Dans le cadre de son cycle de conférences sur les « pratiques des lecteurs » et à l’occasion du festival Quais du Polar à Lyon, Babelio a présenté le 31 mars dernier une nouvelle étude sur les lecteurs de polar. Pourquoi lisent-ils des romans policiers ? Font-ils la différence entre roman noir et thriller psychologique ? Qui sont leurs enquêteurs préférés ?
Pour répondre à ces questions et en savoir plus sur ce lecteur accro aux frissons, Babelio a mené une enquête du 20 au 27 février 2017, auprès de 4 771 répondants au sein de sa communauté d’utilisateurs. Les résultats, présentés par Octavia Tapsanji, responsable des relations éditeurs, et Guillaume Teisseire, co-fondateur de Babelio, ont notamment été mis en parallèle avec les résultats obtenus grâce à une précédente étude effectuée trois ans plus tôt, en 2014.
Des lecteurs conquis et curieux
Comme de coutume dans les enquêtes sur le lectorat de Babelio, on trouve chez les répondants une majorité de femmes (80%) et d’adultes : 60% des lecteurs interrogés ont entre 25 et 54 ans. La première chose que l’on constate est que le polar est un genre très répandu auprès des lecteurs puisqu’ils sont 93% des répondants à affirmer en lire. Les 7% qui n’en lisent pas, qui représentent un peu plus de 300 personnes, ont donné plusieurs raisons à cela : alors que certains préfèrent suivre des enquêtes policières à la télévision ou au cinéma, d’autres admettent qu’ils connaissent mal le genre, lui en préfèrent d’autres ou ont un besoin de s’évader auquel les polars ne répondent pas. Quelques critiques ont également été émises concernant le genre policier, qui a été jugé trop lassant et répétitif, et parfois trop violent.
Les lecteurs interrogés sont également de grands lecteurs : 95% d’entre eux lisent un livre par mois et 40% un par semaine. Pour plus d’un tiers des lecteurs, le polar représente plus de 50% de leurs lectures. Un autre tiers des lecteurs est quant à lui un public curieux, puisque les romans policiers représentent moins de 25% de leurs lectures.
Pourquoi lire du polar ?
C’est d’abord la construction des romans policiers qu’apprécient les lecteurs, puisqu’ils se dirigent en majorité vers le polar pour le suspense des enquêtes et pour leurs intrigues. En second lieu, ce sont les personnages et leur psychologie atypique qui plaisent aux lecteurs. Ils sont également nombreux à apprécier la dimension sociétale des romans policiers et à aimer se plonger dans des géographies et milieux différents. Enfin, si les lecteurs apprécient ces enquêtes, c’est également parce qu’elles leur permettent de s’évader et leur offrent un vrai divertissement.
Quelques réponses surprenantes ont aussi été relevées, qui reflètent de manière très anecdotique une certaine fascination pour les meurtriers : “1275 âmes m’a aidé à ne tuer personne”, avoue ainsi un répondant.
Le polar ou les polars ?
Loin d’être un sous-genre, pour 55% des lecteurs interrogés, le polar est devenu un genre littéraire reconnu par tous. Pourtant, 40% des personnes interrogées pensent que sa reconnaissance s’améliore progressivement ou reste à acquérir.
75% des enquêtés font la différence entre les genres et sous-genres de polar : historique, roman noir, thriller psychologique, fantastique… On peut ainsi noter une légère différence de lectorat pour les romans noirs, qui séduisent davantage les hommes que les autres sous-genres.
Si les polars français sont les plus appréciés des répondants, suivis de près par les polars américains, scandinaves et anglais, c’est surtout la variété que semblent apprécier les lecteurs : quelques pays plus inattendus ont également été mentionnés par les lecteurs, comme le Japon et l’Afrique du Sud.
Enfin, ce sont essentiellement les grandes figures du polar qui ont introduit les lecteurs aux romans policiers, comme en témoignent les auteurs classiques Mary Higgins Clark, Georges Simenon, et Arthur Conan Doyle, et les auteurs contemporains Fred Vargas et Harlan Coben, qui occupent le haut du classement. Ils sont cependant distancés, et de loin, par Agatha Christie, qui a introduit 1 336 répondants au polar : cela représente près de 10 fois l’auteur qui arrive en seconde position, Mary Higgins Clark (186 citations). Étonnamment, Enid Blyton, l’auteur du Club des cinq, fait également partie des auteurs ayant amené les lecteurs vers le roman policier.
Des lecteurs de plus en plus tournés vers la lecture numérique
Si les lecteurs Babelio sont des lecteurs connectés, ce sont avant tout de grands lecteurs qui multiplient les lieux d’achat sans être exclusifs : la librairie, les grandes surfaces culturelles et les sites de vente en ligne sont ainsi les trois réseaux d’achat privilégiés par les enquêtés. Cette distribution des ventes est relativement similaire à celle des autres genres.
