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Dans un décor Renaissance au beau milieu d’une plantation coloniale, Matt Riley (Michael Shannon), preneur d’otages, présente à sa prisonnière Laura Sommerfeld (Veronica Ferres), scientifique venue étudier l’expansion du désert de sel de Diablo Blanco, des images en anamorphose. Des colonnes d’argent reconstituent les tableaux d’origine déformées, pour le plus grand plaisir de Riley, qui expose ensuite à son otage son désir d’aller visiter un couvent à Rome où se trouve une magnifique anamorphose.
L’anamorphose, principe de déformation de la réalité pour en extraire un sens caché, guide Salt and Fire, dernier film de Werner Herzog. Mais si quelques images du saltar captivent la rétine, l’essentiel du film s’embourbe dans une fable écologiste moralisatrice qui ne découvre nul ordre secret du monde.
Herzog multiplie les références à la vision troublée. Outre les anamorphoses de Riley, les enfants aveugles sur le désert de sel, image d’un devenir possible de l’humanité si rien n’est fait pour arrêter la catastrophe climatique, renvoient à une perception globale du monde impossible. C’est bien ce que tentait de faire Sommerfeld, désireuse de situer l’intégralité du phénomène du saltar dans les cases bien rangées de ses données mathématiques.
Il s’agit alors d’expérimenter de manière concrète, physique, l’espace du désert de sel. C’est toute l’ambition, et ç’aurait pu être celle d’Herzog. Les travellings au ras du sol qui s’élèvent pour atteindre un point de vue zénithal sur l’immensité du paysage blanc et roche forment de magnifiques cartes postales.
Des cartes postales, et rien de plus. Quoi qu’en disent les discours des personnages, l’expérience du désert ne modifie pas notre perception du monde. La mise en scène ne change pas d’un bout à l’autre du film. Elle a même tendance à se répéter, à l’image de cet inutile flash-back sur la prise d’otages des scientifiques à l’aéroport, qui ne fait que reprendre ce que montrait la séquence d’ouverture, sans rien y ajouter.
Conjugué à un discours écologiste, le principe anamorphique de Salt and Fire aurait pu aboutir à une esthétique apocalyptique. Au sens premier du mot : la révélation d’un au-delà caché par la destruction du monde présent. Les références à l’Apocalypse abondent en ce sens : les prédictions de Nostradamus, la citation de L’Ecclésiaste par un perroquet, la menace d’un super-volcan qui pourrait se réveiller sous peu…
Mais tout ceci n’est qu’un ensemble de mots, un discours bien connu sur la responsabilité de l’homme dans le changement climatique qui n’apporte rien de nouveau. Salt and Fire offre une esthétique apocalyptique paradoxale : elle révèle une menace dont on est déjà trop conscient. Ses airs prophétiques masquent une banalité d’un discours tautologique.
Werner Herzog se rate de la même manière que Gus Van Sant avec Promised Land (2013). Face à un sujet d’actualité (l’expansion d’un désert de sel par assèchement des eaux, la toxicité des forages du gaz de schiste), les deux vieux cinéastes ont recours à un discours catastrophiste, bien usé depuis. Ne changeant rien à leur manière de travailler, ils banalisent cruellement un sujet qui nécessite pourtant une vraie révolution de la perception.
Salt and Fire, de Werner Herzog, 2016 Maxime