La sculpture renversée

Publié le 06 avril 2017 par Marcel & Simone @MarceletSimone

À l'occasion des 40 ans du Centre Pompidou, une série d'objets et d'installations sortent de Beaubourg pour investir les salles de la Monnaie de Paris. L'exposition “À pied d'oeuvre(s)” redéfinit le concept de sculpture à travers une sélection exceptionnelle d'oeuvres d'artistes majeurs du vingtième siècle.

James Lee Byars, Red Angel of Marseille, 1993 © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat

    “À pied d'oeuvres(s)” c'est tout d'abord le passage de la verticalité d'une sculpture traditionnellement ascendante de figures debout sur un socle, à l'horizontalité d'oeuvres disposées en contact direct avec le sol. Le geste fondateur de ce renversement est attribué à Marcel Duchamp qui, en 1917, fixe un porte manteau au sol pour en faire son Trébuchet. Cet objet ready-made, dont la fonctionnalité première a été détournée, est représentative des possibilités esthétiques offertes par un changement de point de vue. L'artiste agit sur les formes déjà existantes en déformant la ligne plane du sol et en créée de nouvelles inédites par le renversement des objets d'art. 

    De la même manière, Yves Klein décroche le tableau du mur en faisant de son Monogold une pierre tombale dorée et fleurie d'un bouquet de roses synthétiques et d'une couronne d'éponge de son bleu caractéristique dans son oeuvre RP3, Ci-gît l'espace. Les oeuvres ne sont plus vouées à s'exhiber à hauteur de regard du spectateur mais elles le forcent à faire l'effort de regarder à terre, sous peine de trébucher à l'instar de Marcel Duchamp. Ce changement de perspective est l'occasion d'une rencontre avec une oeuvre pouvant se regarder à différentes échelles. On peut s'abaisser au plus près du sol pour retrouver une perspective verticale ou chercher à voir l'oeuvre dans son ensemble et l'admirer d'en haut. 

Michel Blazy, Millesfeuilles, 1993-1994, Papier toilette rose. © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat

Le monumental Red Angel of Marseille ouvrant l'exposition dans le grand salon est une juxtaposition de 1000 boules de verre rouge, traçant la colonne vertébrale d'un ange et ses ailes stylisées. Par cette oeuvre de James Lee Byars, on devient conscient des possibilités esthétiques et symboliques offertes par le sol. Aux pieds de l'oeuvre, le visiteur se perd dans les arabesques dessinées par ce chapelet sans pouvoir accéder à une vision d'ensemble de l'oeuvre. Le spectateur peut également contempler le vide laissé entre chaque ligne de perles, en contraste chromatique et géométrique avec le damier de marbre blanc et noir décorant le sol de la majestueuse salle Guillaume Dupré. C'est tout le sens de l'espace d'une pièce qui est ici redéfini; la sculpture occupe une grande partie du sol, dont le volume en hauteur reste inoccupé, offrant un espace vierge aux émanations de l'ange à terre. 

L'exposition illustre également la diversification des médiums et matériaux s'étendant au domaine de la sculpture au cours du XXème siècle. L'oeuvre video de Pipilotti Rist ouvrant l'exposition utilise le sol comme écran sur lequel sont projetées des images d'une sculpture monumentale. 

    Le corps et la performance viennent enrichir une nouvelle définition de la sculpture. Une collection d'objets d'archive documentant la performance MesuRage d'Orlan en 1977. Ici, c'est l'artiste même qui s'allonge au sol et devient le médium-même de son oeuvre. Utilisant son corps comme étalon, on voit l'artiste mesurer le bâtiment du Centre Pompidou. Dans une volonté de se mesurer symboliquement aux institutions qu'elle investit, l'artiste place son corps au centre du dispositif artistique. Dans un document-vidéo filmant l'opération, on la voit s'allonger, tracer des lignes sur le sol à hauteur de tête, puis translater son corps en long et en large. Pour mener à bien sa mission, elle n'hésite pas à bousculer des groupes de visiteurs, hommes pour la plupart, dans une tentative de déranger les espaces existants et d'offrir de nouveaux champs de perspectives. Traditionnellement, la sculpture est gravée dans une pierre solide, afin de perdurer et traverser les âges. La performance d'Orlan étend la notion de sculpture vers quelque chose de plus éphémère, visant à traverser l'espace plutôt que le temps.

    On retrouve cette inversion de la temporalité traditionnelle de la sculpture dans la dernière salle de l'exposition, dédiée à l'oeuvre Vivre de Jochen Gerz. Le spectateur y devient acteur et partie intégrante de l'installation, par la simple action de se déplacer en posant ses pieds sur le sol. Sur toute la surface du parquet, le mot “vivre” est écrit à la craie et répété pour être piétiné au fur et à mesure que les visiteurs déambulent pour se rapprocher d'une inscription murale évoquant la mort. En faisant vivre l'oeuvre, le spectateur la fait aussi mourir par l'effacement qu'il lui fait subir. L'espace de la pièce donne une représentation de l'expérience du temps qui rapproche de la mort. Ici, le sol, habituellement destiné à être piétiné reprend sa fonction première dans la dernière salle de l'exposition. 

 

Cette exposition riche en images fait appel aux sens ainsi qu'au mouvement du spectateur en sortant d'une représentation traditionnelle et d'un point de vue classique. Elle convoque des artistes qui ont su exprimer une vision révolutionnaire du positionnement du corps dans l'espace, et place leurs œuvres dans des décors qui en magnifient les particularités esthétiques. 

À PIED D'OEUVRE(S)

La Monnaie de Paris accueille les 40 ans du Centre Pompidou

Du 31 Mars 2017 au 9 juillet 2017

Commissaires : Camille Morineau, Directrice des expositions et des Collections à la Monnaie de Paris, sur une idée de Bernard Blistène, directeur du Musée national d'Art Moderne

Commissaires associées Frédéric Paul et Mathilde de Croix

Monnaie de Paris 

11, Quai de Conti, 75006 Paris

Ouvert du mardi au dimanche 11h00 – 19h00

Jeudi jusqu'à 21h00

Tarifs : 12€, réduit : 9€