Entretiens spirituels et écrits métaphysiques

Par Jean-Marc Vivenza

Il n'y a rien à posséder ultimement du mystère existentiel, rien à conquérir de façon positive de cette origine en devenir d'elle-même, et il n'y a non plus rien à dépasser, car l'Être n'est jamais atteint ; il séjourne dans son retrait, il demeure inaccessible éternellement dans son " Néant ".

Une seule question est de nature fondamentale, celle de l'essence de " l'Être " en sa vérité principielle, ce qui relève, évidemment, de " l'ontologie " par excellence, et en ce qui concerne l'orientation spécifique de la recherche spirituelle et initiatique véritable, c'est-à-dire à la fois " non-apocryphe " et authentiquement transcendante, une ontologie qui ne p eut être, en raison de la situation des conditions de la présence de l'être au monde, et sa nature foncièrement dialectique, qu'une "

I. Les deux " voies " ontologiques fondatrices

Un point, portant principalement sur le sujet de " l'Infini ", montre cependant qu'il y a deux " voies ", deux orientations dont la différence n'est pas anodine du point de vue métaphysique et théosophique, car si Joseph de Maistre (1753-1821), fidèle à l'enseignement de saint Augustin (354-430), ou de Martinès de Pasqually (+1774) et de l' Illuminisme en général, imputait aux esprits rebelles, puis à l'homme, suite à la double prévarication qui est survenue au sein de l'immensité divine, la raison de la situation de dégradation que connaît l'Univers avec la présence constante du " négatif " agissant en toutes les réalités vivantes, comme irréductible tendance à la décomposition et à la mort, en revanche Jacob Boehme (1575-1624) - rejoint par René Guénon (1886-1951) à cet égard dans l'exposé de sa métaphysique qu'il désigna d'ailleurs, pour cette raison, comme étant " intégrale " -, considère que l'origine de l'ombre se trouve au sein même de la Divinité en laquelle existe une part " ténébreuse " qui est une composante intrinsèque de sa nature. En ce sens, le " Principe " est constitué de " l'Être " et du " Non-Être", il est travaillé par une dialectique interne représentant le fond obscur du divin, et il s'agit bien, en cette vérité, du trésor doctrinal, du " mystère " par excellence, le plus sublime puisque portant sur la nature essentielle du mystère qui est celui dévoilant ce qu'est en sa vérité l'Absolu.

Conséquemment, et à ce titre Martin Heidegger (1889-1976), et Joseph de Maistre sont en parfait accord dans le constat qu'il n'y a pas d'extériorité par rapport au " nihilisme ", c'est-à-dire qu'il n'existe pas d'alternative, de nostalgie d'un avant ou d'un après, c'est l'existence elle-même, par delà les époques, qui est plongée dans l'abîme du nihil (rien), qui est confrontée, depuis la rupture originelle, de par son " déchirement " [1], à la nécessité d'affronter la question de l'absence, du délaissement, de l'angoisse et de la perte, du tragique de l'échec et de la mort, pour le dire en un mot du " mal ", car l'expérience du monde que nous éprouvons participe d'une détermination à l'antagonisme de deux forces contraires qui sont présentes partout dont l'homme n'a pas le pouvoir de se libérer, puisque c'est une détermination structurelle ontologique : " L'être-dans-le-monde est un existential, c'est-à-dire une détermination constitutive de l'exister humain, un mode d'être propre à l'être-là. [...] L'être-dans-le-monde, en tant qu'existential, est une relation originaire." [2]

II. La détermination au négatif est inscrite dans l'Être

Exister, être, c'est donc être jeté de " l'Unité " vers la division, projeté " du haut vers le bas " disait (+ 252) [3], abandonné dans le relatif, le contingent, c'est être dépendant totalement de faits et de causes qui déterminent la non-possibilité de l'harmonie et de la durée, et rendent totalement vaines et vouées à l'inutilité les infructueuses tentatives humaines - notamment politiques, mais pas seulement, car on peut y adjoindre, l'art, la philosophie, la science, etc. -, qui tendent à modifier les conditions de l'être au monde.

Ainsi donc, la confrontation au " Cette évidence, conduit à prendre conscience qu'il ne s'agit plus désormais d'espérer en un quelconque régime ou éventuel système capable de résoudre les questions qui se posent, puisque l'origine du problème pour l'homme, mais aussi pour les civilisations et l'Univers lui-même, est un problème de " l'origine " ; la question, fondamentalement, participe d'une nature purement méta-ontologique. Voilà pourquoi, la seule attitude authentique, c'est-à-dire authentiquement en rupture, la seule position radicale capable de prendre le problème à sa source réelle, à sa " racine " effective, est donc, uniquement, d'ordre supérieur, elle relève du spirituel et du transcendant, obligeant dès lors de regarder d'où provient l'essence de la détermination existentielle, en se confrontant à la cause première de la vocation destinale de toutes choses créées au " Il s'agit donc, ce qui en quelque sorte caractérise le chemin initiatique, d'une entreprise de dévoilement des forces secrètes et invisibles qui animent et dirigent l'ordre des choses visibles, puisque nihil " n'est pas simplement un temps, un moment du cheminement qu'il nous incombe d'effectuer du point de vue existentiel, mais cette confrontation est une voie de " négation totale " qui - non point faite de par son exigence, il est vrai, pour tous les esprits -, par la contemplation du " néant " d'où procède et en quoi existe toute réalité, est permanente, constante, car pour passer au travers de l'obscur, il faut traverser la sombre nuée du vide originaire, et ceci depuis toujours et pour toujours, en osant de voguer sur " l'abîme de l'Infini " nihil ". le vrai est le négatif des apparences.

" Le mal a tout souillé, et dans un sens très vrai

tout est mal puisque rien n'est à sa place [...]

Tout les êtres gémissent et tendent avec effort

Joseph de Maistre affirmait : " L e mal a tout souillé, et dans un sens très vrai tout est mal puisque rien n'est à sa place [...] Tout les êtres gémissent et tendent avec effort vers un autre ordre des choses." [4] Mais après la Révolution, suite un examen approfondi de ses causes, il comprit qu'aucun temps n'était exempt de négativité, et étendit le diagnostic de façon transversale à l'Histoire elle-même, voyant d'ailleurs que la " Révolution ", de par sa nature antichrétienne, son violent rejet de toutes les formes de sacralité, ayant mené un combat violent contre l'Église et son clergé qui est allé jusqu'aux crimes les plus abominables, participait non pas des idées politiques, mais de l'histoire des religions [5]

III. L'bandon de tout but positif ( l'' apolitia) comme principe et ascèse spirituelle

De son côté Julius Evola (1898-1974), bien que cette analyse participait beaucoup plus d'un sentiment de révolte contre de l'état du monde de la période moderne, plutôt que d'une position ontologique portant sur la nature même de ce monde au travers de toutes les périodes, résuma ce qu'il convenait de faire, et comment dès lors agir, dans un monde en état de " dissolution générale " : " Il n'y a pas de formes positives données fournissant un sens et une légitimité vraie sur lesquelles on puisse s'appuyer aujourd'hui. Désormais, une ''sacralisation'' de la vie extérieure et active, ne peut survenir que sur la base d'une orientation intérieure, libre et authentique, vers la transcendance [...] L'afele panta plotinien - c'est-à-dire ''dépouille-toi de tout'' -, tel doit être le principe de ceux qui savant regarder d'un œil clair la situation actuelle. " [6]

Ayant perçu cette origine, il convient d'abandonner tout but positif extérieur rendu irréalisable, non pas parce que cette époque serait celle de la " dissolution générale ", mais parce qu'il est nécessaire de comprendre que la détermination au négatif est inscrite, depuis toujours, dans l'Être, qu'elle réside et demeure de façon intangible dans le " Tout ", c'est-à-dire la totalité de " l'exister " même, et il qu'il n'y a en conséquence eu de réalité en ce monde, avant même le début des temps, de façon permanente, que déterminée et soumise, c'est-à-dire reliée à une cause qui est une déchirure, liée à une rupture fondatrice, à une scission qui se trouve dans l'essence même de l'Être ; une réalité dépendante d'un manque qui est une perte tragique survenue, au commencement, à l'intérieur de " l'Unité " première, situation absolument terrible que Maistre résume en une phrase : " Ce monde est une milice, un combat éternel. " [7] À cet égard, " " s'impose donc comme règle, pouvant s'étendre pour tout esprit conscient et éveillé, non pas uniquement à notre " période de dissolution ", mais en tant qu'attitude constante de présence au monde et discipline de vie, loi spirituelle, ascèse héroïque et voie ontologique qui est celle des voyageurs solitaires souhaitant accéder aux cimes des monts élevés, là où règne, dans la solitude et le silence, l'éternelle " Lumière ".

