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Interview : Design Percept – Françoise Mamert et Clémentine Chambon

Par Vincent Espritdesign @espritdesign

C’est à Bastille dans un studio où respire la collaboration fructueuse que nous nous rendons pour rencontrer Clémentine Chambon et Françoise Mamert, duo aussi créatif que passionné sous le nom Design Percept.

 Design Percept - Françoise Mamert et Clémentine Chambon ©Stéphane Remael

Design Percept – Françoise Mamert et Clémentine Chambon ©Stéphane Remael

1 – Comment s’est formé votre duo ?


Clémentine Chambon (CC): Nous nous sommes rencontrées en 2004 sur un Appel à Projet du VIA  (Valorisation de l’Innovation dans l’Ameublement) et nous ne nous sommes pas vraiment quittées  jusqu’à la création de l’agence en 2008.

Françoise Mamert (FM): C’est un ami designer qui nous a fait se rencontrer. Clémentine avait  besoin de voir quelqu’un sur son projet Rideau Lumière, un voilage d’ameublement lumineux tissé en  fibres optiques, en 2004 le tissage de fibre optique était très difficile à réaliser industriellement sur une  hauteur de 2,80 – 3 mètres.

Interview : Design Percept - Françoise Mamert et Clémentine Chambon ©Design Percept

©Design Percept

CC : Je n’avais pas réellement d’expérience dans les matériaux textiles. Le premier prototype d’usine  a été très compliqué à faire, cela n’avait pas été possible d’échantillonner, ça ne fonctionnait pas.

FM : Il y avait aussi une question de visuel. Le textile c’est quelque chose que l’on rencontre tous les  jours, que l’on porte sur soi, mais en réalité il a toujours été considéré avec une image très féminine.  C’est quelque chose de complexe, et ça prend du temps pour en comprendre le langage, le textile  peut être un matériau transhistorique, comme le lin par exemple. Quand j’ai rencontré Clémentine, j’ai tout de suite compris que le prototype ne fonctionnait pas. Nous sommes parties du visuel 3D pour élaborer l’étude et la structure de ce projet Rideau Lumière.

CC : Lorsque nous venons d’un cursus d’architecture intérieure /design, nous faisons des maquettes,  étapes par étapes et nous nous dirigeons vers le produit final.  Nous visualisons le projet progressivement, avec le textile la logistique de ces étapes là est plus  complexe et ça peut être assez frustrant !

Lorsque cette rencontre avec Françoise s’est faite, nous nous sommes très bien entendues. J’avais  confiance dans sa vision, je comprenais qu’elle voyait ce que je voulais, et que nous irions ensemble  au même endroit.

FM : Vous savez, vous rencontrez des créatifs et parfois ça ne fonctionne pas. C’est à dire que cette  fois-ci, avec Clémentine nous avons bien collaboré, nous avons fini par réussir. Techniquement et  intuitivement, une esthétique commune s’est révélée.

CC : Oui c’était une superbe expérience, nous avons exposé le projet à Paris et au Salon du Meuble  à Milan. Nous sommes restées en contact après cette complexe et riche expérience. À l’époque j’étais dans l’agence de Marc Newson (designer Australien .ndlr) je travaillais sur le projet de l’A380  pour la compagnie aérienne Qantas, un très beau projet. J’étais chef de projet Colour&Trim  (couleurs/matières), Mood lighting (scénarios de lumière) et soft product (linge de confort). Il y avait  beaucoup de textiles notamment dans Colour&Trim et dans le linge de confort de l’avion.

Nous  avons continué à échanger avec Françoise car finalement ce matériau m’intéressait vraiment. Ce qu’il  y a d’extraordinaire dans le textile lorsque nous ne venons pas de ce domaine, c’est que nous avons  une perception de quelque chose d’infini dans les possibilités de création, on se dit “puisque je peux  travailler sur la qualité de la matière que je crée, alors je peux vraiment créer un projet très global”.

2 – Et concernant vos influences ?


FM : Chacune garde sa façon de voir et ensuite nous arrivons à les articuler, les provoquer, c’est  notre façon de travailler.

