l'environnement, qui cause des dommages sévères et à long terme, affectant les droits des générations futures" a précisé le Tribunal.
Pourquoi un "vrai faux procès" contre Monsanto ?
"L'objectif est de faire progresser le droit international des droits de l'Homme et de l'environnement" explique le Tribunal Monsanto qui "souhaite que cet avis permette notamment aux Etats, censés protéger leur population, de les aider à garantir le plein respect des droits humains y compris pour les générations futures, en exigeant un niveau élevé de protection sanitaire et environnementale. Les citoyens pourront également se saisir de cet avis pour poursuivre Monsanto ou les autorités qui ne respecteraient pas les droits humains (droit à la santé, à l'alimentation, à un environnement sain)."
Le Tribunal a également insisté sur "le fossé grandissant entre le droit international des droits de l'Homme et la responsabilité des sociétés : une asymétrie inquiétante est en train de se loger entre les droits et les obligations des multinationales". Pour lui, "le temps est venu de considérer les multinationales comme sujets de droit et qu'elles puissent, dès lors, être poursuivies en cas d'atteintes aux droits fondamentaux et à l'environnement."
Si ce tribunal n'a certes aujourd'hui qu'une portée symbolique, il marque le premier pas de la libération des peuples face à l'emprise de Monsanto, et la volonté (la nécessité) d'évolution du droit international en matière de protection de l'environnement. Le mouvement visant à protéger les populations et l'environnement contre les pesticides toxiques grandit de jour en jour. Plus de 600 000 personnes ont ainsi déjà apporté leur soutien à une initiative citoyenne européenne demandant l'interdiction du glyphosate sur le site act.greenpeace.org.
Stella Giani