" Il n'y a pas de formes positives données

fournissant un sens et une légitimité vraie

sur lesquelles on puisse s'appuyer aujourd'hui.

Désormais, une ''sacralisation'' de la vie extérieure et active,

ne peut survenir que sur la base d'une orientation intérieure,

IV. La génération infinie des anéantissements et des renaissances éternels

l'Unité ", par lequel, selon Maistre, le "
mal " s'est introduit dans l'Univers et " a tout souillé " [8], ou, plus profondément encore selon Boehme, en raison du fait que " l'éternelle origine des ténèbres " [9], engagée dans un mouvement de génération infinie passant par des anéantissements et des renaissances éternels, accomplie sa " révélation " suressentielle. Ceci explique pourquoi chaque être, chaque système philosophique, est incapable, à lui seul, d'aller au bout de l'Être. Tout est freiné, bloqué, contraint, par un manque constitutif d'être qui est inscrit à l'intérieur de toute réalité, car initialement situé au sein de l'Être, dans la substance du " Principe ". L'unique forme du possible pour chacun, le seul devoir, la règle disciplinaire, est donc d'affronter le non-sens, le sens sans nom, l'absence de nom d'un réel absent de lui-même, de se confronter, par une approche métaphysique, ou plus précisément " d'ontologie négative ", au " Néant ". La Manifestation est l'expression " extérieure " du Mystère intérieur de l'Être Infini, la révélation de son " Verbe ", ceci expliquant pourquoi, puisque le Principe est travaillé par un désir qui est à la fois lumière et ténèbres, la Manifestation comporte elle également, à l'identique de l'Être, un aspect mauvais et bon. Depuis le commencement, l'Être Infini est la " Totalité ", composé du " monde-feu ", du " monde des ténèbres ", et du " monde-lumière", triple monde à l'intérieur d'une unique essence, un unique Principe, en trois distinctions illimitées, éternelles, animées d'une même aspiration, ou " faim de quelque chose ", qui est une " Magia ", dont l'étonnante résonnance, n'est pas sans évoquer la " Mâyâ ", voile et clarté, pouvoir maternel de l'Un. Le lien intérieur à la " vraie vie " entre les ténèbres et la lumière, explique pourquoi toute existence humaine se trouve placée à la jonction du clair et de l'obscur, du bien et du mal, exigeant un abandon au " néant ", faute de quoi elle sombre dans " l'angoisse " qui est un feu dévorant, alors que par son anéantissement, elle s'accomplit sans douleur dans la lumière, dans la " Magia " de Dieu en sa triade, c'est-à-dire sa triple essence. Il en résulte que, malgré tous les vains efforts successifs qui seront entrepris, la fracture ne sera jamais refermée, le fossé jamais comblé, car rien en nous n'est de nous et vient de nous, mais relève d'une cause originelle, et d'une cause présentant une rupture en sa " source ", un surgissement dialectique au sein de

Reste donc, malgré cette situation " au milieu des ruines " obligeant en notre période de civilisation matérialiste moderne désacralisée, une traversée de la " nuit de l'esprit " - une désacralisation qui s'est imposée à la faveur des bouleversements historiques en se dotant même à notre époque d'une légitimité officielle, et s'est introduite, par l'intermédiaire des récentes réformes conciliaires, jusqu'à l'intérieur même de l'institution ecclésiale -, qui peut être un réel " apprentissage " du désert vécu en tant qu'étape importante sur le chemin conduisant à la " réalisation ", nécessitant de se mettre à distance des " institutions parodiques " [10], l'obligation d'engager une démarche comparable à celle qui, toutes périodes confondues, a contraint l'être à se vider, ou désapproprier de lui-même dans un dépouillement purificateur. Et, à cet égard, la situation d'aujourd'hui n'est point différente de ce qui toujours domina comme exigence, faisant que dès l'origine, tout était déjà finalement vicié pour les âmes en quête d'Absolu, structures religieuses ou initiatiques comprises, bien qu'infiniment moins dégradées que celles de notre temps, et que l'exil intérieur se devait d'être un moment essentiel de la recherche, un passage incontournable afin de parvenir à la " metanoia " , c'est-à-dire la transformation entière et radicale de l'être, ce qui définit, en propre et à toutes les époques, une démarche spirituelle effective, en Orient comme en Occident.

b) Les vrais secrets n'ont jamais été divulgués

C'est pourquoi Guénon a tant insisté sur le fait qu'il ne s'agissait pas dans cette " œuvre initiatique " s'il en est, non d'une " extase ", mais d'une transformation interne de l'être, en vertu de ce principe fondamental : " toute réalisation initiatique est essentiellement et purement ''intérieure '' [11]. " Mircea Eliade (1907-1986) écrit donc, à juste titre : " On a souvent affirmé, qu'une des caractéristiques du monde moderne est la disparition de l'initiation " [12], montrant que la question de l'initiation, n'a ainsi rien à voir avec les conditions de la période à laquelle elle se pose, car en réalité " les vrais secrets n'ont jamais été divulgués " [13], puisqu'ils relèvent du " mystère " indicible et informulable, mystère qui se situe au-delà de l'Être et du Non-être, là où le langage est impuissant, domaine par définition du suressentiel. L'accès à ce mystère, qui est celui par excellence de " l'Église intérieure ", selon la tradition de l'Illuminisme mystique, relève donc d'une " voie " exigeante et rigoureuse, d'une discipline de l'esprit, dont les critères et les modalités restent inchangés depuis la nuit des siècles, et que préservent, et conservent, quelques rares sociétés de nature ésotériques, observant une mise en retrait à l'égard d'un monde vis-à-vis duquel elles se tiennent volontairement à distance, unique chance de faire perdurer les éléments de la transmission authentique, et d'accomplir la traversée des temps d'obscurité.

V. Le silence nocturne des vérités impensables

Il n'est d'autre fin authentique pour l'être, qu'une souveraine perte définitive, en quoi consistent et que représentent les différentes formes

La voie métaphysique, est donc tout à la fois une connaissance et par elle un accès à l'essence de la vérité, mais aussi, concrètement, un véhicule et un abri, pour effectuer notre séjour au sein du monde et de sa totale confusion. Lorsque Heidegger écrit que " l'essence du Dasein c onsiste en son existence " [14], il faut donc oublier ce que l'on croit être établie comme définition de l'existence, c'est-à-dire l'acte premier qui situe un être hors du néant, hors de ses causes, et plutôt regarder la possibilité qui caractérise l'homme d'expérimenter une " ouverture " par laquelle il doit se soumettre dans le dépouillement de toute chose, " dans l'ouverture duquel l'être lui-même se dénonce et se cèle, s'accorde et se dérobe " [15]. Cette " ouverture " est celle où règne le silence nocturne des vérités impensables, inexprimables, là où la pensée retourne en son silence originel ; l'existence dans la plénitude de son inexistence. Moment non manifesté, non-né, non-advenu. Temps inexistant pour un lieu sans localisation, pour une parole vide de son silence, un dire vide du vide lui-même, un inconnu à jamais indicible et obscur, une " ténèbre " insondable et invisible, l'intense abîme du néant en son " Rien ". En cet informulable où prend source toute pensée de la non-pensée, où s'origine le contact ontologique fondamental, où s'enracine les premières lumières de la pensée matinale du logos philosophique, la patrie nécessairement oubliée de l'Être, la révélation de l'inexistence en son " Rien ", n'est qu'un moyen d'accéder plus avant dans l'absence de l'Être.

L'intolérable existentiel ne peut de ce fait se comprendre, mais il est certain qu'une seule chance par lui nous reste offerte : celle d'accepter le non-sens. L'existant, le sujet, se retournant sur lui-même doit donc impérativement affronter dans " l'angoisse ", la nuit vide, l'absence cruelle, son expulsion hors de lui-même vers le néant. C'est pourquoi le sujet n'est rien d'autre que cette " ouverture au Néant ", à l'innommable altérité face à laquelle il affronte, tout en rencontrant sa tragique limite ; limite tragique au sein de laquelle il atteint, tout en l'ignorant, son invisible souveraineté. Il n'est donc d'autre mission véritable, et en cela tient la vérité méta-ontologique, il n'est d'autre fin authentique pour l'être, qu'une souveraine perte définitive qui le condamne au silence du " non-savoir " et aux ténèbres de la nuit, qui ouvre, au terme d'un cheminement dans le désert, en quoi consistent et que représentent les différentes formes de la traversée, sur les cimes de " l'Aurore naissante ".

