C’était, me semble-t-il, en 1961. J’étais au Parc des Princes quand Anquetil a gagné l’épreuve. Le mécontentement du public, dans ma mémoire était associé à l’absence de Roger Rivière, qui avait gravement chuté l’année précédente et à qui, pourtant, Anquetil avait dédié son maillot jaune. Si cette anecdote n’est pas dans le spectacle présenté en ce moment au Studio Hébertot, à Paris, le souvenir du champion se réveille en moi avec ce voyage à Paris (je me souviens que mon père était du voyage) pour l’arrivée du Tour. Anquetil n’était pas mon préféré. Souvent c’est Poulidor qui tenait cette place dans le coeur des Français.
Je n’ai pas lu le texte de Paul Fournel mais il y dit aussi les fois où il a vu Jacques Anquetil. Et c’est comme ça que le spectacle commence : la première fois, il était avec son père… Et le rideau s’ouvre et Matila Malliarakis, sur le vélo, pédale, pédale de plus en plus vite et dit sa volonté, sa souffrance, sa solitude, son désir d’être seul, derrière le peloton, pour pouvoir le remonter et le dépasser quand bon lui semblerait, ou devant, irrésistible. Les images qui sont projetées sur les pendrillons de part et d’autre de la scène renforcent l’impression de vitesse et de cette solitude, justement. Rien ne compte à ce moment que lui. Il ne court pas pour la gloire, il aime l’argent, il prend des amphétamines, il va au-delà de la douleur, il sait ce qu’il veut : c’est gagner. Lui qui ramassait des fraises, enfant, il finira sa vie dans un château. On parlera, plus tard, de sa vie privée, mais il affirme qu’elle ne regarde que lui, que sa morale n’est pas la morale conventionnelle et qu’il n’a pas de compte à rendre à la société. C’est un champion, pas bien gros, pas bien grand, mais avec une volonté d’acier. Et Matila Malliarakis lui prête son physique, son souffle, son dos, son ventre sous lequel coule la route. Deux comédiens sont avec lui sur scène, Clémentine Lebocey, incarnant Janine puis Annie puis Sophie, et Stéphane Olivié-Bisson, incarnant Paul Fournel et les coureurs et directeurs sportifs qu’a côtoyés Anquetil. Et les spectateurs ont le souffle coupé, comme s’ils avaient grimpé dans une étape de montagne pour voir passer le champion, un homme, mort seul à 53 ans.
Le spectacle se joue au Studio Hébertot, à Paris, jusqu'au 19 avril 2017.