Pouvait-on rêver meilleure date qu'un premier avril pour le témoignage d'une poignante mystification ...
C'est par une pudique litote que Line Renaud narre, avec la complicité du réalisateur et scénariste Bernard Stora, une récente mésaventure qui l'a meurtrie, celle d'un abus de confiance perpétré par l'une de ses fans, voici bientôt cinq ans. La célèbre actrice, chanteuse, femme généreuse et engagée, repasse en son esprit, la séquence de l'imbroglio, le fil d'événements qui ont anesthésié sa vigilance, celle de sa garde rapprochée, et nous livre, ce faisant, un récit passionnant.
La prime rencontre avec "Jenny"- Jennifer Lange - date de novembre 2002. La jeune fille a 17 ans. Fan intégrale, obsessionnelle de Line Renaud, elle la retrouve dans sa loge du théâtre du Palais Royal, au terme d'une représentation de Poste restante . Jenny est accompagnée de sa mère, Odile, et soumet à Line le dossier - volumineux - de tous les articles, photos, documents rassemblés sur son idole. Discrète, intelligente, efficace, Jenny entre ainsi dans la vie de Line, dans son intimité, s'y meut, dix ans durant, à la manière d'un "agent dormant"...
"Jenny n'était pas ma fille, je n'étais pas sa mère, ne souhaitais pas l'être, n'y pensais même pas. Elle tenait sa place, moi la mienne, j'appréciais sa discrétion, nos rapports excluaient toute ambiguïté. C'est assurément la réponse que j'aurais faite si on m'avait questionnée sur ce point.
La suite allait amplement démontrer mon erreur."
C'est en 2012 que tout se corse. Affaiblie par quelques soucis de santé, la désormais octogénaire songe peu à peu à sa succession, à la dévolution de La Jonchère - la demeure lui est chère, elle l'a aménagée avec Loulou Gasté - et de sa fondation Line Renaud-Loulou Gasté. Attributaire d'un héritage aussi inattendu que colossal , Jenny propose, partant, d'acheter la maison et en garantit à son occupante, l'usage à vie....On ne peut rêver plus grande dévotion, plus extrême délicatesse. Et c'est ainsi que rassérénée, Line Renaud se laisse totalement berner, tant il est vrai que le jeu de la confiance permet d'avaler des couleuvres, de ne pas remarquer de discrets changements d'attitude dans le chef de la future propriétaire...
Une manipulation qui relève de la pathologie plus que de la malveillance.
Un récit addictif, assurément.
Apolline Elter
Une drôle d'histoire, Line Renaud, récit écrit avec Bernard Stora, Ed. Robert Laffont, janvier 2017, 250 pp