VI. La tradition initiatique occidentale

En ce sens, le futur - de toute éternité et pour toute éternité -, est une origine, une source, un commencement insaisissable et une vocation destinale, le produit d'un commencement qui est lui-même devenir, une racine qui est un germe, car le logos du commencement est dialectique, et ne se délivre que dans la négation. Cependant, pour éviter les erreurs sur cette " traversée " de l'obscur, il importe de savoir que l'existence est soumise à la limite radicalement, foncièrement, et qu'il n'y a donc, en conséquence, rien à posséder ultimement du mystère existentiel, rien à conquérir de façon positive de cette origine en devenir d'elle-même, et qu'il n'y a non plus rien à dépasser, car l'Être n'est jamais atteint ; il séjourne dans son retrait, il demeure inaccessible dans son éloignement. Ainsi, sans accès possible, l'Être est présent dans son absence et absent en tant que " présent ".

Le futur - de toute éternité et pour toute éternité -, est une origine, une source.

a) La " nuit de l'esprit "

La spécificité, ou singularité de la " voie occidentale " dont la relation à la pensée de l'Être nait en Grèce à l'aurore du questionnement fondateur - " voie " qui, presque toujours, a été combattue -, c'est précisément son approche par la " négation " de la vérité ontologique. Ainsi de saint Augustin et les Soliloques (Soliloquia) qui lui furent attribués - ouvrage dans lequel se trouvent des propositions sur le néant et le rien ( nihil), d'une radicalité qui amplifia jusqu'à l'extrême les notions de corruption et de néantisation, en établissant une opposition absolue entre l'Être et le non-être en parlant de " substances irréductiblement antagonistes " [16] -, en passant par saint Denys l'Aréopagite (n.d.), Maître Eckhart (1260-1328), saint Jean de la Croix (1542-1591), et bien d'autres encore, dont Jean de Ruysbroek (1293-1381) Jean Tauler (v.1300-1361) ou encore Henri Suso (1295-1366), perdure une démarche qui, préférant la distance d'avec les lois du monde et ses structures religieuses visibles, ainsi que l'éloignement de la croyance que se forgent les foules de la transcendance, tente de s'avancer vers les mystères cachés en privilégiant un approfondissement intérieur, selon une ascèse participant d'une " nuit de l'esprit ", temps d'apparente désolation spirituelle dans l'expérience, mais qui se révèle être une transformation entière de l'âme. Le propre de la tradition occidentale qui ne se distingue pourtant en rien sur la finalité du cheminement spirituel d'avec les voies orientales - mais qui, évidemment, s'exprime en climat chrétien, et donc emprunte son vocabulaire théorique au patrimoine littéraire de la religion qui s'imposa en Europe, participe de la perspective métaphysique qui dépasse, et de très loin, les formes et les cadres étroits avec lesquels sont tentés les rapports avec l'Invisible, puisque son but est d'entrer, par et dans le " non-être ", en une négativité paradoxale qui nous révèle que la nuit est en réalité " lumière " à l'égard du monde, et qu'en elle s'effectue la génération transcendante, en un mode silencieux d'anéantissement, où la dimension, impensable, de " l'au-delà de l'Être et du non-être ", aboutit au " Rien suressentiel " qui est l'unique et véritable " vie éternelle " [17].

b) La " vie éternelle " de " l'Essence Incréée "

(Maître Eckhart, Predigt 2, Traités et sermons).

C'est de cette " vie éternelle " dont Maître Eckhart nous parle en la désignant comme la " '' Déité'' située au-delà de Dieu même ", le " Néant " appréhendé en tant que négation de la négation, expression de l'universel dépassement, y compris de " l'Absolu ", s'appliquant au mode dépourvu de mode, en lequel ne subsiste plus ni temps ni lieu, ni sujet ni objet, ni nom, ni identité ; soit le domaine par excellence de " l' Incréé ". La possibilité d'une ouverture immédiate, dès ici-bas, en direction de " l' Essence Incréée ", ouverture participative et transformatrice en mode d'anéantissement, doit donc intervenir dans le cadre d'un " cheminement ", apte à délivrer l'esprit des pièges dans lesquels il se trouve enfermé, expliquant pourquoi ont été constituées, au cours des siècles, différentes structures, à la marge ou en rupture de l'Église, dont la vocation fut, tout à la fois, de préserver certains enseignements doctrinaux, et d'en permettre la mise en pratique concrète, au sein d'itinéraires (symboliques, métaphysiques, religieux, communautaires ou solitaires, monastiques ou individuels, de nature mystique et illuministe), conduisant à la contemplation des vérités essentielles, dont la théosophie, entre les XVIème et XVIIIème siècles, fit sa vocation.

VII. Illuminisme mystique et théosophie chrétienne

Ces structures, plus ou moins organisées, des béguinages aux " Frères du libre Esprit " dont on sait l'influence sur la mystique rhénane, en passant par les mouvements d'importance, d'expansion et d'influence inégales, comme les cathares, bogomiles, vaudois, pauliciens, l'assemblée des chrétiens apostoliques, les iconoclastes, les anabaptistes, puritains, quakers, les fidèles de l'église de la nouvelle Jérusalem, alumbrados espagnols, guérinets français, etc., mais aussi, avant eux, ou parallèlement à eux, les templiers, franciscains, capucins, carmes, malgré bien des différences et parfois de nettes oppositions théologiques, sans oublier les Frères de la Rose-Croix et les kabbalistes chrétiens, serviront de véhicule à la pensée de l'Absolu passant par " l'anéantissement actif " ou spiritualité de l'abstraction, aboutissant à la constitution des courants, comme le piétisme, le quiétisme, ou encore le jansénisme, qui vont déboucher, dès le XVIème siècle, sur l'Illuminisme, dont les principaux représentants, furent Valentin Weigel (1533-1588), Emanuel Swedenborg (1688-1772), Friedrich Christoph Oetinger (1702-1782), Mathias Claudius (1740-1815), Jung-Stilling (1740-1817), Friedrich Heinrich Jacobi (1743-1819), Diethelm Lavater (1743-1826), Frédéric-Rodolphe Saltzmann (1749-1821), Johann Friedrich Kleuker (1749-1821), Karl von Eckartshausen (1752-1803), Franz von Baader (1765-1841) et Justinus Kerner (1786-1862).

Les Frères de la Rose-Croix et les kabbalistes chrétiens, serviront de véhicule à la pensée de l'Absolu passant par " l'anéantissement actif " ou spiritualité de l'abstraction.


Notons que le courant spirituel dit du " quiétisme ", à l'origine duquel se trouve Miguel de Molinos (1628-1696), prêtre espagnol, qui se signala par une direction spirituelle dans laquelle on privilégiait fortement la " quiétude ", c'est-à-dire le total repos de l'âme en Dieu, l'oraison passive, l'abandon et la remise complète de l'esprit dans la " nuit obscure " de la foi, eut une influence significative, et trouva un écho significatif auprès des théosophes, qui tenaient les différentes figures de cette sensibilité mystique en haute estime. La " Guia Espiritual " (Guide spirituelle), publiée par Miguel Molinos en 1675, résume les positions de ce courant original qui influença, en France notamment, des personnalités comme François Malaval (1627-1719), le cardinal de Fénelon (1651-1715) et Madame Guyon (1648-1717), cette dernière ayant diffusé lors de ses voyages, une méthode " courte et facile de faire oraison ", soit une prière passive et silencieuse d'entière remise et d'abandon de l'esprit en Dieu. Le quiétisme fut condamné en 1687 par Innocent XI, ce qui eut pour conséquence de jeter pendant de longues décennies, une suspicion sur cette " voie " d'oraison intérieure, qui trouva cependant refuge auprès des cercles ésotériques, qui en cultivèrent les principes, et développèrent à la fois une attitude d'abandon de la volonté propre avec des spéculations théosophiques.

VIII. Le christianisme fut, et demeure, une authentique initiation

qui fut une initiation aussi mystérieuse que celle qui l'avait précédée : Instruction pour les Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, 1784, Bibliothèque Municipale de Lyon, Fonds Willermoz, MS 5921.

