Sa "carrière", si on peut employer ce terme, est sans doute loin d'être finie parce que l'ensemble est très réussi, qu'il s'agisse de la scénographie (on ne peut pas parler de "décor") même si la date du 17 juin est tout de même avancée pour cette session.
Pourquoi ai-je tant attendu ? Je vais vous le dire parce que vous êtes peut-être plusieurs à avoir les mêmes freins. Je ne me doutais pas du potentiel de la pièce dont je pensais très bien connaitre les ressorts. On a tort de la résumer au narcissisme d'un homme qui, par la magie d'un voeu, conserve la beauté de sa jeunesse alors que son portrait vieillira.
Or la mise en scène fait apparaitre d'autres subtilités que la démonstration prouvant que l'éternelle jeunesse est un leurre. J'ai été conquise par l'interprétation. La distribution a l'habitude de l'alternance et c'est judicieusement que le spectateur est prévenu du nom des comédiens qui jouent le soir de sa venue. Voici d'ailleurs les interprètes dont je salue le jeu.
Dans les premières secondes le plateau est nimbé de lumière bleue, envahi de fumée, et le clavecin résonne, cristallin. On tape les trois coups, trois seulement parce qu'on n'est pas au Théâtre Français (il y en avait six à l'origine).
Il va être question de théâtre, de celui de la vie. Pour le moment la comédie se joue au cabaret des âmes perdues.
Un peintre vient d'achever un portrait dont il est si fier qu'il ne veut l'exposer nulle part.
Le modèle, Dorian Gray, est en fait manipulé par son ami Henry, personnage "faustien" s'il en est, lequel ne lui veut pas que du bien, et dont le cynisme n'a d'égal que la misogynie. Dorian troque son âme contre la jeunesse éternelle.
La pièce, écrite par un anglais, baigne dans un humour très british. Sa qualité essentielle est de faire entendre le texte. On reconnait les aphorismes chers à Oscar Wilde, et qui l'ont rendu si célèbre dans la bouche de Lord Henry ce qui laisse croire que l'auteur s'est davantage caché derrière ce personnage que derrière celui de Dorian. Il disait pourtant :
" Basil est ce que je pense être, Henry ce que les gens pensent que je suis et Dorian ce que j'aurais aimé être en d'autres temps. "Beaucoup de répliques sont connues : L'unique charme du mariage c'est le mensonge (...) Les femmes se marient par fatigue. Les hommes par curiosité. Tous sont déçus. (...) Le génie dure plus longtemps que la beauté (sous-entendu la laideur n'est pas un handicap, le manque d'intelligence oui).
Le théâtre est singulièrement plus réel que la vie.
La comédie tourne au drame. La comédienne qui interprète tous les rôles féminins est formidable.Elle danse et chante à la perfection. Ce n'est qu'aux saluts qu'on réalise qu'elle s'est détriplée. Au-delà sans doute d'une nécessité pratique il est intéressant que la femme soit en quelque sorte unique.
J'aurais aimé voir jouer Arnaud Denis dont je me souvenais de la performance dans Autour de la folie, mais Valentin de Carbonnières est juste parfait. Je regrette bien entendu aussi de n'avoir pas vu jouer Thomas Le Douarec qui, depuis dix ans, reprend sans cesse cette oeuvre, dont il retouche la mise en scène à l'instar d'un peintre qui peaufinerait un portrait ... mais j'ai passé un excellent moment. Je n'ai pas idée de ce que pouvait être la première adaptation de Thomas Le Douarec (celle-ci est la cinquième) mais j'approuve les murmures que j'entendais dans la salle aux saluts : ce portrait est un chef d'oeuvre.Le Portrait de Dorian Gray d'après le roman éponyme de Oscar Wilde
Mis en scène par Thomas Le Douarec
Avec Arnaud Denis (ou Valentin de Carbonnières), Caroline Devismes (ou Lucile Marquis), Fabrice Scott et Thomas Le Douarec.
Artistic Théâtre 45 bis, rue Richard Lenoir 75011 Paris
Selon les jours : 17h00 18h00 20h30 21h00
Tél. location : 01 43 56 38 32
Prolongé jusqu'au 17 juin 2017