Quand Abhinava Goupta essaie d'expliquer comment tout est enveloppé en l'Être divin,il rappelle cette vérité essentielle, point-clé de la vie intérieure :"Tout, absolument tout, existe (déjà)dans l'Instant originel."Il donne une illustration :"Voyez : Au premier instant du désirde partir de chez soi pour aller ailleurs,on ("sait"), d'une certaine manière,où l'on va et comment y aller."Quand je me lève soudain pour aller acheter du pain,je "sais", je perçois,au tout premier instantde cet acte, qui ensuite va devenir action,tout ce qui va suivre.Mais je le "sais" "d'une certaine manière" (kim tchana),c'est-à-dire que je le sais sans le savoir distinctement,je le sais comme ne faisant qu'un avec mon être,en un éclair bouillonnant,une explosion où tout est encore indifférencié :en cet instant premier, originel,en ce Big Bang silencieux, banal,tout est déjà là,mais sans séparation,sans dualité entre "ici" et "là-bas",entre "maintenant" et "après".En l'Instant originel de tout désir,le sujet et l'objet sont un,je suis ce que je désire.Abhinava et sa tradition, celle du Coeur, voient dans cette "Pointe initiale" du désir,de l'acte, l'occasion de l'éveil, de la libération, de la reconnaissance :"C'est ainsi que ceux qui sont expertsdans (la perception) des détailsgagnent l'omniscience et omnipotenceen une fraction de seconde !"Il compare cette finesse au tranchant d'une lame aiguisée,ou encore à l'habileté d'un expert en pierres précieuses,capable de reconnaître la valeur d'une pierre en la voyant le temps d 'un éclair, même de nuit.Il compare aussi cette finesse de l'attentionà l'écoute d'un musicien ou d'un mélomane,capables de discerner les micro-tons...mais tout cela, conclut-il "est réalisé sans effort dans la vision non-duelle".Mais cette unité du sujet et de l'objetse retrouve également dans l'intuition,dans le premier moment d'un eurêka :"Dans la première éclosion de l'intuition,qui est conscience indifférenciée,tout existe, en train d'éclore,tous les fruits (désirés)de toutes les perfections..."La dualité baigne ainsi dans l'unité de la consciencequi bouillonne éternellement en elle-même.Les jeux des milles vies,les danses des songes innombrables,tous fleurissent dans le frémissementextraordinaire qui se donne à nudans l'Instant originel.Les extraits cités sont traduits du Mâlinîvidjayavârttika, I, 172-185