Ca y est, nous entrons bientôt dans la Grande Semaine. La liturgie catholique témoigne du caractère exceptionnel de ce sommet de la vie chrétienne, véritable centre de gravité de l’année liturgique. Si les offices de la messe solennelle de la Cène du jeudi, des Présanctifiés du vendredi et de la Vigile Pascale du samedi sont bien connus et fréquentés, les Ténèbres le sont beaucoup moins, malheureusement.
Les Ténèbres ? Ce sont tout simplement les matines des trois jours saints, chantées durant la nuit – d’où leur nom. Chaque office est composé de trois nocturnes, eux-mêmes comportant trois psaumes, trois leçons et trois répons, le tout s’achevant par la récitation des laudes. Après chaque psaume, un cierge est éteint et l’église est finalement plongée dans la nuit. Un unique cierge allumé demeure pourtant, placé momentanément derrière l’autel et symbolisant, comme le dit Dom Guéranger, le Christ crucifié, abandonné de tous mais vainqueur de la mort.
C’est long, mais c’est beau, très beau même ! Les textes sont magnifiques, tirés des écritures (psaumes, épître aux Hébreux, etc.) ou des commentaires de saint Augustin, sans oublier, pour le premier nocturne de chaque jour, les poignantes Lamentations du prophète Jérémie.
En France, aux XVIIe et XVIIIe siècles en particulier, la foule se pressait pour entendre ces longs offices, souvent chantés la veille au soir. Les plus grands compositeurs étaient alors sollicités pour mettre en musique tout ou partie de ces textes, dont la force émotive et spirituelle était pour eux une source inépuisable d’inspiration. Et ils s’en sont donnés à cœur joie !
C’est ainsi que l’on connaît bien, à juste titre car d’une grande beauté, les Leçons de Ténèbres de François Couperin (1668-1733), encore aujourd’hui maintes fois interprétées, malheureusement trop rarement dans un cadre liturgique. Citons également les nombreuses et belles pages de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : 153 numéros du catalogue de ses œuvres sont consacrés aux Ténèbres – le saviez-vous ? Le catalogue des œuvres de Charpentier a été réalisé en 1982 par un Américain du nom d’Hugh Hitchcock, c’est pour cela d’ailleurs que les œuvres sont numérotées HXXX. Un peu comme Köchel pour Mozart – Ou Guillaume-Gabriel Nivers (1632-1714), ayant composé par exemple un superbe Miserere pour les Ténèbres, à l’usage des demoiselles de Saint-Cyr. Michel-Richard de Lalande a lui aussi prêté sa plume et son génie pour des Leçons de grande qualité. Hors de France, le Padre Martini (1706-1784) est l’auteur de simples et sublimes répons à trois voix d’hommes chantés par exemple chaque année dans la paroisse Saint-Eugène de Paris.
Alors n’hésitez pas, venez, voyez et écoutez !
François Couperin
Martini – Enregistrement en « live » à Saint-Eugène