Où il est question de l'après-présidentielle, l'après-vote utile, l'après-choix définitif pour les 5 années à venir.
L'épreuve du débatMardi, c'est une épreuve, un débat à 11 candidats, quelques dizaines de dizaines de secondes à peine par participant pour débattre de l'avenir du pays. Deux chaînes d'information organisent le premier débat du premier tour présidentiel, un exercice inédit qui permet d'entendre trop longuement le lunatique Jacques Cheminade aux côtés d'un élu local, Jean Lasalle, qui annone si mal ses arguments qu'on le croit fin bourré.
Il y a quelques bons moments, résumés plus tard en quelques minutes efficaces qui n'effacent l'incroyable ennui plus de 3 heures et demi durant. Philippe Poutou remet les pieds dans le plat des affaires ("Je suis contre les politiciens corrompus. Et il y en a qui se reconnaîtront autour de la salle..."), et mouche Marine Le Pen ("Nous, quand on est convoqué par la police, nous n'avons pas d'immunité ouvrière, on y va"). L'inconnu François Asselineau abime et pousse Marine Le Pen dans ses retranchements à propos de l'Europe. Mélenchon mouche Marine Le Pen qui est contrainte de dévoiler l'hypocrisie de ses positions laïcardes ("Vous voulez mettre des symboles religieux dans nos mairies ? C’est ça votre laïcité ?")
Poutou porte un tee-shirt. Une bourgeoisie médiatique vomit aussitôt son mépris de classe sur les réseaux sociaux et audiovisuels. Joli thermomètre de l'état de délabrement de certains esprits.
Fillon en roue libre
Fillon a été surpris. Quand Poutou lui balance ses affaires de corruption et d'argent (public) facile à la figure, Fillon paraît interloqué, coincé, retranché. L'heure est grave. Fillon est troisième dans les sondages, et depuis longtemps. Après la triple mise en examen de sa femme, Fillon n'est plus que le second candidat des riches de cette campagne. Même si ses proches n'y croient plus, Fillon y croit encore. Il y aurait un "frémissement" dans les sondages, promet le Figaro.
Alors Fillon s'évade. Il traverse des mondes parallèles. Il prête même à Macron des projets de taxe immobilière qui n'existent pas. Lui-même nettoie discrètement son programme, sans trop l'avouer, de quelques-unes de ses promesses de primaire démagogique. Interrogé sur France Inter, il assure détenir le nom des "personnes qui ont communiqué les documents" au Canard Enchaîné: " Cette opération a été montée, je le prouverai. J’ai les dates, les jours, les personnes qui ont communiqué ces documents. Ça viendra, le moment venu, je poursuivrai tous ceux qui sont à l’origine de cette affaire." On se demande pourquoi ce "moment" n'est pas venu. N'est-il pas urgent que Fillon explique ce qu'il sait ?
Bizarrement, le candidat Fillon ne commente pas les menaces de mort reçues d'un énigmatique "Collectif d'épuration 2 J" par les journalistes et magistrats suite aux révélations de François Hollande.
Ça va. Elle se passe bien cette campagne. https://t.co/60VcY5f0k6 pic.twitter.com/VFZMCxn977 — Ellen Salvi (@ellensalvi) 6 avril 2017A un mois d'un second tour qu'il ne connaîtra peut être jamais, François Fillon sombre parfois dans le ridicule. En meeting à Clermont-Ferrand, le voici qu'il se compare à ... Vercingétorix.
"J’apprécie d’être à quelques kilomètres d’un lieu historique, le plateau de Gergovie. Là-bas, il y a quelques siècles, un rebelle gaulois, Vercingétorix, infligea une défaite magistrale à Jules César… qui était pourtant le favori des sondages !" François Fillon, 7 avril 2017Ne riez pas. Nicolas Sarkozy se force à réitérer son soutien en fin de semaine.
Monsieur Bricolage
Jeudi, le favori des sondages s'explique longuement sur France 2. Interrogé sur sa possible majorité, Macron avance des réponses lénifiantes et donc terrifiantes. Il "bricole" en permanence avec des bouts de ficelle empruntés à gauche et à droite. A propos des attaques chimiques en Syrie, il rejoint Mélenchon en réclamant une intervention sous l’égide de l’ONU et un dialogue avec la Russie. Il veut "sortir Bachar Al-Assad du jeu", mais "en même temps", "pas au prix de l’instabilité" dans le pays. Sur le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il veut respecter le référendum local, et "en même temps" nommer un médiateur et trancher au bout de six mois. Face à François Rufin, Macron assume son "silence sur Whirlpool", une usine d'Amiens délocalisée en Pologne, "un refus de manipuler la situation". Manipuler quelle situation ? Macron joue des mots mais la réalité est claire, il assume son impuissance. Il confond renoncement et réalisme.
Il promet que la moitié des candidats aux élections législatives seront sans expérience politique ("la société civile"); que les autres viendront de tous les horizons politiques - socialistes, de droite, du centre, écologistes, gaullistes. Bref, une véritable majorité politique prête à tout, "et en même temps" pas à grand chose. Qui a décidé du casting de ces candidats ? Emmanuel Macron et sa commission composée de quelques proches. Il y a déjà des couacs dans la désignation des "référents" d'En Marche. Les législatives promettent d'être un régal.
