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Socrate avait tort

Publié le 20 avril 2017 par Detoursdesmondes
Lionel-sabatté


Il fait froid ce matin dans la cour de l'hotel de Mongelas à Paris. Bien sûr, les températures sont loin de celles du terrible hiver 54 dont on parle encore maintenant et, même si on ne l'a pas connu, celui-ci nous évoque forcément l'Abbé Pierre, les Sans-abri, les laissés-pour-compte.
Il est loin aussi le fossé qui sépare l'idée qu'on a des choses et celles-là mêmes lorsqu'elles sont vécues car, si l'on peut penser la pauvreté, que dire d'en faire l'expérience dans sa chair !
Dans le Parménide de Platon, Socrate a encore beaucoup de chemin à faire pour comprendre ce monde concret, trivial... et lorsque Parménide lui demande si toutes les choses comme "la chevelure, la boue et la crasse ou quelque autre encore plus dépourvue de valeur et vulgaire" sont dotées d'une "idée", d'une forme en soi (eidos), notre jeune philosophe peine à lui répondre et élude la question :

« Es-tu dans l'impasse [sur la question de savoir] s'il faut déclarer aussi que de chacune d'elles, il est un eidos distinct, qui est autre une fois encore que ceux que nous, nous touchons de nos mains, ou bien pas ? »
« Nullement », déclara Socrate.... Déjà pourtant dans le passé cela m'a aussi troublé : quelque chose ne serait-il pas pour toutes [choses] le même ? Et puis, chaque fois que je m'y arrête, je pars en fuyant, craignant qu'un de ces jours, en tombant dans quelque abîme de niaiserie, je ne me perde....
Parménide 130d

Mais l'artiste, lui, n'esquive pas, ne se perd pas !
Lionel Sabbaté installe son oeuvre, "La sélection de la parentèle", dans la cour du musée de la chasse. Un titre donné en référence à la théorie développée par le biologiste anglais William Donald Hamilton.

Parentele-sabatte

C'est au cours de cet hiver 54 que l'arbre, cet olivier, est mort. Mais des fleurs renaissent, des fleurs constituées des peaux mortes et des ongles de centaines d'hommes.
Vois-tu, Socrate, c'est là toute la grandeur de ces choses ridicules et la puissance de l'art que d'y faire émerger en leur sein les "grandes" idées qui te sont chères. Ici c'est d'"Altruisme" dont veut parler Lionel Sabatté en mettant en scène dans cette cour parisienne, une relation spatiale harmonieuse entre l'animal, l'homme et l'arbre.
L'art contemporain s'est largement emparé de ces matériaux "vulgaires" ou dérangeants car avec eux, on est sûr que la "Beauté" n'y réside pas de manière intrinsèque ; il faut vouloir les bousculer, mettre "quelque chose'" en action...

Marionnettes-vanuatu
Les objets des sociétés traditionnelles d'Afrique et d'Océanie utilisent bien sûr tous les matériaux possibles, des matériaux pas forcément "nobles". Ainsi en est-il de ces masques, coiffes et mannequins funéraires du Vanuatu, pour qui la présence de la toile d'araignée soigneusement tissée intervenant dans leur composition, est là pour rappeler l'importance du secret et la valeur inestimable de sa divulgation aux seules personnes qui en sont dignes.
Mayombe-2010

Là encore, le soin apporté par les devins-guérisseurs d'Afrique à la composition de la charge des figures de pouvoir, un mélange de rognures d’ongles, de cheveux, d'éléments végétaux, animaux, minéraux... atteste encore de l'efficacité de ces "choses ridicules" dans la réalisation du bilongo, ce mélange "magique" qui permet à l'esprit de se matérialiser dans ces minkisi, et d'apporter guérison ou protection.
De minimes voire dérisoires eidos pour de grandes et sérieuses affaires !


Photos de l'auteure.
Photos 1 et 2 : Oeuvres de Lionel Sabatté, musée de la chasse Paris avril 2017.
Photo 3 : Vanuatu, Plateau des collections du musée du Quai Branly-J. Chrica, avril 2017,
Photo 4 : Minkisi Yombe, exposition Mayombe à Louvain , décembre 2010.


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