Mais nos pérégrines préférées, toujours prêtes à chasser nos émotions résiduelles, ce sont les tibétaines qui accompagnent les rituels, en habits sonores de bronze, d’argent et d’or.
La cloche et la foudre
Instrument rituélique indispensable du bouddhisme tibétain, la cloche à main drilbu accompagne les prières et les mantras. En sanskrit, on la désigne sous le nom de vajra ghanta, c’est-à-dire « la cloche dont le manche a la forme d’un vajra ». Pour les hindous, le vajra symbolise la foudre du dieu Indra alors que pour les tibétains, il est le dorjé, le Seigneur du diamant, la nature indestructible de la vacuité.
Qu’on l’appelle selon les traditions drilbu ou ghanta, l’usage de cette petite cloche s’est répandu dans le monde asiatique du Japon à l’île de Java. Le drilbu et son inséparable dorjé forment les deux éléments indissociables des rituels bouddhistes qui montrent à la fois l’interdépendance des éléments mis en vibration et l’illusion permanente de ces phénomènes.
« La cloche, claire connaissance qui connaît et la foudre vajra, concentration sans pensées discursives, ces deux instruments ont beau être différenciés par leurs noms, je fais le vœu qu’ils ne fassent qu’un en l’état d’union mystique. »
Le corps sonore de la divinité
La cloche drilbu a un son clair mais ample qui se maintient dans le temps, se transformant en murmure intérieur et subliminal. Les meilleurs instruments sont coulés dans un alliage appelé li. Mais il existe au moins quatre sortes d’alliage avec des teneurs différentes en zinc, en cuivre ou en bronze. Selon certaines sources orales, les manches des drilbus fabriqués dans la vallée de Katmandou, seraient constitués de cuivre, d’étain et de zinc, alors que de l’or et de l’argent entreraient dans la composition des corps des instruments. Mais beaucoup de ces cloches ont été fondues dans un alliage fait à partir d’objets courants récupérés lors de l’exode du Tibet vers l’Inde.
L’aspect de la cloche est très codifié, à l’image du corps d’une divinité. Khog-pa, le corps de la cloche, abonde de symboles bouddhiques, de bîja-mantras et d’ornementations. Son sommet bombé, son « cerveau », est entouré d’une double couronne de lotus. Celle à l’extérieur est constituée de huit pétales et syllabes-germes alors que celle à l’intérieur accueille une quarantaine de pétales en rangées très serrées.
La jupe décorée de la cloche se subdivise en trois registres tout comme la voix s’exprime sur différentes tessitures, de l’aigu jusqu’au grave. En haut, des perles et des dorjé ; en dessous des têtes de monstres et les emblèmes des cinq familles de bouddhas. Et enfin, à l’endroit où la jupe de la cloche s’évase pour former la « bouche », l’ouverture inférieure, se dressent des dorjé disposés verticalement.
Su la face interne de la cloche, son temple intérieur, sont souvent gravées les trois syllabes sacrées OM AH HUM et sur son dôme un lotus entoure l’anneau où sera attaché le battant, la « langue de la cloche», dril-lce en tibétain. Son manche est parfois surmonté d’un demi dorjé à cinq ou neuf pointes et d’une tête couronnée qui repose sur un vase bumpa.
La cloche qui chante « sha-la-la »
Selon le très érudit Bsod-nams blo-gros du monastère de sMan-ri, les trois catégories de gshang correspondent à l’abolition des Trois poisons que sont le désir, la haine et l’obscurité mentale.
« Que les cinq syllabes-germes soient gravées à l’intérieur, nous précise-t-il dans un long texte symbolique. Qu’elle porte à l’intérieur les huit signes de bon augure, signe que tous les êtres parviendront à la félicité. Quant aux rayons du soleil qui la strient à l’extérieur, c’est le signe de la purification des obscurités du monde de la transmigration. Qu’il y ait un trou au milieu afin que les six catégories d’êtres vivants prennent le chemin du Milieu. Que la poignée soit faite en feutre blanc afin qu’après l’avoir saisie, tous les êtres s’enracinent dans une vie pure… »
La Pâque universelle
A l’intérieur de la cloche gshang, trois cercles concentriques symbolisent les trois corps de la tradition bön. Huit signes de bon augure y sont gravés et près du battant, les cinq pointes de la roue des terribles tournent inlassablement. On peut y lire les bîjas-mantras des cinq bouddhas, « les cinq syllabes des héros » : AH-OM-HUM-RAM-DZA.
Des mantras à répéter inlassablement aux sons des cloches du Tibet et d’ailleurs. Des mantras où se mêlent les phonèmes de toutes les langues, celles des hommes, des oiseaux, des demi-dieux et des prophètes. Ils mettent en vibration les germes sonores de votre renaissance, la Pâque universelle qui transforme le cœur de l’être.
Philippe Barraqué, musicologue, musicothérapeute (Université Paris8)
- Derniers ouvrages de l’auteur : Mantras de guérison (éditions Trédaniel), Le yoga du son (éditions Trédaniel)
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