CC : Nous avons des personnalités, des parcours, des expériences et des âges différents, nous  avons des univers créatifs et techniques personnels qui sont liés à notre vécu, enfance, culture,  étude. Nous existons dans nos discussions avec notre propre histoire. Cela pourrait sembler difficile  mais nous arrivons à trouver des solutions nouvelles en nous questionnant sur les contraintes et les  usages. Notre démarche s’inscrit avec beaucoup de partage au regard du problème posé  Nous sommes différentes sur les étapes qui nous amènent au projet, mais nous avons la même  vision conceptuelle des choses. S’il n’y avait pas cela nous ne nous serions jamais associées.

FM : Personnellement je peux prendre un projet à n’importe quel stade, cela ne me gêne pas. Ce qui  m’intéresse, c’est la manière de développer les idées – il nous arrive parfois de ne pas être en accord.  Mais en réalité c’est vraiment notre approche exploratoire qui fait que les choses finissent par  fonctionner. Sans frustration, nous acceptons nos différences, c’est très important.

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3 – Et votre formation, votre parcours ?


CC : J’ai fait un an de cours préparatoire à Penninghen puis l’École Boulle, une formation solide, où  j’ai obtenu un BTS architecture intérieure et un DSAA en design d’environnement. J’ai rencontré en DSAA le designer François Azambourg comme enseignant, cette rencontre a été vraiment  déterminante pour moi. Entre ces deux diplômes, je suis partie un an à L’UQÀM (Université du  Québec À Montréal), ce fut une année très intéressante car j’ai pu profiter de beaucoup de liberté ; on  y trouve des équipes d’enseignants designers très bienveillants, qui vous accompagnent et  s’engagent par rapport au projet que vous porté. C’était une autre manière de penser cette  pédagogie m’a vraiment marquée.

Il y a aussi l’expérience de 3 – 4 ans chez Marc Newson dans une équipe forte avec des designers  internationaux. Ils ont une certaine liberté que nous n’avons pas forcément en France, notamment la  personnalité de Marc Newson. Son équipe était en grande partie composée d’Australiens, de New  Zélandais. Même par rapport aux formes, à la couleur, nous n’avons pas les mêmes références. En  France, il y a toujours un peu de complexe à aborder la forme.

Dans l’agence de Marc Newson, il y  avait une ouverture par rapport à cela, ce qui m’a beaucoup plu – ça a été très fondateur.

FM : J’ai fait des études de design textile, Ecole Duperré et les Beaux-Arts de Paris. je suis allée en  Afrique pendant deux ans, puis au Mexique et j’ai passé un concours pour enseigner à l’Ecole Duperré en Design de mode&environnement option textile-matériaux- surface L’enseignement auquel  je ne me destinais absolument pas m’a passionnée, la recherche, le travail d’équipe particulièrement.

C’est fondamental pour moi, je ne vois pas ce que l’on peut faire sans, il y a un partage, une  circulation d’idées importante et intéressante. J’ai pu travailler avec des personnalités très différentes, des étudiants talentueux, c’était vraiment passionnant. Dans les années 80 j’ai rencontré Patrice  Hugues lors d’un colloque sur le textile, une véritable initiation, la relation entre l’objet-tissu et le sujet,  sa personnalité, sa réflexion sur le tissu, la publication de son livre « Le langage du Tissu » en 83, la  dimension civilisationnelle du textile bien éloigné d’une définition conventionnelle que l’on rencontrait  à l’époque, peut s’appliquer sans restriction à la création.

Au début des années 2000 La Chine, un mois par an pendant cinq ans, après avoir participé à une  commission d’expertise au centre Franco- chinois des Métiers de la Mode du Jiangsu à Suzhou, je  fus désignée par l’éducation nationale et l’Ecole Duperré pour une mission éducative en temps que  coordinatrice et chef de mission pour monter une équipe pédagogique pour former les étudiants  chinois en création mode. Plus qu’une expérience, une curiosité de la Chine, un accueil de l’équipe  chinoise, de son directeur, les multiples facettes des étudiants chinois, cela ne peut pas s’oublier !  En 2013, nous avons monté de nouveau un projet pédagogique avec Clémentine.

