Le miroir transformant 4 : transgression

Publié le 18 avril 2017 par Albrecht

Transgressions…

 Démangeaison

(extrait de la série des Cent légers croquis pour réjouir les honnêtes gens ; 1878-1881)
Félicien Rops , Namur, Musée Rops

Le miroir explique doublement le titre : il montre le bras de la femme qui se gratte, et la face barbichue du client, attiré ici par une autre démangeaison.

Réduit à une tête, presque à un oeil vers lequel convergent les fuyantes, celui-ci représente la figure quasi-théorique du voyeur :  comblé par le miroir, qui lui présente, simultanément, le  recto et le verso de l’objet de son adoration.


Un Incident fâcheux

Icart, 1912

Même principe, réduit à l’essentiel…


Otto Dix, 1921, tableau détruit Dans le miroir (Am Spiegel)
Otto Dix, 1922, gravure

En plus du sexe décourageant de la laideronne, le miroir exhibe implacablement ces deux tue-l’amour que sont la clope au bec et la houppette à la main.

Le voyeurisme est en peinture une transgression bénigne, mais la transgression de cette transgression ne l’est pas, d’où le procès que valut à  Dix cette toile. Peu après la Seconde Guerre Mondiale, elle eut un destin semblable à son sujet, puisqu’elle finit transformée en sac à patates par un paysan.[1]

En photographie (sauf montage), le miroir est scotché à la réalité : son pouvoir de transformation se limite à une utilisation voyeuriste de cet oeil déporté, qui offre au spectateur un point de vue transgressif.

Carte postale érotique, vers 1920

Bien sûr, en première instance, le miroir est là pour nous montrer ce que la jupe cache : en ce qui concerne la cuisse , la fille coquine est celle du miroir. Mais en ce qui concerne la tête, c’est la fille du miroir qui lit et celle en dehors du miroir qui aguiche.

Dans cette drôle de photographie, le miroir ne sépare pas un monde licite et un monde interdit : il prend  scrupuleusement le contrepied de ce que la réalité lui soumet.

Helmut Newton, Vogue Paris, Mai 1997

Ici, le miroir montre ce que cachent le chapeau et le manteau.


Helmut Newton

Réciproquement, ici, le miroir habille ce que la réalité déshabille.

« Autoportrait avec June et modèles », Helmut Newton, 1981

Dans cette composition plus complexe, le miroir révèle le côté face de cette beauté sculpturale, le photographe, mais aussi une seconde femme, visible seulement par ses jambes dans le reflet.

Ainsi la partie inférieure qui , dans la réalité, manque au modèle principal, pourrait être récupérée dans le virtuel.


A côté du miroir, June contemple en direct, derrière ses lunettes rondes, exactement ce que son mari voit dans le miroir au travers de son objectif rond .

Mais elle ne peut pas voir ce que nous, nous voyons, dans le champ un peu plus large de la photographie   :

un  homme miniaturisé qui rentre la tête dans sa gabardine,
coincé entre le coude de la Beauté  Nue et celui de sa femme qui le surveille,
et garde la porte marquée « Sortie ».


Références : [1] http://www.otz.de/web/zgt/kultur/detail/-/specific/Dix-verschollene-Meisterwerke-53585792