Dans les années qui suivirent l’invention de la photographie, les artistes s’inquiétèrent. Baudelaire, dans son Salon de 1859, s’insurgea contre cette technologie trop moderne : « l’industrie, faisant irruption dans l’art, en devient la plus mortelle ennemie ». Beaucoup de portraitistes, voire de paysagistes, redoutèrent cette concurrence naissante qui, cependant, ne fit aucunement disparaître la peinture. Tout au plus, peut-on penser, les incita-t-elle à privilégier le regard intérieur, l’interprétation personnelle, à la pure copie du réel ou d’un réel idéalisé – pensons aux Impressionnistes.
Gustave Courbet, visionnaire et progressiste, ne nourrissait pas une telle prévention. Il voyait dans la photographie, non un fossoyeur de l’art, mais un outil de promotion et de travail. L’exposition « Courbet Clergue, rencontre photographique » qui se tient jusqu’au 30 avril au musée Gustave Courbet d’Ornans en apporte la preuve.
Il y a toujours eu du Narcisse chez Courbet ; les témoignages de ses contemporains et la lecture de sa correspondance fournissent une foule de détails à ce sujet. Il était donc logique que le peintre se fît régulièrement tirer le portrait. Ceux-ci, reproduits en format « carte de visite », pouvaient facilement être distribués aux amis et aux admirateurs. Il fit bien, car les clichés qui nous sont parvenus et figurent dans l’exposition, pris entre 1853 et 1877, viennent opportunément compléter sa série d’autoportraits peints, nous livrant une véritable « biographie physique ». Le jeune assyrien élancé de 34 ans, au regard amusé, saisi par Victor Laisné en 1853, ne se retrouve déjà plus tout à fait dans le personnage central de L’Atelier de 1855 (cheveux plus courts, embonpoint naissant) ; il disparaît dans les portraits réalisés par Nadar, Carjat, Reutlinger ou Pierre Petit durant les années 1860. En l’espace de dix ans, le peintre a vieilli, sa barbe s’est argentée, son tour de taille a doublé. Dans sa dernière photo, prise par Paul Metzner, le regard a perdu de sa goguenardise, il exprime davantage la tristesse et la lassitude de la maladie et de l’exil.
Au-delà de la métamorphose physique, la photographie nous laisse de beaux témoignages sur la vie du peintre. Rien n’est plus intéressant que les deux plaques stéréoscopiques d’Eugène Feyen qui montrent l’artiste peignant dans son verger, à l’abri d’un parasol et l’intérieur de l’atelier de Courbet en juin 1864 (on y reconnaît quelques toiles et sculptures, le Chasseur à cheval retrouvant la piste, la Femme au chat, le Pêcheur de chavots, le plâtre du Portrait de Courbet par Louis-Joseph Lebœuf, etc.).
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L’exposition souligne aussi combien Courbet utilisa la photographie pour promouvoir ses propres œuvres. Des tirages, ici dédicacés, de La Curée, des Demoiselles de village et surtout du Retour de la conférence – ce tableau-manifeste et anticlérical représentant des curés ivres sur une route – le rappellent opportunément. S’agissant de la dernière toile, ces photos étaient d’ailleurs proposées à la vente, comme l’indique la Correspondance.
En outre, la photographie, Chantal Humbert le remarque très justement dans le catalogue, en permettant de « retarder et conserver l’instant du regard », servait aussi au peintre (comme à beaucoup de ses confrères) de modèle de référence ; une série de nus féminins trouvés dans l’atelier de Courbet l’atteste. On sait que, notamment, la Baigneuse du Salon de 1853 et le modèle nu de L’Atelier eurent des telles sources.
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