"On dit qu'il faut un an pour se remettre d'un chagrin d'amour. On dit aussi des tas d'autres choses dont la banalité finit par émousser la vérité."
Titus a quitté Bérénice, préférant rester avec sa femme Roma. Bérénice décide alors de rejoindre son homonyme racinienne et plonge corps et âme dans les tragédies et dans l'oeuvre de Racine. Pour se consoler, pour oublier. La vie du dramaturge défile alors de sa jeunesse à Port Royal à sa mort en passant par le faste de Versailles. L'homme prend forme peu à peu, au-delà du créateur de génie, c'est un homme différent qui apparait, tiraillé entre son éducation religieuse et son attirance pour les lumières.
"Parfois, à la nuit tombée, Jean est épuisé par cette ronde d'éclipses qui commence dès l'aube, cette alternance d'anneaux, où il doit faire entrer toute son âme et qui n'ont jamais la même diamètre, tantôt larges, confortables, tantôt étroits, jusqu'à l'étranglement. Tantôt clairs, tantôt obscurs. La gloire, l'ingratitude, la gloire, l'ingratitude, la gloire, ad nauseam..." p. 147
En étudiant son oeuvre centrée sur la passion et ses débordements, Bérénice espère peut-être comprendre ce qui l'a emportée et l'a laissée transie sur le rivage de la rupture.
"Si vous parvenez à saisir tout ce qui se passe dans l'annonce d'une séparation, vous êtes au coeur de la condition humaines, ses désirs, sa solitude. On peut disséquer la mort d'une âme sans verser une seule goutte de sang." p. 193
"Vouloir comprendre ce qu'on appelle l'amour c'est vouloir attraper le vent" p. 288
Dans une langue travaillée, proche de la grâce, l'auteur livre un bel hommage à la littérature, à ces textes classiques essentiels, essentiels pour se sauver, pour pratiquer la catharsis, pour comprendre comment d'autres ont succombé aux passions ou s'en sont affranchis, pour s'échapper un temps d'une réalité trop lourde à porter, pour qu'un personnage nous aide à porter notre destin incertain à bout de bras... Elle évoque la littérature, comme consolation pour "quitter son temps, son époque, construire un objet alternatif à son chagrin, sculpter une forme à travers son rideau de larmes." p. 20
Titus n'aimait pas Bérénice, Nathalie Azoulai, folio, février 2016, 304 p., 7.70 euros