J'ai souvent eu l'occasion sur ce blog d'évoquer la mobilité internationale des capitaux, présentée par certains comme une condition sine qua non de la croissance de la production. Or, il serait peut-être temps de constater que la finance est désormais loin d'être au service de l'économie réelle, pire la première est en passe de phagocyter la seconde avec la complicité à peine voilée de certains politiques sur lesquels un regard extérieur avait été porté dans ce billet...
La mobilité des capitaux
En dehors de la Chine, la plupart des grands pays du monde ont choisi de laisser les capitaux circuler librement sur la planète et donc de faire disparaître les contrôles. L'ouverture de l'abreuvoir à liquidités aux États-Unis puis dans la zone euro ces dernières années a d'ailleurs poussé à l'extrême les incitations à la libre circulation des capitaux, mais pas toujours dans la direction escomptée, tant s'en faut !
Les gouvernements invoquent en premier lieu le fait que la libre circulation des capitaux conduirait à une meilleure allocation mondiale de l'épargne. De plus, cette mobilité des capitaux permettrait de s'endetter lorsque la croissance ralentit, bref de lisser le cycle économique. Enfin, elle assurerait le transfert optimal de l'épargne des pays avec une population vieillissante vers les pays où la population est plus jeune, en ce que les premiers accumulent des excédents extérieurs qu'ils prêtent aux seconds. En résumé, la mobilité internationale des capitaux serait une sorte de martingale de l'économie.
Or, les martingales n'existent pas et les faits économiques le prouvent ! Ainsi, si l'on reprend les arguments évoqués ci-dessus dans l'ordre, l'exemple des relations sino-américaines suffit à montrer que les capitaux ne vont pas des pays à faible productivité marginale du capital vers ceux à forte productivité. De même, il n'est pas difficile de constater que loin d'être contracycliques, les flux de capitaux vers les émergents sont le plus souvent procycliques, ce qui signifie simplement qu'un pays en récession voit les capitaux affluer quand il fait beau temps mais que ces derniers refluent lorsqu'il y a de l'orage. Il n'y a guère que l'argument du transfert entre pays à démographie vieillissante et jeune qui justifie encore un peu la mobilité des capitaux, mais l'argument tombe à l'eau pour les émergents situés en Asie.
Ainsi, la mobilité sans entraves des capitaux ne trouve plus guère de justification économique. Et pourtant, à l'image des autres concepts "zombie", les financiers nous martèlent que c'est indispensable à la croissance, négligeant de la sorte toutes les questions de blanchiment, d'évasion fiscale et autres effets pervers qui l'emportent souvent sur les rares effets positifs !
Mais on ne le répétera jamais assez : la finance n'a pas pris le pouvoir sur le politique, c'est le politique qui a volontairement abdiqué devant la finance, faisant même entrer dans les gouvernements et la haute fonction publique des financiers qui se déclarent pour certains d'entre eux anti-système... Cela devrait nous rassurer, en ce qu'il demeure possible de reprendre ce pouvoir dans l'intérêt commun, même si le combat s'annonce difficile ! Et la limitation des mouvements internationaux de capitaux en est la première étape, qu'elle passe par une taxe sur les transactions financières ou par des contrôles plus directs.
Les paradis fiscaux
À l'évidence, les gouvernements ont compris à leurs dépens depuis la crise de 2008 l'importance de contrôler les capitaux, ne serait-ce qu'en raison des scandales qui se multiplient à la Commission européenne, des affaires comme LuxLeaks, Panama Papers ou Football leaks, des banques européennes très souvent en difficulté mais avide de cieux fiscaux plus cléments, etc.
D'où l'accélération des mesures prises par les dirigeants politiques depuis quelques années pour lutter contre les paradis fiscaux et l'évasion fiscale afin d'engranger des recettes budgétaires supplémentaires. Il est vrai que l'évasion fiscale (voir ce billet récents) vers certains cieux plus cléments fiscalement a grandement contribué à siphonner leurs recettes budgétaires, ce qui a nécessité de faire porter l'imposition sur ceux qui ne peuvent s'y soustraire au risque de déliter le consentement à l'impôt pourtant fondamental en démocratie. Las, au vu de la concurrence fiscale mortifère à laquelle se livrent les États membres de l'UE, la distinction entre État vertueux et paradis fiscal devient de plus en plus tenue...
Et avec l'apparition de monnaies électroniques comme le Bitcoin, qui offre une forme très avancée d'anonymat, on ne peut ignorer les risques de blanchiment d'argent sale ! N'est-ce pas en particulier pour cette raison que les régulateurs financiers du monde entier s'intéressent de près au triptyque Bitcoin-Tor-Dark web ?
Et depuis la vague d'attentats que connaît la France, le gouvernement (mais l'on pourrait en dire autant de l'immense majorité des autres gouvernements de l'UE) vient de redécouvrir que les terroristes utilisent eux aussi la finance internationale libéralisée pour se sustenter. Le plus triste dans l'affaire est que si les capitaux ont la bride sur le cou pour se déplacer d'un compte à l'autre sur la terre au risque avéré de financer les activités illicites, mafieuses ou terroristes, les travailleurs quant à eux subissent toujours des entraves à la circulation alors même qu'ils sont les seuls à créer de la richesse !