Dès que je bouge sur ma banquette, le soldat, d’un seul bond, braque sa Kalachnikov sur moi. Il me regarde d’un oeil féroce. Mon sang se fige, une vraie mitraillette et tout près! Puis, ayant compris que je voulais juste jeter un coup d’oeil par la baie vitrée, il reprend sa place. Du haut de ses 2 mètres et plus, mon gardien ne me quitte des yeux. On attend.
Très tot ce matin, en compagnie d’un charmant guide roumain, on était arrivé à l’aéroport International Borispol de Kiev en visite touristique. Organisée par une agence à Bucarest, quinze français et moi - la seule latino - devions faire le tour de Sainte Sophie, musées, églises, parcs. Plus tard, déjeuner, croisière sur le Dnipro, shopping, tout ça en vrai Speedy González (vous savez, le rat mexicain, le héros le plus sympathique et véloce du monde. Il a été accusé en 1999 comme étant ethniquement offensif aux mexicains, autrement dit, politically incorrect. Ce n’est pas tout: il a des amis qui fument et boivent!!! Le cartoon a été banni aux USA, pourtant il est toujours populaire dans les chaines TV latines).
Après ce petit hommage a Speedy, revenons à Kiev. A ce moment-là - les années 80 -, certains pays en Amérique Latine étaient dominés par des dictateurs fascistes et les portes soviétiques fermées à leurs citoyens. Pas question de se présenter sans visa sur son passeport. Mais l’agence à Bucarest avait oublié ou ignoré ce petit détail. Moi, je l’ignorais tout court. Me voilà donc essayant d’atterrir en toute innocence, porteuse d’un passeport virginal sans visa.
Le contrôle de passeports se faisait avant de quitter l’avion. On retenait le passeport, à sa place on vous donnait un livret qu’il fallait garder avec soin. Quand arrive mon tour, catastrophe! Les contrôleurs se regardent, me regardent, s’agitent. Consultation avec notre guide. Je ne comprends pas ce qui arrive, mais mon passeport disparait rapidement et aucun livret ne le remplace. Je suis arrêtée sans ménagements, mon guide semble assez vexé et marmonne des excuses. Entre-temps le groupe m’attend dans le bus. Ils rouspètent bruyamment, se demandent de quoi il s’agit. Mais, qui est cette femme? Une espionne de la Cia? Ce délai va tout dérégler, on va manquer une partie du tour. Ces latinos! Allez, partons tout de suite!
Plus loin, deux soldats me font descendre de l’avion et me poussent vers la Zone de Transit. Isolée. Le guide a disparu, il est peut-être en train de faire des démarches chez la KGB pour me relâcher. Maintenant je suis seule avec mon redoutable gardien, puisque le bus et le nouveau guide sont déjà partis.
Impatience. Angoisse. La matinée s’écoule lentement en attendant l’accord de la police pour que je puisse sortir. Vers midi le guide apporte des nouvelles: les enquêtes sont terminées et je peux joindre mon groupe, qui déjeune dans un hôtel. Alors il faudra prendre un taxi… à mes frais!!! Est-ce que j’ai bien compris? À mes frais? Ah, non, pas du tout, Monsieur le Guide. Ma furie se déchaine, c’est le bouquet! Alors le guide a dû se remettre. Il m’a offert, au nom de l’agence et le sien, des excuses sincères, le prix du taxi et son service comme guide.
Voilà une belle compensation. Je jouis d’un vrai tour guidé pendant le trajet jusqu’à l’hôtel, tout le long d’une route impeccable flanquée par des forêts luxuriantes.
De ma visite à Kiev, seulement la trouille, la vulnérabilité, l’impuissance et l’angoisse face au Pouvoir sont restés inoubliables.
par Ana Tejero