L'idée générique, propre à la théosophie, issue du courant de l' Illuminisme, relève d'une intuition principale : l'origine des choses, le principe en son essence, n'est pas une réalité positive mais négative, de ce fait l'enseignement ésotérique considère qu'une " Tradition " a été conservée, et qu'il est possible de la retrouver, soit par l'effet d'une " illumination intérieure ", soit grâce à des transmissions heureusement conservées par l'Histoire, leur conviction commune étant que le christianisme fut avant tout, et demeure, une authentique initiation. Ce discours est une sorte de vision commune pour tous ceux qui aspirent à une compréhension plus intérieure, plus sensible et subtile de vérités oubliées, ainsi que le soutiendra d'ailleurs positivement Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), en des termes extrêmement clairs : " Malheureux sont ceux qui ignorent que les connaissances parfaites nous furent apportées par la Loi spirituelle du christianisme, qui fut une initiation aussi mystérieuse que celle qui l'avait précédée : c'est dans celle-là que se trouve la Science universelle. Cette Loi dévoila de nouveaux mys­tères dans l'homme et dans la nature, elle devint le complé­ment de la science. " [18]

Préservant l'héritage de Martinès de Pasqually, son incontestable maître dans le domaine de l'initiation, bien qu'il en corrigea nettement les conceptions sur deux points essentiels touchant à la Trinité et à la double nature du Christ - le Régime Écossais Rectifié et son Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte étant porteurs d'une base spirituelle et d'un héritage historique issus des enseignements de Martinès de Pasqually, participant d'une incontestable et directe filiation dont la Grande Profession fut détentrice de par les éléments propres qui y furent déposés par Jean-Baptiste Willermoz, lui-même, ne l'oublions pas, détenteur en tant que Réau+Croix, de l'intégralité de la transmission des élus coëns -, Willermoz confia la mission de conserver dans toute son intégrité la doctrine de la réintégration aux membres participant des ultimes niveaux de son Ordre, c'est-à-dire aux frères introduits dans les classes secrètes de la Profession, et institua une sorte de cénacle à l'intérieur de l'Ordre, par delà le dernier grade dit " ostensible " de Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte, cénacle qui fut le cœur caché et voilé du Régime, et dont le devoir était de rigoureusement veiller aux fondements essentiels de la doctrine, d'en approfondir les éléments, d'en répandre doucement et avec pédagogie les principes et, surtout, tâche première et essentielle, d'en conserver le dépôt intact ce qui défini d'ailleurs dans ses devoirs et sa fonction supérieure, le rôle précis du " Haut et Saint Ordre ". L'Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, sera ainsi conçu pour être l'écrin de " l' Ordre mystérieux " qui est l'essence même du Régime rectifié, sa substance intérieure secrète. Ses travaux se dérouleront dans l'invisible et auront pour objet de se consacrer à l'étude et à la conservation de la doctrine de la réintégration dont il est le dépositaire, doctrine sacrée qui a un but essentiel et très élevé que peu d'hommes sont dignes de connaître ; Willermoz écrira du " Haut et Saint Ordre " : " S on origine est si reculée, qu'elle se perd dans la nuit des siècles ; tout ce que peut l'institution maçonnique, c'est d'aider à remonter jusqu'à cet Ordre primitif, qu'on doit regarder comme le principe de la franc-maçonnerie ; c'est une source précieuse, ignorée de la multitude, mais qui ne saurait être perdue : l'un est la Chose même, l'autre n'est que le moyen d'y atteindre." [19]

IX. L'ontologie du Régime Écossais Rectifié

En ce sens, la réflexion, longuement approfondie, sur ce que représente " l' Être éternel et infini ", dont le Régime Écossais Rectifié a fait la désignation du " Principe " supérieur dans ses invocations rituelles, nous donne d'aborder ce que représentent les notions " d' éternité " et " d' infinité " dans leur relation à la transcendance, nous engageant dans une méditation de la réalité intrinsèque des régions invisibles, en un mode, passant par la négation, afin d'accéder à la vérité essentielle à laquelle nous sommes appelés à nous conformer dans notre réalité existentielle. L'idée d'un Être créateur du monde à partir de rien, telle qu'affirmée solennellement par les premiers versets du livre de la Genèse ( Genèse I, 1-2), apparaît d'une façon très nette dans la prière d'ouverture des travaux au Régime Écossais Rectifié, dès le grade d'Apprenti, prière qui adresse au " Grand Architecte de l'Univers " l'hommage de ceux réunis en sa présence, en le désignant selon une terminologie étonnement chargée de références métaphysiques relatives à la notion " d' être ".

ô toi qui par ta parole toute puissante et invincible

Cette terminologie, originale et singulière, est utilisée à bien d'autres endroits des rituels et textes du Régime maçonnique et chevaleresque fondé par Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), en particulier dans la Règle Maçonnique, en son Article I où il est dit: " Ton premier hommage appartient à la Divinité. Adore l'Être plein de majesté qui créa l'univers par un acte de sa volonté, qui le conserve par un effet de son action continue, qui remplit ton cœur, mais que ton esprit borné ne peut concevoir, ni définir." [21]

Ce rappel, très prononcé, de la présence de l'Être, nous place ainsi étrangement et de façon directe, par delà les évidentes références religieuses, en climat métaphysique, science qui considère, depuis Aristote (v. 384 - v. 322 av. J.-C.), " l'être en tant qu'être ", et se donne pour objet cet "Être " en tant que tel, expliquant en conséquence " le terme "d'ontologie" (du grec ὄντος, " être ", et λόγος, " science ", " discours "), qui désigne l'essence de son objet. La définition de Dieu comme " Être ", en tant que Créateur de toutes choses, constitue d'ailleurs chez Jean-Baptiste Willermoz une remarquable continuité dans sa pensée, puisqu'on trouve des réflexions sur le sujet à une date relativement tardive, dans les textes qui reçurent le titre générique de : " Doctrine de Moïse ", avec cette mention : " Doctrine, Instruction particulière & secrète à mon fils, 1818, composée en neuf cahiers " [22]

Ainsi, il se dégage de la lecture de ces textes, comme la pressante volonté de placer les travaux du système élaboré lors du Convent des Gaules (1778) et de Wilhelmsbad (1782), sous les auspices d'un environnement référentiel empruntant ses principaux thèmes, tant aux notions martinésiennes évidemment portant sur la Création [23], qu'aux principes de la métaphysique chrétienne, et en particulier d'une certaine scolastique médiévale qui se donna pour mission de faire découvrir la place et l'activité de Dieu en tant qu'Être premier au travers des éléments qui témoignent d'une puissance ordonnatrice située derrière la réalité des êtres et des choses en ce monde, ceci alors même que cette place, et cette activité, étaient l'objet d'une vigoureuse remise en question de la part des rationalistes et matérialistes du " siècle des Lumières ".

Le problème que ne parvinrent pas à admettre les philosophes, c'est que " créer " (en hébreu : בָּרָא bara' - en grec : κτιζω ktizô), pour le " Tout-puissant " puisse être entendu à la manière d'un acte instantané, non à la façon d'un processus ou geste de synthèse, mais d'un coup, d'une façon brusque et immédiate. L'Acte pur et le " Néant " ne s'opposent pas, en climat chrétien, mais se complètent comme " l'Unité " achevée et le " Multiple pur ". Ce qui veut dire que le Créateur en vertu de ses perfections, a communiqué l'être à ce qui n'existait pas, qu'il a conféré de " l' être ", de " l'existence " à ce qui n'était pas, et n'avait jamais existé, acte impensable, inconcevable, absurde sur le plan logique, mais qui ne l'est absolument pas sur le plan " ontologique ".

X. L'Éternité de Dieu est " Dieu lui-même "

L'explication est pourtant évidente : l'éternité n'existe pas en dehors de Dieu, saint Thomas disant de façon " n'ayant ni commencement ni fin ", qui " remarquable, " d'éternité en éternité est Dieu. " ( Psaume 90, 2), qui toujours fut et sera, mais dans une durée qui ne se situe pas dans le temps, dans l'infinité d'un non-temps éternel, " intemporel ". l'éternité de Dieu n'est pas autre choses que Dieu Lui-même " [24] ; l'éternité est à la fois Dieu, et " l'Être de Dieu ", elle est ce dont tout provient, et le " néant " d'avant le temps, lorsque rien n'était. Ce jugement n'est pas sans évoquer un passage des Sermons de Jean-Baptiste Massillon (1663-1742), que Joseph de Maistre affectionnait, et qu'il plaça dans ses Soirées de Saint-Pétersbourg : " Tout ce monde visible n'est fait que pour le siècle éternel où rien ne passera plus : tout ce que nous voyons n'est que la figure est l'attente des choses invisibles [...] Dieu n'agit dans le temps que pour l'éternité. " (Massillon, Sermon sur les afflictions, III ème partie)." [25] Le temps est intrinsèquement lié au monde crée, il est constitutif de ce monde, il est ce monde, mais avant ce monde point de temps, et avant le temps point de monde, le contact entre le " rien " et " l'être ", entre le " néant " et " l'existence ", c'est " l'éternité infinie " de Dieu, c'est l'éternité en tant que substance in-substantielle de l'Être éternel et infini, un Être

Le monde créé, est un monde temporel, c'est un " monde temps ", au point que l'idée d'un non-temps est impensable, inconcevable : l'Être coéternel, n'est précédé par aucun temps, devançant les siècles " par l'éminence de son éternité ", étant avant tous les temps, subsistant dans un éternel présent, l'Être éternel et infini, n'a ni passé, ni futur, il est " l' éternité " ; il n'est pas différent du non-temps, il est un non-temps qui est rien, qui est le néant ( nihil), un pur néant, d'où tout provient, et d'où il a créé le monde présent et les créatures [26], en ce sens le temps " n'est pas la mesure de l'éternité ", car l'éternité, de laquelle l'Être éternel a donné l'être à tout ce qui existe, ne se trouve pas dans la durée mais dans le " non-temps ", elle n'est concevable par aucune mesure, ni aucun concept, l'éternité, qui n'est autre chose que l'Être lui-même, n'est " rien ", absolument rien de ce qui " est ", faisant que l'Être en son être ineffable et indicible, est la " Divine Ténèbre ".