CC : Oui, c’était un Workshop Mode&Design avec l’entreprise Décathlon (Oxylane) B’Twin nous leur  avons proposé d’aller en Chine et de développer ce workshop avec Suzhou Art&Design Technology  Institute, Cette marque est implantée dans de nombreux pays dont la Chine, il est important pour eux  d’avoir une réponse locale, d’ancrer un produit dans la culture d’un pays. Nous avons travaillé autour  du vélo comme moyen de transport urbain, en Chine le vélo encore symbole de pauvreté par rapport  à la voiture retrouve actuellement une image dynamique et branchée, le vélo partagé conquiert la  Chine. Le thème du workshop la customisation du casque de vélo s’est déroulé sur quinze jours avec  beaucoup de passion de la part des étudiants chinois et d’intérêt pour l’équipe Décathlon Oxylane.

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4 – Pouvez-vous nous parler de votre projet avec Dior ?


CC&FM : C’était une mission de sourcing-matériaux, très intéressante, nous avons travaillé avec les  équipes d’architecture intérieure du département Parfums Christian Dior. Ils nous ont contactées pour  les accompagner sur les matériaux de leurs nouveaux espaces de vente dans les grands magasins, les centres commerciaux de luxe internationaux – d’ailleurs nous avons vu une partie de ces corners lorsque nous sommes allées en Chine. Nous pouvons travailler à la fois en proposition de création et à la fois en prestation, ça nous amuse on a toujours mené ces deux compétences en parallèle. Nous n’avons pas de préférence, cela dépend du projet, du client, du contact avec lui – tout peut devenir passionnant selon les équipes.

L’équipe Dior était très intéressante car fondamentale dans son  approche : les membres de l’équipe mettaient en place une nouvelle démarche, pour une approche à  la fois très émotionnelle et technique des matériaux, c’était vraiment un très bon cahier des charges.  On a travaillé avec eux pendant presque un an, on a fait pas mal de showroom, d’éditeurs, de  sélections, ils étaient très gourmands, on leur apportait des échantillons différents, des tissus, des  tapis, des revêtements…

Interview : Design Percept - Françoise Mamert et Clémentine Chambon ©Design Percept

©Design Percept

Ce qui est amusant et intéressant dans les prestations c’est qu’il y a souvent une recherche d’outils et une approche pédagogique. Il y avait beaucoup de textiles à présenter, nous nous sommes questionnées et avons fait le choix de les montrer par planches matériaux et non de manière isolée.

5 – Pour vous, quelle est votre pièce iconique, fétiche ?


CC : Je trouve cela difficile à dire, je dirais plus fondatrice. Et je m’intéresse davantage à ce qui va  arriver qu’à ce qui s’est déjà passé. Si l’on doit vraiment parler d’un projet fondateur c’est celui du  textile éclairant Eight-part fugue pour la Nouvelle Ambassade de France à Pékin (architecte Alain  Sarfati, architecte d’intérieur Cécile Roudier).

C’était pour nous l’occasion de créer et de développer  de manière industrielle la suite du prototype du Rideau Lumière.

FM : Je crois qu’en fait le plus intéressant c’est de rencontrer de nouvelles problématiques, de nouvelles hypothèses après un projet terminé, tout en gardant le vécu du projet pour questionner les méthodes utilisées, les reformuler autrement pour nourrir les prochaines étapes de création.

6 – Votre méthode de travail ?


FM : Par exemple, on peut parler du projet Artwork Lili pour l’Hotel Peninsula à Paris. A différentes  étapes de ce projet, nous avons travaillé à l’échelle réelle, en faisant se rencontrer des méthodes  traditionnelles de représentation à la main et les outils numériques actuels. Cela peut surprendre  mais c’est une bonne méthode de vérification.

CC : Pour chaque projet, nous avons mis en place ensemble des outils qui nous permettent de mieux  construire les étapes de prototypage pour se rapprocher de l’objet final. Cela nous permet aussi  d’échanger sur ce que l’on voit, de vérifier toutes les deux quelle direction prendre.

