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Eloge (fantaisiste) de la barbe

Publié le 09 avril 2017 par Savatier

Eloge (fantaisiste) de la barbe« Un barbu, c’est un barbu. Mais trois barbus, c’est des barbouzes », disait Lino Ventura à Mireille Darc dans Les Barbouzes, grand classique de Georges Lautner, sur des dialogues signés de Michel Audiard. La prévention de l’espion français envers les barbus n’était pas partagée par le très excentrique britannique Thomas S. Gowing, auteur d’un essai passablement loufoque, Philosophie de la barbe (Bartillat, 118 pages, 12 €), publié pour la première fois en 1854.

Cet éloquent plaidoyer en faveur de la pilosité faciale ressemble à un canular bien construit. Pour atteindre son but, Gowing, ne recule devant aucun argument, multiplie les références de tous ordres, comme l’indique l’intitulé des chapitres de son livre : Physiologie, Classification artistique, Perspective historique, Histoire ecclésiastique et Histoire moderne. Rien de moins.

L’époque où il écrivait son manuscrit lui était, il est vrai, favorable. La barbe s’imposait sur les deux rives de la Manche. En France, Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Gustave Courbet – et même, pour une courte période, Baudelaire – arboraient une pilosité fournie dont la coupe variait avec le temps. Ernest Meissonier, peintre aujourd’hui assez oublié mais qui, au XIXe siècle, était aussi célèbre que l’est Picasso de nos jours, passa ainsi, au fil des années, du condottiere au Dieu biblique.

Sans craindre la contestation, pourtant souvent légitime, de ses arguments, l’auteur avance que toutes les « grandes races d’hommes » portèrent la barbe, y compris les Egyptiens, les Grecs et les Romains, ce que la statuaire vient nettement nuancer. Pour lui, l’absence de barbe trahirait « un signe de faiblesse physique et moral », une « efféminisation » ; sa présence serait en revanche une preuve de virilité, de sagesse, de sens esthétique. Cet ornement présenterait en outre une foule d’avantages, comme celui de protéger les amygdales, la gorge, le larynx. Prévoyant, Gowing répond par avance à l’objection concernant les femmes dont la barbe est naturellement absente en clamant qu’elles « n’ont jamais été conçues pour être exposées aux épreuves et aux difficultés que les hommes sont appelés à subir » – opinion ridicule aujourd’hui, mais qui, au-delà de la plaisanterie, devait être assez répandue à son époque.

Oubliant que l’iconographie paléochrétienne du Christ le montre généralement imberbe, Gowing cite Jésus en exemple, ainsi que les apôtres et Mahomet. Il s’appuie encore sur les Pères de l’Eglise, qu’il voit forcément tous barbus. C’est toutefois lorsqu’il aborde l’Histoire que l’essai devient franchement comique. Ainsi, affirme-t-il qu’Aliénor d’Aquitaine avait obtenu le divorce de Louis VII au simple prétexte que ce dernier avait… rasé sa barbe ! Plus loin, il attribue par erreur la paternité de l’impériale (barbiche insuffisante qu’il traite avec mépris) à Napoléon Ier, empereur qu’il confond manifestement avec son neveu, lequel, détail cocasse, régnait pourtant en France au moment où le livre fut publié.

Tout cela est drôle, divertissant et digne de la chaire de barbologie analytique à la Sorbonne qu’occupait le professeur Merry Christmas, l’un des protagonistes de Malheur aux barbus, premier opus du célèbre feuilleton de Pierre Dac, Signé Furax !


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