C'est pourquoi, dans toutes les réflexions portant sur Dieu, sur " l' Être premier ", il faut considérer d'abord, et avant tout, pour comprendre la barrière ontologique qui nous sépare de l'Infini, non " comment est Dieu ", mais surtout " comment il n'est pas ", comment il n'est pas dans le temps, comment il n'est pas " existant ", comment il n'est pas temporel, comment il n'est pas visible, ce que saint Thomas résume par ces mots : " De Dieu nous considérons non comment Il est, mais comment Il n'est pas " [27], plaçant sa méditation dans la continuité de celui qu'une vénérable tradition patristique considère comme le premier évêque d'Athènes, celui dont nous parle saint Paul ( Actes, XVII, 54), c'est-à-dire saint Denys l'Aréopagite, le docteur par excellence de la " voie négative ", dont la durable influence au moyen âge sera sensible chez les principaux docteurs et théologiens.

La tradition hébraïque, telle qu'en témoigne le prophète Baruch [28], s'interdisait de prononcer le nom de Dieu, elle l'appelait " l'Éternel ", et l'intuition des rédacteurs de l'Écriture Sainte n'est point fausse, car s'il y a bien un Nom Divin par excellence, " l'Éternel " l'est de façon exemplaire ; il dit Dieu lui-même " Éternel est le Père, éternel est le Fils, éternel est le Saint-Esprit " [29] : la confession de la " co-éternité " des personnes, revient à la confession de leur divinité commune. En réclamant pour lui-même cette éternité, Jésus proclame sa divinité : " Avant qu'Abraham fut, Je suis " ( Jean VIII, 58), magnifique confusion des temps qui restitue à l'éternité, non pas une durée, qu'elle ignore, mais son intensité : " Unis ton cœur à l'éternité de Dieu et tu seras éternel, attends avec Lui les événements qui passent au-dessus de toi ". [30]

Ceci explique la raison du fait que le divin, du simple point de vue des impressions existentielles immédiates, semble subsister dans un profond silence, se dissimuler au sein d'une nuit mystérieuse, avoir son séjour dans un désert difficilement accessible. Pourtant, nous savons qu'une mystérieuse présence est en activité, en permanence, à l'intérieur de chaque mouvement, chaque souffle, chaque moment présent, Dieu demeurant discrètement, mais fermement, Celui en qui nous avons la " vie, le mouvement et l'être " ( Actes XVII, 28), agissant en chaque chose, et soutenant dans l'être la plus infime forme de réalité [31], à chaque instant [32] car il est " l'Être éternel et infini, qui a donné l'être à tout ce qui existe ".

La première de nos certitudes fondamentales, qu'il convient donc de toujours nous remémorer, est qu'il est parfaitement illusoire de croire que l'on obtiendra une image adéquate de l'infinité dans l'ordre de la manifestation, puisque au sein de notre état humain limité, marqué par l'illusion et l'inversion des vérités, il ne nous est pas possible de nous former intérieurement une image adéquate de la Réalité absolue. C'est pourquoi, il importe d'arpenter les vertigineux territoires de la métaphysique de l'Infini, par l'Cette perte bienheureuse de l'illusoire maîtrise du savoir sur l'Absolu nous conduit invisiblement, par la voie étroite de la nuit et du silence, et nous achemine, lentement, vers les lointains rivages, par les sentiers escarpés de la haute montagne, là où réside le profond désert, en nous éloignant des domaines humains limités où doivent être abandonnés, à jamais, les pauvres outils du chercheur aveugle. Dans la nuit où nous avons été plongés, il est nécessaire ainsi que nous fassions surgir, en nous, au cœur de nos ténèbres, la " Lumière incréée " par le pouvoir transformant de l'œuvre négatrice, et alors pourra se dévoiler, secrètement et invisiblement, le " L'Absolu, comme le rappela René Guénon, ne pouvant être caractérisé que par le " Rien " le " ontologie négative, de sorte que, face à la radicale transcendance du " Grand Mystère ", le Mysterium Magnum, nous portant au seuil du " Suressentiel ", là où se fait sentir le souffle de la Sagesse qui nous accorde d'évoquer, " au milieu des ruines ", non sans une tremblante réserve et rigoureuse prudence, le " Néant éternel ", l'Esprit non-manifesté. Principe ", l'esprit soit saisi par l'inconnu inaccessible, malgré l'incapacité de pouvoir franchir les limites de nos possibilités conceptuelles, incapacité ressentie comme une concrète perception de la nature sans nature-propre de l'Abîme du Non-être. Zéro métaphysique ", un Infini n'étant limité par rien et ne laissant rien en dehors de lui, de la sorte, ce qui est fort original, et souvent l'occasion ne multiples confusions, la particularité de l'idée d'Absolu impose qu'elle ne puisse être exprimée que par des termes de formes négatives, et ceci dans la mesure où le langage, ainsi que toutes les affirmations positives, sont forcément impuissants et inexacts à le saisir et le d'écrire, l'Absolu étant insaisissable, indéfinissable, hors de portée des formulations et concepts, l'usage de la négation, exercée sur la détermination et la limitation qui nous enserrent de toutes parts, pouvant rendre perceptible, toute proportion gardée bien évidemment, la dimension authentique de " l' Absolu ".

XII. La " nuit ontologique " et le " Soleil noir " de l'esprit

La voie initiatique occidentale issue de l'illuminisme mystique, participe donc d'une tradition, se revendiquant de laPour cela il faut franchir le voile des apparences, traverser le monde des images et des certitudes factuelles, aller au-delà des prétendues évidences concrètes, et entrer dans une perspective approfondie où l'on regarde, non les faits superficiels de l'immédiate visibilité, mais l'origine des choses, et surtout leur fin ultime qui tend inexorablement vers une réunion au " Principe ", là où tout cesse, " essentiellement ", de se situer dans " l'Être " ou le " " Non-Être ", en devenant finalement strictement plus " Rien " de ce qui est, la " voie " métaphysique nous entraînant dans le voisinage du suressentiel, du " Néant ", de cette " Déité " transcendante à Dieu Lui-même, Déité qui est précisément en dehors de toutes les déterminations et qui dépasse toutes les dualités. Discipline de l'Arcane ", où sont perceptibles les fondements d'une métaphysique relativement originale - qui n'a rien à envier aux affirmations les plus avancées et extrêmes des penseurs indiens de la vacuité ontologique ou du non-dualisme radical, et dont la mise en œuvre demeure l'unique possibilité d'accéder à la connaissance de ce " Néant éternel " qui s'éprouve originellement dans un " désir ", une faim de quelque chose, une aspiration à un autre que lui-même que manifeste sa volonté, son "Fiat " ; désir qui constitue un mouvement intensément dialectique, une action au sein de l'immobilité infinie, faisant passer la Divinité du déterminé à l'indéterminé, produisant en elle de l'obscurité et de l'ombre et qui, pourtant, ne sont point totalement ténébreuses et obscures, car ce désir, cette soif, sont emplis d'une lumière quoique " en négatif ", et bien que demeurant, pour l'entendement immédiat et la vision superficielle qui en restent à une vision première, une pure et totale " nuit ontologique " relevant du " Soleil noir " de l'esprit.

Conclusion : l'Absolu au-delà de l'Absolu

Le plus extraordinaire, ce qui est rarement dit de par un légitime respect des auteurs face au mystère intérieur de l'Absolu - dont Guénon qui se risqua simplement dans un texte sur la " " [33] à aborder la procession du Principe -, c'est que l'Un, la L'Unité est équivalente au " Au titre de la " Déité n'est encore qu'une étape : elle n'est que le premier moment de la vie divine, l'instant " d'avant " cette vie, le moment qui est encore " avant " cette vie. Le Principe dans son infinité n'est donc pas étranger à la différence, à la similitude, voire même, en une certaine manière, à l'humanité comme potentialité d'inhabitation divine du Verbe, mais son exigence, l'exigence de l'infinité du Principe, possède son séjour dans l'indistinction pure de " l'Zéro métaphysique ", l'Absolu doctrine ultime ", de son au-delà et du dépassement même de l'Absolu, l'Infini est complet, total, sans restriction, non contingent, il est " l' Être pur ", contenant l'Être et le Non-Être [34], la " Possibilité universelle " ; il n'est à lui-même que sa propre limite sans limite, il est dépourvu de détermination, il est égal en tout à la " Totalité " puisque rien n'est en dehors de lui, et il n'est hors de rien ; en vérité il est matrice inaccessible et indéfinissable, le " Vrai " en sa suressence éternelle. au-delà de l'Absolu [33], ce qui dépasse même la transcendance, l'extrême pointe la plus essentielle du Non-Être ; quelque chose de plus encore que l'Unité " non exprimée ", car inexprimable dans le sens où cette dimension n'est en rien susceptible de manifestation. En toute logique, et surtout toute rigueur de termes, puisqu'on l'on est ici dans le cadre de " l'inexprimable ", il conviendrait donc de rester silencieux sur ce dépassement méta-ontologique correspondant à " l' Unité primordiale " non formulée, là où plus rien ne se traduit par une désignation, puisqu'il ne peut même plus être dit quoi que ce soit, de ce qui ne se dit pas, que ne peut être rien dit de ce qui ne réside pas dans le dicible, et même, ne se pense pas, car ne relevant que de la non-pensée, de la vacuité abyssale du vide suressentiel, de l'au-delà de l'Absolu. Unité ".