Je trouve que dans notre travail tout se tient sur un fil, les projets peuvent constamment basculer,  perdre tout leurs sens à pas grand-chose. Ça va dépendre à la fois de la transcription, du matériau, de la mise en situation de l’ensemble. Garder ce cap demande beaucoup d’étapes de validations  intermédiaires. Après évidement nous incluons toujours les équipes des partenaires ou clients, ça reste un travail très collectif.

Interview : Design Percept - Françoise Mamert et Clémentine Chambon ©Design Percept

©Design Percept

FM : le Peninsula, un important projet d’innovation. Cela a duré presque 2 ans pour que les architectes acceptent l’idée, ils nous demandaient si nous étions sûres, si ça allait fonctionner, les prises de décision sont souvent longues, la forme de dialogue qui accompagne ce genre de projet se différencie d’un modèle conventionnel.

artwork LiLi - TEXTILE ÉCLAIRANT Hôtel Peninsula Paris

artwork LiLi – TEXTILE ÉCLAIRANT Hôtel Peninsula Paris ©Design Percept

artwork LiLi - TEXTILE ÉCLAIRANT Hôtel Peninsula Paris

artwork LiLi – TEXTILE ÉCLAIRANT Hôtel Peninsula Paris ©Design Percept

CC : Pour l’étude de ce projet, on a fait un mix de techniques en passant par la maquette, l’ordinateur, le prototypage…  Je fais toujours beaucoup de maquettes, c’est important pour moi. Ça permet d’avoir un outil de  discussion intéressant.

FM : le textile motif je le travaille beaucoup par croquis, montages graphiques et traductions  numériques.  Par exemple, pour un tapis édité par Roche BoBois, Flower Project, j’ai créé des graphismes composés des fragments échelle 1 retravaillé à la main, la mise au point passe par l’ordinateur puis le  suivi de fabrication avec l’équipe de direction artistique.

CC : On n’arrête pas de se déplacer sur les lieux de fabrication, il y a beaucoup de recherche et les  projets se créent aussi sur ces lieux.  Chaque étape est importante, si une finition est ratée, tout le projet en souffre. Ça demande  beaucoup d’exigence.

Elliptic lamp

Elliptic lamp ©Design Percept

Elliptic lamp

Elliptic lamp ©Design Percept

Elliptic lamp

Elliptic lamp ©Design Percept

7 – Globalement, quels sont vos prochains projets ?


CC : Nous menons en ce moment des missions très différentes avec des grandes entreprises françaises dans les matériaux d’environnement ou les transports. Nous ne pouvons pas les dévoiler pour des raisons de confidentialité.

Nous sommes sollicitées de plus en plus plus en amont sur des projets d’innovation, ce qui nous  passionne, les questions que l’on nous posent concernent souvent l’émergence des attitudes de vie ou de consommation passant par les nouvelles technologies.  “Comment penser des nouveaux usages par tels ou tels matériaux”, “qu’est-ce que tel dispositif peut  apporter comme nouvelles attitudes, comme nouveau mode de vie…”etc.  Parfois ces missions de conseil d’innovation se prolongent par la création d’objets, mais pas toujours.

8 – Et en terme d’éco-responsabilité, tendez-vous sur des innovations vertes, vers l’éco-design  ?


CC : On travaille à la fois dans le respect et l’intelligence des matériaux. Nous sommes très concernées par la problématique de l’énergie et des coûts de productions associés.

FM : Les entreprises avec qui nous travaillons ont un département R&D, elles sont constamment en  recherche de nouvelles solutions. Par exemple, Vitruvian Project, projet soutenu par EDF, deux  vêtements producteurs d’énergies, des cellules solaires photovoltaïques de 3ème génération sont  intégrées dans le support textile et complétées par des éclairages OLEDs.

Tous nos appareils nomades consomment de plus en plus d’énergie, avec ce projet chacun peut  capter et produire son énergie ou la partager avec d’autres personnes.

Un grand merci à Françoise Mamert et Clémentine Chambon pour cette interview passionnante, ce  moment agréable et leur grande sympathie.

Plus d’informations sur le studio : Design Percept

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