N'imaginez pas un parti, avec ses sections locales qui votent, désignent et propulsent. Macron choisit. Mais il s'abrite derrière une commission de proches. La monarchie présidentielle a de beaux jours devant elle. Le casting est une affaire trop sérieuse pour la laisser à quelqu'un d'autre que le leader et ses conseillers publicitaires (un ex-patron du RAID député macroniste, ça le fait, non ?).
L'après-7 mai.
Macron dégage une curieuse impression, un sentiment de vide idéologique et politique. Macron est un produit, un lancement incroyablement réussi: sans autre programme que de prolonger vers davantage de libéralisme un quinquennat raté, il est parvenu à se hisser en position éligible.
Et après ?
Au-delà des résultats, désastreux, Sarkozy a échoué à se faire réélire en 2012 à cause de sa personne. La campagne présidentielle de l'époque avait démarré très tôt comme un référendum anti-sarkozyste. Et la disqualification morale et judiciaire de Dominique Strauss-Kahn a fait le reste pour propulser, de justesse, François Hollande à l'Elysée. L'antisarkozysme était solide, avant même l'élection en 2007. Le quinquennat outrancier qui l'a suivi l'a propulsé vers les sommets.
Élu contre Sarkozy plutôt que pour se programme, Hollande s'est fracassé sur un écueil majeur, l'absence de majorité politique non pas institutionnel (il l'avait dès juin 2012), mais réel (il l'a perdu dès le printemps 2014 avec le choix de Valls à Matignon). Entre l'opposition de gauche, vers la laquelle il n'a fait aucun effort, bien au contraire, durant l'intégralité de son mandat, et l'émergence d'un solide contingent de frondeurs qui a fini par emporter la tardive primaire socialiste de janvier, le Hollandisme s'est désintégré.
Bref.
Au-delà des résultats, désastreux, Hollande a échoué à se faire réélire en 2017 à cause de son absence de majorité politique cohérente.
Observons maintenant Macron. Il est peu probable qu'il développe une haine contre sa personne aussi puissante que Sarkozy. Macron est sympathique. Il sourit facilement, il est cordial, il est peu bravache. Il ne cherche pas à cliver. Il n'est pas Bling-bling, même s'il est totalement hors sol. Il est cultivé, même si sa culture est loin de beaucoup. Ses erreurs de communication sont touchantes. Il évite de provoquer inutilement. Il est issu d'un milieu modeste. Il a réussi à l'ENA. Son passage à la banque Rothschild n'en fait pas un aristocrate.
Macron est sympathique. Mais la question de la cohérence de sa majorité politique se pose gravement. Sociologiquement, sa base paraît étroite: "aisé, cadre, éduqué, urbain", l'électeur macroniste est symétriquement inverse de celui de Marine Le Pen. La majorité promise à Macron est fragile quand on l'observe sociologiquement. Candidat des aisés, Macron prend la relève des deux précédents candidats des riches, Sarkozy puis Fillon, sans leur socle populiste.
Comme Hollande en 2012, Macron agrège des soutiens sur la seule et principale perspective de la victoire en mai prochain. Ajoutez que l'opposant(e) désigné(e) par les enquêtes sondagières est désormais l'héritière de l'Immonde, la "nationale-socialiste" Marine Le Pen, et vous comprenez la facilité et la fragilité de la vague. La promesse d'une victoire attire le plus grand nombre, et un nombre grandissant.
Courbes croisées
Vendredi 7 avril, un mois avant un second tour qui sera peut-être surprenant, les courbes se croisent. Non pas celles de Hamon versus Mélenchon, car Hamon a disparu. Le candidat socialiste s'approche du score historique de Gaston Deferre en 1969. Les courbes Fillon/Mélenchon se croisent. Une enquête sondagière fige Mélenchon à égalité avec Fillon. Le candidat insoumis tutoie le candidat des riches.
"Je n'ai pas changé, mais ce serait de la sottise de ne pas retenir les leçons du passé. L'idée, c'était de rassembler le peuple sur des idées qui le rendent acteur de l'Histoire. Tous ceux qui m'entendent et trouvent leur compte dans le fait qu'on va commencer un nouveau monde. Je n'ai pas envie de demander aux gens s'ils ont été toujours d'accord avec vous. On a besoin d'un grand élan qui nous porte en avant." Jean-Luc Mélenchon.En Syrie, les forces de Bachar El-Assad lancent une attaque chimique à Khan Sheykhoun; 86 morts, dont 27 enfants. Mélenchon condamne sans détour. Mais il condamne aussi la riposte américaine unilatérale et sans discussion préalable de l'ONU. Il condamne aussi le ralliement français et allemand à cette riposte Trumpiste. Cette tragédie internationale suffit à réactiver les accusations de poutinisme à l'encontre du candidat de la France insoumise. Les soutiens de Hamon et Macron s'en donnent à coeur joie sans répondre à la seule question qui vaille: du point de vue de la France et du droit, comment parvenir à la paix et éviter l'embrasement ?
La campagne présidentielle agite les esprits et offre le moindre sujet à l'instrumentalisation facile.
Ami(e) citoyen(ne), tout est possible.
Tout est maintenant possible. Le pire comme le meilleur. Ou le rien. https://t.co/e01vBT6TiT — Juan (@Sarkofrance) 8 avril 2017