Le Mercure Dauphinois, 2017, 375 pages.

1. Ce déchirement souligne Hegel (1770-1831) , est inscrit non pas dans une réalité extrinsèque, mais à l'intérieur-même de l'essence de l'Absolu : " L'Esprit conquiert sa vérité seulement à condition de se retrouver soi-même dans l'absolu déchirement [ Er gewinnt seine Warheit nur, indem er in der obsoluten Zerrissenheit sich selbst findet]" (Hegel, Phänomenologie des Geistes, éd. Hoffemeister, 1929, p. 30).

2. M . Heidegger, Lettre sur l'humanisme, Aubier, 1957, p. 184.

3. Origène, dont Maistre fut le premier à faire remarquer : " l'opinion d'Origène [...] est encore aujourd'hui la base de toutes les initiations modernes." ( Mélanges B, p. 302), considérait que la création était une descente, une " dégradation ". Il écrit : " ... sont descendues de haut en bas non seulement les âmes qui l'ont mérité par leurs mouvements divers, mais encore celles qui pour servir ce monde ont été menées, bien que ne le voulant pas, de ces réalités-là, supérieures et invisibles, à ces réalités-ci, inférieures et visibles. À la vanité en effet la création est soumise, sans qu'elle le veuille, mais à cause de celui qui l'a soumise, dans l'espoir, afin que le soleil, la lune, les étoiles et les anges de Dieu accomplissent leur ministère envers le monde : pour ces âmes qui, à cause des trop grandes défaillances de leurs intelligences, eurent besoin de ces corps plus épais et plus solides, et en vue de ceux à qui cela était nécessaire, ce monde visible a été institué. À cause de cela, par la signification de ce mot est indiquée la descente de tous du haut en bas. " (Origène, Traité des Principes, Livre III, 8 ème traité, III, 5-6).

5. L'exceptionnelle analyse, qui fait la grande pertinence de Joseph de Maistre en tant que penseur de la métahistoire, la confiscation des biens de L'Église, l'interdiction des congrégations, la fermeture des établissements où l'enseignement été dispensé par les prêtres, la destruction des édifices catholiques, l'organisation des massacres des clercs du seul fait de leur état sacerdotal ou monastique, et les il est nécessaire de rappeler que la Révolution a prétendue " neutralité ", au nom de l'imposition d'une " : ''La nation ne salarie aucun culte ?''J. de Maistre, ne fut donc orientée que vers un seul et unique objectif : fut de comprendre assez rapidement en présence des événements qui bouleversèrent la France puis le Royaume de Savoie, que la Révolution n'était pas simplement un projet politique qui tentait de renverser l'ordre ancien, mais que l'idéologie révolutionnaire, la révolution politique, n'était qu'un " " ( la destruction de l'Église. op.cit., ch. V) -, Pourtant, contre toute logique, à la fois théologique et politique, c'est bien une alliance qui allait advenir de par la décision du 15 juillet 1801 (26 messidor an IX), par laquelle objet secondaire du grand plan " d'une tout autre nature, Révolution en réalité porteuse d'une vision qu'il faut bien dénommer " spirituelle ", tant elle participait de vues authentiquement religieuses, si l'on peut dire, qui étaient au service d'une nouvelle religion qui travailla à éradiquer l'ancienne en se signalant par un virulent antichristianisme qui se déploya, à partir de 1789, par des actes sacrilèges, des blasphèmes et l'instauration de la Constitution civile du clergé - adoptée par l'Assemblée nationale constituante le 12 juillet 1790, inféodant le clergé séculier français à l'État et instituant une nouvelle Église, " l'Église constitutionnelle " -, ce qui se traduisit par une véritable entreprise criminelle à l'égard des religieuses et religieux, avec, pour conséquences directes, Sur ce point, profanations qui prirent parfois des aspects absolument abominables. Il n'y a de ce fait, selon Maistre, non pas une conception sociale, c'est-à-dire en l'espèce la " République ", qui, s'opposant à une autre conception de la société, en l'occurrence la " Monarchie ", voulut par la laïcisation de la société, libérer le peuple de l'emprise du clergé, mais un projet religieux animé d'une hostilité irrationnelle à l'égard de l'Église, utilisant le pseudo-concept de " neutralité " de la chose publique - concept connu sous le nom de " laïcité " -, pour faire disparaître toutes les traces de l'ancienne religiosité, cette " laïcité " étant en fait, derrière son masque trompeur, et le demeurant puisque le projet reste identique et constant, une véritable machine de guerre contre le christianisme. déchristianisation systématique qui eut pour but d'en finir avec la religiosité qui participait depuis des siècles de la vie quotidienne en France, les prêtres réfractaires à la Constitution civile du Clergé furent déportés ou assassinés, les religieux contraints d'abjurer leurs vœux, les croix et images pieuses détruites, les fêtes religieuses interdites, les agendas modifiés, on fondit des cloches, procéda à la démolition des clochés, on changea les noms des lieux, villages et villes, qui possédaient une référence religieuse, on interdira la célébration du culte public et privé, enfin les fut terrifiante et criminelle dans ses conséquences à l'égard de l'Église, s'étant attaquée avec une sorte de fureur irrationnelle à son clergé,combattant sa hiérarchie, ses institutions, et, pour mieux la renverser, voulant établir un nouveau calendrier afin d'effacer des mémoires letemps grégorien, et faire disparaître définitivement les fondements mêmes du christianisme. Organisant une congrégations furent supprimées par un décret du 18 août 1792. On le constate, le but de la République, dès son origine, ne fut autre que d'éradiquer le christianisme de la Nation, et s laïcisation " à marche forcée de la sphère publique - Maistre souligne : " les principes de la Révolution subsistent. Les législateurs (pour me servir de leur terme) n'ont-ils pas prononcé ce mot isolé dans l'histoire le pape Pie VII (1742-1823), en tant que Vicaire du Christ, allait accepter que soit signé un " Concordat " avec la Nation française - celle athée, révolutionnaire et criminelle de 1789, qui profana et souilla, par des actes antireligieux, les temples chrétiens, se livrant à la destruction des édifices sacrés, violant les sépultures, et conduisit des milliers de prêtres, de religieuses et religieux à la mort en raison de leur état ecclésiastique -, " Concordat " que Pie VII promulguait, avec toute l'autorité dont il disposait en tant que souverain pontife, " acte solennel " passé de puissance à puissance, qui en venait pour l'Église, à traiter directement avec un pouvoir hérétique et schismatique, ce qui, en théorie, théologiquement, était impossible. C'était, évidemment, un renoncement total devant le Gouvernement Républicain, une manière pour l'Église, selon le droit canon, institution divine fondée par Dieu, de conférer, " infailliblement ", une légitimité à la Révolution foncièrement antichrétienne et négatrice de la religion catholique. Joseph de Maistre, pourtant très papiste, fut tellement scandalisé par le " Concordat " signé par Pie VII en 1801 - qui apparaissait comme complaisant avec la République, État régicide et antichrétien -, qu'il se serait écrié : " Je souhaite au pape de tout mon cœur la mort, de la même manière et par la même raison que je la souhaiterais à mon père s'il venait à me déshonorer demain."

6. J. Evola, Le chemin du Cinabre, Éditions Arché-Arktos, 1983, p. 197. Evola rajoute plus loin : " ... je reviens sans équivoque sur le détachement de toute finalité pratique. Il n'existe plus rien, dans le domaine politique et social, qui mérite vraiment un total dévouement et un engagement profond. L'apolitia doit être la règle de l'homme différencié. " ( Ibid., p. 201).

8. Formulation saisissante de Joseph de Maistre : " Il n'y a que violence dans l'Univers; mais nous sommes gâtés par la philosophie moderne, qui nous a dit que tout est bien, tandis que le mal a tout souillé, et que dans un sens très vrai, tout est mal, puisque rien n'est à sa place. La note tonique du système de notre création ayant baissé, toutes les autres ont baissé proportionnellement, suivant les règles de l'harmonie. ''Tous les êtres gémissent'' (Rom., VIII, 18) et tendent avec effort et douleur vers un autre ordre de choses. " (Les Soirées de Saint-Pétersbourg, op.cit.).

