Tous les "Dominique Maniez" sont la 11ème plaie d'Internet !

Publié le 13 mai 2008 par Fbardeau

En lisant récemment "Les dix plaies d'Internet - Les dangers d'un outil fabuleux" de Dominique Maniez, je me suis dit : "non il ne faut pas que tu fasses un article sur ton blog sur ce bouquin car tu vas t'emporter..." Mais à y réfléchir je me suis dit qu'il fallait bien que quelqu'un le fasse et que ça me ferait du bien tout en mettant de l'eau à son moulin donc pourquoi s'en priver...

Alors pour ceux qui n'ont pas lu ce brillant ouvrage il a été publié chez Dunod, maison bien connue pour ses publications de qualité (hum hum) et ses auteurs de référence (hum hum bis), il faut déjà dire que sur la couverture figure une mention qui détourne l'apparence des avertissements qui figurent sur les paquets de cigarettes : "L'abus du web nuit à l'esprit critique." Le ton est donné, rentrons maintenant dans le contenu...

L'introduction est déjà très défensive ("cet ouvrage n'est pas un pamphlet contre Internet" et plus loin "il est terriblement difficile de ne pas passer pour un réactionnaire") mais elle se place sous le haut patronage de sociologues connus pour leur amour du réseau des réseaux ("la dimension mystique brillamment démontrée par philippe breton dans un ouvrage malheureusement épuisé : Le Culte d'Internet") et entend démontrer que "les technolâtres sont souvent ceux qui vivent d'Internet". D'où un autre parade qui met fin à tout ambiguïté : "le propos peut paraître excessif mais mes craintes sont légitimes en tant que parents ou que pédagogues." Par la suite, l'auteur appellera à sa rescousse Domnique Wolton et Jaron Lanier, 2 autres grands contempteurs d'Internet.

La première cible de l'ouvrage : Google. Facile et très à la mode. Mais encore faut-il prendre le problème dans le bon sens.

L'auteur part d'emblée très mal car il aborde "l'opacité du pagerank", "savons nous comment sont classés les résultats de recherche, un outil si peu transparent qui de fait sert de filtre exclusif à notre accès à l'information sur Internet") et finit carrément dans la caricature : "le moteur de recherche devient alors la figure métaphorique du Ministère de la vérité décrit par Orwell dans 1984." Dominique Maniez s'en prend dans la foulée au "fantasme de la totalité" du projet de Google, laissant entendre que tout projet totalitaire est presque par essence un projet nazi... Alexandrie, Babel, l'Encyclopédie de Diderot apprécieront. Ensuite c'est de l'hypocrisie pure car il écrit que "on peut reprocher à Google de n'avoir voulu résoudre que des problèmes techniques" : que n'aurait-on pas dit si Google avait une velléité politique, il aurait crié à 1984, et que dire de l'initiative google.org qui dépasse de beaucoup l'aide publique au développement de certains pays ou le budget de mécénat de bien des organisations... Après c'est la traditionnelle confusion entre "l'analyse sémantique" que fait Google des mails de Gmail pour cibler ses publicités et l'idée que quelqu'un lise nos courriers intimes... On finirait presque en apothéose avec l'avertissement suivant : "si on y prend pas garde la barre d'outil Google est installée par défaut dans Firefox" et on a envie de lui dire que Google comme Firefox sont des outils gratuits et performants et donc qu'on est loin des ventes liées Windows / Internet Explorer / Windows Média Player.

Seconde cible de choix bien entendu, là aussi parce que c'est déjà presque institutionnel : Wikipédia.

"La confiance aveugle que nous avons dans Wikipédia", "une bande d'irresponsables" (que dire des journalistes qui annoncent la mort de Pascal Sevran ou des personnes qui se sont succédées à l'Elysée ?), des articles qui sont le prétexte à "un combat acharné entre partisans et détracteurs" (c'est sûr que le consensus mou ou l'opacité des sources et des hiérarchisations réalisées par les experts officiels c'est mieux...). Le fond du problème de Dominique Maniez est pourtant clair : "reconnaître à chacun le statut d'auteur, c'est déclarer implicitement que cette activité n'a aucune spécificité et que nous sommes tous enseignants, journalistes ou bibliothécaires". J'avoue que moi ça ne me choque pas du tout car il y a très mauvais professionnels et de très bon autodidactes donc je ne vois pas le problème. Il reprend aussi la critique éculée de Jaron Lanier sur le "digital maoisme" à l'oeuvre actuellement sur le web, là j'ai plutôt envie de rire car quand on voit ce que sont devenus les maos de 1968 (patrons de presse, patrons d'entreprise ou philosophes et intellectuels influents à la solde des pouvoirs constitués), on se dit que les maos d'aujourd'hui ont un bel avenir.

Facebook en prend aussi pour son grade, bien entendu car là aussi c'est d'autant plus évident et que les premiers à se révolter contre Facebook sont... les propres utilisateurs de Facebook, spontanément ou grâce à des outils de défense créés grâce à Internet (MoveOn, CDT, EFF...).

Les blogs et les médias participatifs ne sont pas oubliés non plus. Si l'auteur met allègrement sur le même plan Agoravox et Rue89 (quand même...), il tient pour un argument massue le fait que Assouline, Véronis et Pisani sont de bons blogs parce que ce sont des professionnels de l'écriture. Là j'ai envie de dire que c'est très très vrai, mais que cela ne disqualifie pas les autres blogs, et encore moins le droit de publier même si l'on est pas journaliste...

Un des principaux point de blocage de Dominique Maniez est en fait qu'il se place dans la position surplombante et infantilisante du pédagogue ou du parent effrayé pour nos chères petites têtes blondes : "le mauvais usage que peuvent faire les adolescents d'Internet (...) le téléchargement illégal (...) les chats et leurs fautes d'orthographes (...) les adolescents lisent de moins en moins (...) la musique leur est trop chère alors qu'ils téléchargent de manière payante leurs sonneries (...)". On croit vraiment rêver car cela lui permet juste après de faire l'éloge du "Gestionnaire d'accès" d'Internet Explorer, navigateur aussi monopolistique que défaillant...

Un des points fortement bancale de son argumentation se montre clairement sur la question de l'anonymat ("j'avance masqué / larvatus prodeo") qui est à la fois la source de tous les maux ("l'Internet a accru la possibilité de mentir" et "le spam est la conséquence de l'anonymat que permet Internet") mais également une caractéristique qui n'est pas assez partagée car quand nous surfons "nous sommes devenus les victimes consentantes du pillage de notre vie privée".

Pour finir sur une note positive, je suis entièrement d'accord avec lui sur le caractère fondamental de la protection des données personnelles, sur le fait qu'il faut "surfer de manière plus responsable" et qu'il faut éduquer à Internet car "l'apprentissage d'Internet se fait malheureusement seul". Mais à tout ça "Internet y pourvoira" car ce sont les utilisateurs qui trouvent les solutions et ça c'est inédit dans toute l'histoire humaine et ça change des médias "top-down" qui nous transformaient en cibles passives et en oisillons qui attendaient la becquée...

Sans rancune Dominique et bon surf...

Blogged with the Flock Browser