À méditer
« Tu connais sans doute ce sentiment étrange qui nous saisit parfois au milieu d'occupations anodines et qui vient, me semble-t-il, de la rencontre entre une conscience plus fine de ce qui nous entoure et une force inhabituelle de recueillement – comme si celui-ci jaillissait au dehors – ou que le dehors se creusait d'intimité. Ces deux attitudes, ces deux orientations de notre attention – vers le dehors et vers le dedans – apparaissent bien souvent incompatibles, mais lorsqu'elles convergent, lorsqu'elles communiquent de la manière la plus imprévue, le monde entier semble traversé, la vie dispersée qui nous environne se charge d'une présence sensible, discrète, comme un souffle, un murmure, l'haleine ténue d'une voix qui ne dit rien de particulier, seulement qu'elle est là, proche et lointaine à la fois, insaisissable mais si prégnante qu'il serait vain de la dénier. (…) L'indélicatesse serait d'apposer trop vite un nom à cette présence, qui ne soit qu'une étiquette rassurante ou une catégorie indifférente. C'est d'un nom propre qu'elle se nomme. Elle-même te le révélera en son temps. Ne cherche pas à l'identifier, à la capturer dans des contours ou des vocables trop communs. Ecoute seulement, tends l'oreille – tout ton corps, tout ton esprit. Approfondis l'échange, en le prolongeant d'un silence qui est sa seule voix, qui est ta seule écoute. Elle se manifestera chaque fois un peu plus, dans une proximité plus grande. Elle se fera connaître, n'en doute pas, mais goûte-là d'abord, apprivoise-là, jusqu'à ce qu'elle devienne aussi familière que ta propre présence – ou que ta présence devienne aussi étrange que celle qui te visite. » Extrait de Avance en vie profonde, de Philippe Mac Leod (Ad Solem)