10. L'exemple le plus célèbre en Occident d'une institution traditionnelle devenue une structure " parodique ", est, bien évidemment, la franc-maçonnerie, terme qu'il faudrait d'ailleurs mettre au pluriel, tant ce nom désigne, en fonction des obédiences, des juridictions et des rites, et surtout de la manière dont sont pratiqués ces derniers, des " voies ", des " orientations ", des " dépôts ", absolument dissemblables et de valeurs foncièrement inégales. Ce à quoi se rajoute, de par le lent travail de dissolution dont le temps est le principal responsable, une progressive dépossession et concrète disparition des qualifications initiatiques dans beaucoup de structures, où " l'influence spirituelle " a été, soit fortement dégradée, soit parfois, et le plus souvent, négligée, oubliée, voire, carrément combattue ou perdue, aboutissant à une quasi rupture, par dégénérescence, de la chaîne de succession ininterrompue, nous mettant, dès lors, en présence " d'associations " profanes du point de vue spirituel, qui maintiennent par habitude des règles de discrétion, tout en étant animées par des principes qui n'ont plus rien de traditionnels, allant même, paradoxalement, jusqu'à afficher de nettes préventions, pour ne pas dire une hostilité, pour tout ce qui touche ou relève de la " Tradition ". Ainsi s'explique pourquoi beaucoup de " sociétés discrètes ", qui purent relever de la catégorie " secrète initiatique " il y a encore peu, n'ont plus grand-chose à voir aujourd'hui avec ce qu'est " l'initiation ", ou de façon très vague, imposant d'établir cette distinction entre des formes structurelles qui s'isolent et se réunissent pour réfléchir à des projets sociétaux, des buts humanitaires et philanthropiques, en accordant un intérêt plus ou moins prononcé pour l'Histoire et le symbolisme, des authentiques " organisations initiatiques ", qui appartiennent " à un ordre tout différent ".

11. R. Guénon, ch. 1 Aperçus sur l'initiation, er " Voie initiatique et voie mystique ", 1946 .

12. M . Eliade, Naissances Mystiques, Essai sur quelques types d'initiation, Gallimard, 1959, p. 9.

13. M . Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, 3 vol., Payot, 1976, t.1, p. 307.

14. M . Heidegger, L'Être et le Temps, Gallimard, 1964, p. 42.

15. M . Heidegger, Qu'est-ce que la métaphysique? Questions, I, Gallimard, 1989, p. 33.

16. Notons que les Verbum in quo non sunt Tenebrae, Error, Vanitas neque Mors [....] Lux, sine qua Tenebrae ; via, sine qua error ; veritas, sine qua vanitas ; vita, sine qua mors. " ( Soliloques (Soliloquia), ouvrage largement diffusé jusqu'au XIX ème sous la signature de saint Augustin, eurent une influence déterminante sur Jean de Lugio et Bartholomé de Carcassonne qui, à la fin du XII ème siècle, seront à l'origine du courant dualiste qui se répandit en Europe, notamment en Italie et le sud de la France. Ainsi dans son célèbre " Liber de duobus principiis", Jean de Lugio soutient : " Les Ténèbres n'ont point été créées directement par Dieu, mais indirectement et à partir d'une réalité préexistante, celle du mauvais principes", ce qui est exactement la pensée du pseudo Augustin : " Le Verbe est la Lumière et la Vie en quoi ne sont pas les Ténèbres, l'Erreur, la Vanité et la Mort : Sol. Apoc., IV).

18. Instruction pour les Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte , 1784, Bibliothèque Municipale de Lyon, Fonds Willermoz, MS 5921.

19. Bibliothèque Municipale de Lyon, Instruction pour le grade d'Écuyer Novice, ms 1778.

20. Rituel du Grade d'Apprenti du Régime Ecossais Rectifié, rédigé en Convent Général de l'Ordre l'an 1782, version complétée par Jean-Baptiste Willermoz et communiquée par lui en 1802 à

, ''Devoirs envers Dieu et la Religion''. L'affirmation par la 21. Règle Maçonnique, Article I Règle Maçonnique du caractère inconcevable et indéfinissable de Dieu, qui peut paraître catégorique et brutale, ne doit pas nous surprendre, elle participe d'une parfaite tradition patristique. Ainsi saint Augustin souligna : " Nous parlons de Dieu : quoi d'étonnant que tu ne le comprennes pas. Si tu comprends, ce n'est plus Dieu... c'est une grande félicité que de toucher Dieu ne fût-ce qu'un peu, avec notre esprit ; le saisir est impossible. " [Sermon, 117, III, 5.]

22. Textes publiés pour la première fois par René Desaguliers dans la revue Renaissance Traditionnelle n° 80, Octobre 1989, pp. 241-281, désignés, respectivement sous les cotes FM 508 (2 ème Cayer [B]) et FM 509 (3 ème Cayer [C]), à la Bibliothèque Nationale de Paris, dont une copie, comportant quelques différences scripturaires, se trouvent au fonds Georg Kloss de la Bibliothèque du Grand Orient des Pays Bas à La Haye.

23. N'oublions pas que le Traité sur la réintégration des êtres de Martinès de Pasqually, qui eut une influence considérable sur Jean-Baptiste Willermoz, est une source tout à fait remarquable concernant notre sujet, puisqu'il se présente comme un récit général de la Création, avant même l'apparition de l'homme et du monde. Dieu y est désigné constamment sous la figure du Créateur, et il est courant dans le texte qu'il soit simplement signalé sous le nom de " Créateur ", et même, à une occasion, " d'Être-Créateur " : " Oui, je suis le père temporel des enfants spirituels des enfants d'Israël, et non celui de ses enfants charnels et matériels. Tu as été témoin de la manifestation de la gloire et de la justice divine en ta faveur, par la force de mes opérations. Tu as vu clairement se manifester l'action et la volonté du Créateur dans tout ce que j'ai fait pour toi. Tu as donc vu en moi la ressemblance de la pensée de l'Éternel, puisque, je l'ai lue dans sa gloire et que je l'ai vue face à face. Cette montagne spirituelle que tu m'as vu monter t'annonçait la distance qu'il y a de l'Être-Créateur à la créature générale ou la terre. " (Martinès de Pasqually, Traité sur la réintégration des êtres dans leur première propriété, vertu et puissance spirituelle divine, [215] Grand discours de Moïse.) D'autre part, l'acte de Création y est nettement décrit comme le surgissement de l'être à partir de rien : " Il n'est pas possible de regarder les formes corporelles présentes comme réelles, sans admettre une matière innée dans le Créateur divin, ce qui répugne à sa spiritualité. Il est appelé Créateur, parce que de rien il a tout créé, et que toute sa création provient de son imagination ; et c'est parce que sa création provient de son imagination pensante divine qu'elle est appelée image. La même faculté divine qui a tout produit, rappellera tout à son principe, et de même que toute espèce de forme a pris principe, de même elle se dissipera et réintégrera dans son premier lieu d'émanation." ( Ibid., [116] Le Créateur protège l'homme déchu et sa création n'est qu'une image.) Dans un autre passage, Martinès parle du néant dans lequel se trouvait la nature universelle avant l'action du Créateur : " Les eaux qui se sont élevées jusqu'aux portes du firmament et qui ont dérobé toute la nature à vos yeux, vous représentent le néant où était la nature universelle avant que le Créateur eût conçu, dans son imagination, d'opérer la création, tant spirituelle que temporelle... " (Ibid., [138] L'instruction de Noé aux habitants de l'arche congédiés : l'émanation et la création).

montre de façon subtile, dans son Monologion, en quel sens on peut dire que la créature est faite à partir de rien : " La troisième interprétation par laquelle on dit que quelque chose a été fait de rien (de nihilo), c'est quand nous entendons qu'il a été fait, mais qu'il n'y a pas quelque chose (aliquid) à partir de quoi il a été fait [...] Si donc on entend en ce dernier sens ce que nous avons conclu plus haut: qu'hormis l'essence souveraine, tout ce qui vient d'elle a été fait de rien (ex nihilo), c'est-à-dire pas de quelque chose (non ex aliquo), rien d'inconvenant n'en découle. " (S. Anselme, Monologion, ch. 8).

28. Baruch ben Neria (- VIIécrit en hébreu à l'origine, mais ce livre hébreu s'étant perdu, il n'en est resté que la version grecque ( ème s.) , considéré comme un prophète " non-apocryphe " par l'Église, fut un disciple du prophète Jérémie. Après la mort de ce dernier, il rejoignit les Judéens captifs à Babylone , rédigeant ses prophéties dans ce qui est connu aujourd'hui sous le nom de " Livre de Baruch ", Septante) et latine ( Vulgate).

