Où il est question d'un tournant de campagne qui ressemble à une implosion généralisée; d'une campagne où les poissons d'avril paraissent parfois plus crédibles que la réalité.
Farwest médiatique
France 2 s'obstine. Un débat le 20 avril, quarante-huit heures avant le premier tour, avec 11 candidats, y compris Jacques Cheminade, le gars qui disparait entre chaque élection depuis 1995 et réapparait ensuite pour nous expliquer ses fantaisies complotantes. On imagine que chacun aura quelques poignées de minutes pour parler, à moins d'envisager une émission-fleuve jusqu'au petit matin.
France 2 s'obstine. Un débat le 20 avril, avec 10 candidats. Mélenchon a prévenu qu'il n'en serait pas. Macron suit. Dupont-Aignan suffoque, pour une fois qu'il participait avec les "grands" ! Puis voici le CSA lui-même qui achève l'opération, et demande à la chaîne d'annuler.
On a pu critiquer "les médias". La tournure inattendue de cette campagne présidentielle leur doit beaucoup, et les bouscule tout autant. Certains font leur boulot. Ils cherchent, trouvent et révèlent ce qui dérangent les candidats. Ils exposent les programmes. D'autres au contraire errent comme des astres morts. CNEWS qui a succédé à iTélé, vidée de ses forces vives après une grève inédite et éprouvante agonise à force de débats à rallonge qui masquent mal l'absence de moyens, des "incarnations" gérontophiles.
Cette tourmente électorale a fait une autre victime, le cercle habituel des intellectuels de profession. Ces derniers pullulent encore sur les plateaux, ils multiplient encore les tribunes sur l'avenir ou la réalité politique du pays, mais qui les écoutent ? Qui les lit ?
La gauche implose
Mercredi, Hamon est à Lille, Mélenchon au Havre.Manuel Valls, terré à Paris. L'ancien premier vient de trahir une nouvelle fois. Après avoir pousser Hollande à se retirer, il confirme son ralliement à Emmanuel Macron alors qu'il affirmait il y a moins d'un mois sa loyauté avec les règles de la primaire. C'est le baiser de l'araignée.
Macron prend mal la nouvelle. Elle le marquerait trop en héritier du quinquennat échoué. Il convoque la presse et prévient que ce soutien n'emporte aucune concession de sa part. C'est la bataille de l'après-présidentielle qui se dessine.
Le lâchage de Valls fait chuter Hamon à 11% dans les sondages. Mélenchon bondit à 15%. Un écart inédit. Pourtant, Hamon réclame encore le désistement de Mélenchon: "Je regrette qu'un certain caractère l'empêche d'être plus utile à la gauche qu il ne l'est en réalité". On croyait rêver. Le PS s'appuie sur des sondages pour réclamer depuis des lustres l'union de la gauche et le vote utile. Voici que les courbes sondagières s'inversent gravement et les mêmes n'en tirent aucune conséquence. Quelle est l'utilité du candidat d'un PS désormais vidé de moitié, les cohortes vallsistes et autres "socio"-libéraux ayant déjà trouvé refuge dans le camp Macron ? Quelle est son utilité ? Hamon ne représente même plus une synthèse politique entre deux fractions socialistes. Il ne ratisse pas large, il ramasse les miettes.
Mélenchon ne réclame rien, il fait campagne. C'est sa dernière présidentielle, il la fait jusqu'au bout. Il parle justice sociale quand Hamon s'abime dans des considérations d'appareil.
"Il va falloir que les uns en lâche un morceau pour que les autres en aient un bout." Jean-Luc Mélenchon, 29 mars 2017Il défend la constitutionnalisation de l’IVG (en ces temps obscurs où des Le Pen à Fillon la tentation est grande et affichée de réviser les droits des femmes à disposer de leur corps). Il dénonce ces 5 grandes banques françaises qui affichent plus de 5 milliards d'euros de bénéfice dans des paradis fiscaux, une révélation de l'ONG OXAM cette semaine. On croyait que Sarkozy nous avait moralisé la finance après la Grande Crise de 2008. "Dans le cas où je suis élu, la fête est finie. Il va falloir revenir à la maison."