Les lecteurs ont ensuite été interrogés sur le format de leurs lectures, et notamment sur la part du format poche et numérique. Tandis que deux tiers des lecteurs lisent majoritairement en poche, ils sont 42% à lire du polar en numérique : parmi les différents sujets testés dans l’étude de 2017, c’est celui pour lequel on mesure l’évolution la plus importante en comparaison avec l’étude de 2014, puisqu’ils n’étaient que 28% des répondants il y a trois ans.
Concernant le prix attendu des romans, on constate tout d’abord que les attentes des lecteurs n’ont pas varié en trois ans : ils s’attendent toujours à acheter un polar en poche au prix de 8 € et en grand format au prix de 19 €. En revanche, il n’y a pas de consensus sur le prix du livre numérique -sinon que les lecteurs ne veulent pas le payer plus cher qu’un grand format.
L’importance du bouche-à-oreille
Les lecteurs ont ensuite été interrogés sur la façon dont ils découvrent de nouveaux romans policiers. Pour la plupart d’entre eux, c’est le bouche-à-oreille qui est le principal vecteur de découverte, puisqu’ils s’appuient surtout sur Babelio et sur les avis de leur entourage. Les médias traditionnels viennent en troisième position, suivis par la librairie. Les lecteurs de polars de Babelio n’étant pas exclusifs, les sites et forums spécialisés n’ont été que très peu cités.
Très informés, ces grands lecteurs ne ressentent pas nécessairement le besoin de se fier aux prix littéraires ; de fait, seul un tiers des lecteurs interrogés y est attaché. Si les principaux prix littéraires (Prix Polar SNCF, Prix Quai des Orfèvres, Prix Polar de Cognac, Prix Quais du Polar) sont bien connus des répondants, on note en outre une légère progression dans la connaissance des prix, par rapport à 2014. Le Prix Polar SNCF est ainsi connu de 76% des lecteurs, alors qu’ils étaient 60% à le connaître en 2014.
Finalement, les critères principaux auxquels sont attachés les lecteurs lorsqu’ils choisissent un livre sont l’univers du livre, son sujet, le résumé et le nom de l’auteur. En revanche, la maison d’édition semble avoir peu d’influence sur le choix des lecteurs puisque seul un tiers d’entre eux y accorde de l’importance. Alors que les maisons d’édition et collections emblématiques sont les plus connues des lecteurs (Actes Sud, Rivages, Babel Noir, Points, 10/18 et Sonatine), quelques nouvelles maisons d’édition et collections se distinguent également, notamment La Bête noire de Robert Laffont.
D’Adamsberg à Cormoran Strike
Les lecteurs ont ensuite été interrogés sur une figure emblématique du roman policier : l’enquêteur. Ils sont ainsi 58% à indiquer être attaché à un personnage récurrent. Sur le podium, trois personnages classiques séduisent les lecteurs : Jean-Baptiste Adamsberg, le héros de Fred Vargas, Kurt Wallander, le commissaire créé par Henning Mankell, et le détective belge Hercule Poirot, d’Agatha Christie.
Si plus de la moitié des lecteurs restent attachés à la figure d’un héros récurrent, ce nombre a cependant baissé par rapport à 2014, où ils étaient 66%. Si le succès de certains one shot tels que La Fille du train ou Les Apparences peut expliquer cette baisse, il semblerait tout de même que l’émergence de nouveaux enquêteurs et de nouvelles séries à succès soit encore possible, comme en témoigne l’entrée dans le classement de Yeruldelgger, le héros créé par Ian Manook, et de Cormoran Strike, le détective privé de Robert Galbraith, alias J.K. Rowling.
Du noir vers la blanche
Enfin, les lecteurs ont été interrogés sur les publications croisées et plus particulièrement la publication d’auteurs de romans policiers dans des collections de littérature blanche. Pour cela, l’exemple de la saga Malaussène de Daniel Pennac, passée en 30 ans de la Série Noire à la Blanche de Gallimard, a été proposé aux lecteurs interrogés. Les réponses sont très partagées : tandis que certains répondants s’accordent à dire que cela peut amener de nouveaux lecteurs vers le polar et apprécient ce décloisonnement des genres ainsi que la légitimité que cela donne aux romans policiers, d’autres regrettent ce manque d’identification. En effet, ils trouvent bon que les polars soient identifiés comme tels et déplorent le manque de caractère des couvertures de littérature générale.
Suggestions et conclusions
Par rapport à l’étude réalisée en 2014, la progression de la lecture numérique est finalement la principale évolution constatée, puisque le polar s’impose, avec la romance, comme le genre le plus lu sous ce format. Les lecteurs ont par ailleurs souhaité encourager les maisons d’édition de romans policiers à communiquer davantage sur les réseaux sociaux et à y être plus présents.
Très informés et en capacité de choisir entre les différents sous-genres, les lecteurs de polars invitent logiquement les éditeurs à soigner leurs couvertures et quatrièmes de couvertures, à y être éclairants tout en faisant attention à ne pas y dévoiler des éléments clés de l’intrigue.
Enfin, malgré leur préférence persistante pour les polars français, anglo-saxons et scandinaves, ils ont souhaité encourager les éditeurs à publier plus d’auteurs de nationalités moins représentées par le genre.