Pour être plus fin, j’ai abordé les choses différemment. Ayant offert à ma belle, à l’occasion du salon du livre de Genève, un livre de cuisine africaine pour le plaisir de le posséder, puisqu'elle n’a pas besoin d’une aide dans ce sens, je me suis proposé donc de faire une comparaison du beau livre que le chef Abégan vient de publier aux éditions Michel Lafon avec le fameux livre de Genève. Sachant le groupe de femmes rodant dans les alentours avec matraques prêtes pour réprimer les écarts, je continue de veiller sur mes mots. Il faut dire que je découvre que les livres de cuisine ont un format très précis et pratico-pratique :
- Un nom de plat
- Un niveau de difficulté
- Une description des ingrédients parfois illustrée
- Une présentation plus ou moins précise de la recette
- Une photographie alléchante du résultat
Tout le reste n’est que bavardage. Le livre de Christian Abegan répond parfaitement à ce cahier de charges. Il intitule intelligemment ses plats. Le livre portant sur la cuisine Africaine, comme s’il existait réellement une cuisine « africaine », il jongle sur les mots pour avoir une approche inclusive de tous les champs possibles. Comme lorsqu’il traite de la sauce basée sur les feuilles de manioc pillées nommée « Kpem » au Cameroun, « Saka-saka ou Pondu » aux Congo. Il choisit Ravitoto (il faut prononcer « rav’toute » pour évoquer ce mets qui est également malgache. On découvre le Makayabou (congolais) aux crevettes qui ressemble forcément au bacailhau portugais, plat basé sur la morue dont les techniques de conservation auraient été introduites par ces derniers. On a droit à l’Ethiopie, Botswana, aux Antilles… Le niveau de difficulté semble assez cohérent même si pour le Rav’toute que je connais assez bien, la complexité me semble très sous-estimée. Parce que, question d’expert, comment obtient-on les 1,5kg de feuilles de manioc pillées, hein ? La présentation de la recette n’a pas de valeur ajoutée plus importante dans ce livre que dans ce que j’ai pu voir ailleurs. Le nec plus ultra de ce livre est sans contexte la présentation visuelle des plats. Il faut tout de suite dire que jene vous recommande pas la lecture de ce livre en fin d’après-midi car il va creuser votre appétit. Le photographie de ces mets succulents est excellente, la mise en scène des plats du chef nous donne envie de courir à un de ses restaurants.
Source - Christian Abégan
Un autre intérêt de ce livre réside dans les différents segments qui sont proposés aux lecteurs. Entre les recettes festives conçues pour une tribu entière, les recettes de rue, les recettes sucrées, le lecteur de cet ouvrage à plusieurs profils de plats vite faits ou élaborés. Christian Abégan personnalise le sujet, rappelant en introduction le parcours inédit d’un jeune camerounais, rejeton d’un haut fonctionnaire de son pays pour qui il était inconcevable que son fils devienne… un cuisinier. En y réfléchissant et en se référant à la littérature africaine, le cuisinier renvoie à l’idée douloureuse du nègre de maison dans le système colonial. Même si Tchicaya U Tam’Siou Muriel Diallo pour citer ces deux auteurs n’en parlent pas tout à fait en ces termes. On peut donc comprendre en tenant compte du contexte, la désapprobation du père. Christian Abégan a su quant à lui forger à une autre époque un parcours singulier, se défaire de la direction tracée pour lui, et son livre d’une certaine manière valorise remarquablement les arts culinaires d’Afrique et sa voie personnelle. Cet homme appartient à la race de ceux qui forgent leur destin à la force de leur talent inné et d’un travail sans relâche. Enfin, il prend soin d’entrecouper son livre de plusieurs notes sur le monde de la cuisine, la place des hommes dans cet univers, la nature des ustensiles en Afrique, ou encore son regard sur les perles qu'il porte constamment.Bref, un très beau livre donne envie de manger. Avec modération parce que la charge calorique de ces plats stresserait n’importe quel diététicien. Dernier regret, le kanda de ma grand mère n'est pas dans ce livre.
Le patrimoine culinaire Africain, Christian AbéganEditions Michel Lafon - beau livre.
Christian Abégan interviendra à l'Unesco dans le cadre de la Journée Mondiale du livre et de droit d'auteur
Lundi 24 Avril 2017 de 14h à 15h30 dans le cadre de la table ronde :Regards croisés sur l’Afrique littéraire d’aujourd’huiChristian Abegan, Le patrimoine culinaire africain Sophia Ammad Ghobri, Ils ont honoré la patrie, Algérie des poètes et des guerrièresKidi Bebey, Mon royaume pour une guitareSonia Houenoude, Bande-déssinée GbéhanzinJussy Kinyindou, Quand tombent les lumières du crépusculeMohamed Mbougar Sarr, Terre Ceinte