31. On considère généralement en théologie, et selon ce que saint Thomas expose ( Summ. Théol., 1, q. 8, a. 3), que Dieu est naturellement présent dans les créatures de trois manières différentes : 1°) par l'effet de sa " Puissance " car toutes les êtres sont soumis à son emprise, 2°) par sa " Présence " en tant qu'il est plus présent à nous-mêmes que nous-mêmes, 3°) par son " Essence ", puisqu'il agit partout, communicant sans cesse la vie, le mouvement est l'être. René Guénon précisera sur ce point théorique important : " Le monde corporel, en réalité, ne peut être considéré comme un tout se suffisant à lui-même, ni comme quelque chose d'isolé dans l'ensemble de la manifestation universelle ; au contraire, et quelques puissent être les apparences dues actuellement à la "solidification", il procède tout entier de l'ordre subtil, dans lequel il a, peut-on dire, son principe immédiat, et par l'intermédiaire duquel il se rattache, de proche en proche, à la manifestation informelle, puis au non-manifesté ; s'il en était autrement, son existence ne pourrait être qu'une illusion pure et simple, une sorte de fantasmagorie derrière laquelle il n'y aurait rien, ce qui, en somme, revient à dire qu'il n'existerait en aucune façon. Dans ces conditions il ne peut y avoir, dans ce monde corporel, aucune chose dont l'existence ne repose en définitive sur des éléments d'ordre subtil, et, au delà de ceux-ci, sur un principe qui peut être dit "spirituel", et sans lequel nulle manifestation n'est possible, à quelque degré que ce soit." (R. Guénon, Le Règne de la quantité et les signes des temps, Gallimard, 1972, p. 176).

32. Le temps, en lui-même, en son être propre, n'a pas d'être réel, car il ne devient réalité, qu'au moment où il est perçu et pensé par l'esprit, le temps n'existe que dans l'esprit, qu'au moment où l'esprit en a conscience, c'est-à-dire dans l'instant présent, et uniquement dans l'instant présent qui est le seul temps réel au sein duquel se déroule la vie, tout ce qui advient se passe toujours au présent, toute vie n'existe que dans le déroulement d'un présent constant et permanent, qui est la seule et unique dimension de l'existence. Il n'y a donc, en aucun cas, et aucun état pour l'être en sa vie propre, trois temps distincts qui seraient séparés et différents, " passé ", " présent ", et " futur ", car ces trois temps n'en sont qu'un, n'en forment qu'un seul, ils sont toujours, inévitablement, du " présent " : le passé pensé dans le présent (" praesens de praeterito"), le présent du moment présent (" praesens de praesentibus"), et l'avenir pensé au présent (" praesens de futuris ") : " Or, ce qui devient évident et clair, c'est que le futur et le passé ne sont point; et, rigoureusement, on ne saurait admettre ces trois temps: passé, présent et futur; mais peut-être dira-t-on avec vérité : Il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de l'avenir. Car ce triple mode de présence existe dans l'esprit; je ne le vois pas ailleurs. Le présent du passé, c'est la mémoire; le présent du présent, c'est l'attention actuelle; le présent de l'avenir, c'est son attente

34. Ce stade, de l'au-delà de l'Absolu, est désigné, non sans raison d'ailleurs, du nom de " (Y. Mamleev, 2012, p. 124). Il est cependant à noter, ce que vit très bien Damascios le Diadoque (460-537), plus connu sous le nom latinisé de " Dernière doctrine" par Destin de l'être, suivi de Au-delà de l'hindouisme et du bouddhisme , L'Âge d'Homme, Leszek Kolakowski (1927-2009), que tenter de dire ce qui ne se dit pas, se heurte inévitablement à une limite herméneutique infranchissable : " Damascius, Quoi que nous disions, même négativement, du premier principe, nous sous-entendons naturellement que quelque chose peut en être dit et qu'il n'est pas absolument ineffable en fin de compte ; cela nous incite à chercher un principe au-delà de ce Premier, et ce principe nouvellement découvert sera ineffable au point de ne même pas pouvoir être dit ineffable. Hélas, cette recherche ne finit jamais. Dire qu'il est même impropre d'attribuer l'ineffabilité à l'Ultimum Mais si l'Un est cause de tout et ce qui embrasse tout, qu'avons-nous à remonter encore au-delà de lui ? N'est-il pas à craindre que nous n'avancions dans le vide, tendus vers le rien lui-même ? Car ce n'est qui n'est même pas Un n'est rien, c'est ce qu'on peut dire de plus juste. D'où viendra qu'il y ait quelque chose au-delà de l'Un ? [...] Ajoutons que si nous concevons l'Un, c'est par un soupçon qui, au terme d'une purification radicale, atteint le plus simple et le plus enveloppant. Mais ce qu'il y a de plus auguste doit échapper aux prises de toutes nos conceptions et de tous nos soupçons, puisque même dans les choses d'ici-bas ce qui, toujours, s'enfuit là-haut, loin de nos pensées, est plus précieux que ce qui est à notre portée, et ainsi le plus précieux sera cela même qui aura échappé à tous nos soupçons. " (Damascius, Des premiers principes, Éditions Verdier, 1987, pp. 154 ; 155). revient à le qualifier d'un autre prédicat ; ''être ineffable au point de ne même pas pouvoir être dit ineffable'' n'est pas moins un prédicat 'qu'être ineffable''. On ne peut pas parler en silence ; c'est aussi simple que cela. Dire qu'une réalité est absolument ineffable ou absolument inconnaissable, c'est fatalement tomber dans l'antinomie de l'autoréférentialité. Damascius le savait (comme saint Augustin le savait avant lui), mais il ne trouva pas d'autre solution que de décrire l'Ultimum par un redoublement de la négation (ineffabilité au-delà de l'ineffabilité), reproduisant ainsi la même antinomie. Si après Damascius il y avait eu un autre philosophe pour poursuivre le raisonnement dans le même sens, il aurait sans doute essayé de monter à un niveau encore plus élevé de la réalité afin d'éviter le paradoxe - en théorie ce processus pourrait continuer indéfiniment. " (L. Kolakowski, L'Horreur métaphysique, Bibliothèque philosophique Payot, 1989, p. 54). Il faut bien reconnaître en effet, que Youri Mamleev (1931-2015), fortement influencé par René Guénon dans sa réflexion, qui parle de ce dépassement en ces termes : " La ''Dernière doctrine'' est un enseignement sur ce qui n'est pas, sur ce qui se trouve au-delà de Dieu, de l'Absolu et qui est transcendant à Dieu, à la réalité et au Soi Supérieur. Cet ''enseignement'' introduit l'idée que Dieu, par analogie, n'est que le ''corps'' de la Transcendance absolue, et non son essence. Cette transcendance est véritablement Ténèbres, Océan, qui ''entoure'' la Réalité ... " philosophe néoplatonicien, a très bien perçu que lorsque l'on tente un dépassement de l'Un, en insistant, en mode discursif, sur le fait que l'Ineffable non seulement ne peut être connu, mais qu'il ne peut se décrire que dans la négation de la négation redoublée sur elle-même, cela nous conduit, non seulement à une impasse terminologique, mais aussi théorique, car cette opération bute sur une aporie contradictoire consistant à chercher toujours un au-delà à l'au-delà de l'Absolu, dans un mouvement sans fin de transcendance intellectuelle et conceptuelle, qui tente, constamment, de s'élever au-dessus de lui-même, participant au final d'une impossibilité catégorique :

35. S'agissant de " l' Être-pur " identique à l'Être Infini, Vladimir Lossky montre très bien comment cet Être indifférencié, l'Être par lui-même, l' ipsum esse, possède une " pureté d'être " dans la plénitude de son indistinction, supprimant ainsi toute négativité, jusqu'à supprimer la part de limitation, par l'effet de l'unité, précisément dans l'indistinction finie de l'être déterminé : " L'ipsum esse qu'elles reçoivent [les créatures] toujours sans jamais le posséder est l'Être infini, non déterminé par son Essence, non compris dans les limites des genres, espèces ou être particuliers ; c'est l'Être-Un qui exclut toute division, absolument indistinct, ''se distinguant par son indistinction''. Contrairement à la totalité de l'être créé, grevée de limitations essentielles ou ''modes'' différents de recevoir l'esse, l'Ipsum Esse est ''sans modes''. Cependant cet Infini positif n'est pas seulement une ''pureté'' d'être mais aussi sa ''plénitude'' et, à ce titre, il comprend tous les modes d'être, en supprimant la part de négativité qui fait opposer l'unité et l'indistinction finie de ''cet être'' déterminé à ''tout autre être'', à tout ''ce qu'il n'est pas''. " (V. Lossky., Théologie négative et connaissance de Dieu chez Maître Eckhart, Librairie philosophique J. Vrin, 1998, p. 304).