Il ne fait pas de doute que chacune des répliques a été entendue par Louis Calaferte, dont je ne savais pas qu'il pouvait écrire dans ce registre.
Et voilà un des mérites, et non des moindres du metteur en scène, Patrick Pelloquet, que d'avoir modifié l'image que l'on a de cet auteur, resté dans les mémoires pour son coté sulfureux qui lui valut d'être censuré.
On ignore que, dans sa vie quotidienne, il a souffert mille martyres, imputables autant à la maladie qu'à l'incompétence des médecins entre les mains desquels il a transité. Il a réussi à passer outre ses états d'âme et à les transcender en nous offrant ce petit bijou que l'on suce avec délice comme un de ces bonbons acides qui pourtant abîment l'émail de nos dents.
La bande-son nous propulse dans les années 80 avec un extrait d'émission de Danièle Gilbert, et l'esthétique retenu nous renvoie dans cette même période, au moment de l'écriture de la pièce, avec un décor typique aux tapisseries surchargées de motifs, aux murs ornés d'assiettes peintes et de tableaux "home made" au point de croix.
Sandrine Pelloquet a eu une idée formidable en composant un décor évoquant une page de magazine, posée sur la scène, qui peut se monter en trente minutes sur n'importe quel plateau de théâtre. S'y débattent des personnages échappés d'une maison de poupée ... ou de fous, que l'on regarde à la loupe. La reconstitution est parfaite ... jusqu'aux ombres et lumières sur le papier peint. Cela donne visuellement une profondeur de champ inhabituelle au théâtre et souligne l'aspect documentaire du propos même si on est incontestablement dans le registre de la tragi-comédie. Pour peu qu'on l'écoute, le discours tend à éveiller les consciences.
Le spectateur est au bord de l'image et assiste impuissant aux chamailleries familiales qui, forcément, lui rappelleront des scènes vécues, fort heureusement peut-être pas en totalité. La mécanique du texte masque des propos graves que le rire ne doit pas faire oublier. Ces petites gens sont en proie avec des choses qui les dépassent.
On pensera plus tard aux romans de Martin Winckler. (dont le Choeur des femmes devrait figurer dans les programmes de médecine). Pour ce qui est du théâtre ce seront
Molière, Labiche et Feydeau. Mais Calaferte était visionnaire en écrivant que le médecin d'aujourd'hui est avant tout un homme de recherche. Il est probable qu'à plus ou moins long terme on n'aura plus besoin de voir le malade. Plus de temps perdu en visites et à se laisser influencer par les états d'âme de la clientèle. (sic)La chose est vraie désormais avec la percée de la e-santé, qui est tout à fait au point pour permettre d'établir des diagnostics ou d'affiner des prescriptions à distance. Et c'est un réel progrès dans le traitement de lourdes pathologies comme Parkinson ou la Sclérose en plaques.Mais quand on a affaire à un "simple" malaise il semble que la médecine patine dans les grandes largeurs. Le proverbe qui peut le plus peut le moins n'est pas adéquat et on n'aimerait pas se trouver entre les mains d'aucun des deux toubibs de la pièce. Il n'y en a pas un pour racheter l'autre.Le serment d'Hippocrate mérite d'être (re)lu. Qui en connait les termes ? Par exemple cette promesse d'informer les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences; ou encore de s'interdire d'être volontairement une cause de tort ou de corruptionOn est dans le registre de la médecine "ordinaire", loin des scandales sanitaires qui secouent notre société. On peut penser à l'affaire du Mediator qui a donné lieu à un film et à une pièce écrite par Pauline Bureau, Mon coeur, dont je parlerai bientôt. C'est presque pire car aucun des deux médecins ne cherche à s'enrichir sur le dos des patients. Aucun ne facture ses soins d'ailleurs. Et le patient est encore plus redevable de la charité qu'on lui consent.Il n'empêche aussi que le discours du second, mettant tout sur le compte de l'intestin, s'inscrit aussi dans l'air du temps, le notre, quand on pense au succès en librairie du livre de Giulia Enders, Le charme discret de l'intestin : Tout sur un organe mal aimé, publié en 2015 chez Actes Sud.Ce serment est un bijou. Dommage que sa programmation en intersaison l'ait écarté de l'éligibilité aux Molières.
Mise en scène Patrick Pelloquet
Assistante à la mise en scène : Hélène Gay
Scénographie : Sandrine Pelloquet
Costumes : Anne-Claire Ricordeau
Lumière : Emmanuel Drouot
Maquillage : Carole Anquetil
Avec Gérard Darman, Pierre Gondard, Patrick Pelloquet, Christine Peyssens, Yvette Poirier, Georges Richardeau
Du 7 mars au 22 avril 2017
Les mardi, vendredi et samedi à 20h 30Mercredi et jeudi à 19h - matinée samedi à 16hAu théâtre 1420 avenue Marc Sangnier - 75014 Paris01 45 45 49 77
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Laurencine Lot ou de Etienne Lizambard