Il parcourt l'Ouest - Dieppe, Evreux, le Havre. A Rennes, le "camion insoumis" est inauguré devant 10 000 personnes.
La droite se divise
Fillon, chef des armées? A Toulon, il fait prendre quelques clichés avec des vétérans. Il s'engage "à une augmentation régulière et substantielle du budget de défense afin d’atteindre l’objectif des 2 % du PIB avant la fin de la loi de programmation militaire, en 2023." 2% du PIB pour lutter "contre le terrorisme islamique" et "la poussée migratoire". Non content d'avoir des casseroles judiciaires, Fillon s'agenouille devant Trump. Où est passé l'héritage gaulliste ? L'inculpé de la Sarthe suit les pas de l'insensé de la Maison Blanche. Trump réclamait en effet il y a peu aux membres de l'OTAN d'augmenter ainsi leurs budgets militaires sous peine de retrait.
Gérard Larcher, qui confiait encore récemment son effarement devant la cupidité de Fillon, travaille au planning (anti)social du candidat s'il était élu le 7 mai prochain: suppression de la limite légale des 35 heures (et donc des surcroits automatiques de rémunérations liée aux heures supplémentaires au-delà de ce seuil); négociation de la durée hebdomadaire par entreprise (une prolongation de la loi El-Khomri); relèvement des seuils sociaux de 10 à 20 salariés et de 50 à 100 salariés dans les entreprises; plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif; suppression du compte pénibilité (comme Macron); abolition du monopole syndical au premier tour des élections professionnelles. Il s'agit de "lever chez les patrons la crainte de l'embauche". Larcher utilise les mêmes formules que Hollande, Macron et Valls réunis.
Cette semaine, on a appris que Fillon n'avait pas reçu une mais deux montres pour 27 000 euros au total. Cadeau, tranquille. L'épouse Pénélope est triplement mise en examen. Deux convocations pour deux affaires d'emploi fictif. Le Parisien publie aussi un joli document, la preuve que Pénélope Fillon a cumulé deux emplois à temps complets - assistant parlementaire ET chroniqueuse littéraire à la Revue des Deux Mondes.
Imaginez que ces emplois rémunérés à temps complet soient de surcroît ... fictifs. #lol Dans la semaine, Pénélope Fillon est trois fois mise en examen. Quel couple !
La cupidité de Fillon méritera un livre. Macron ne s'y trompe pas. Il puise et abuse dans le programme du candidat de la droite furibarde. A la conférence organisée ce mardi par le MEdef, Macron et Fillon sont les plus populaires. Qui est surpris ?
Macron plane
Un énième livre "people" sur Macron (et son amour pour Brigitte, son épouse), sort opportunément. Samedi 1er avril, Macron est à Marseille. Juste avant son meeting, il va saluer l'ancien sarkozyste et président de région Christian Estrosi qui lui exprime "son estime": "j’ai toujours eu des relations de respect, voire d’amitié" explique-t-il. Macron, ni de gauche, ni de gauche, confirme: "en effet, nous avons de l'estime réciproque, voire de l'amitié." La démarche de Macron ne doit rien au hasard. La veille, Estrosi était sifflé par des fillonistes en plein meeting. "C'est un clan aux pratiques inacceptables qui hier encore a fait siffler un représentant de la famille gaulliste" dénonce Macron.
Sur l'estrade, le nouveau favori de la présidentielle fait même du Sarkozy: "nous sommes attaqués de toutes parts". La position victimaire lui sied mal. Il promet de "sortir de la Françafrique", c'est un rituel de tous les candidats de "rupture" depuis une belle décennie. Il promet une "politique de responsabilité partagée". Soutenu par Le Drian, Collomb, Bergé, Attali, Minc et maintenant Valls, Macron s'obstine à s'afficher en "candidat du renouvellement".
Il cite IAM et son amour de l'OM.
Cela sonne faux comme un slogan publicitaire surjoué.
Plus grave encore, l'abstention reste toujours à un niveau très élevé, entre 35 et 38%. La crainte d'une France frontière, que ce régime ô combien présidentiel et centralisé puisse passer sous contrôle d'une extrême droite qui n'a changé que sa façade n'a pas l'air de troubler.
A moins que le sursaut n'intervienne que tardivement, et rebatte toutes les cartes, encore une fois.