Pour présenter une proposition politique, Garaudy savait prendre de la hauteur (3/4). Une pédagogie de la grandeur
Par Roger Garaudy A Contre-Nuit
Suite de : http://rogergaraudy.blogspot.fr/2017/03/pour-presenter-une-proposition_30.html
Photo Abbas/Gamma-1980- RG chez lui
à Chennevières s/Marne
A partir de cette vue globale de la société, la politique n'est
plus une technique de domination et de manipulation, une stratégie de
l'accès au pouvoir et du maintien au pouvoir où, démagogiquement, tout
est promis à chacun au gré des « clientèles » partisanes, et des
surenchères électorales, sans souci de l'équilibre et de l'harmonie entre toutes les communautés :
— Nous ne pouvons pas faire aux travailleurs la promesse
illusoire que le régime nouveau élèvera automatiquement et pour tous le
salaire monétaire — augmentation trompeuse aussitôt récupérée
par le patronat et l'État grâce à une dévaluation ou une hausse des
prix,
comme en France après 1936 et 1968. Mais nous pouvons et nous devons élever le salaire social (culture, sports et loisirs,
transports et
soins, logement, école et éducation permanente) tout comme il
est
possible, par la suppression des « gaspillages institutionnels
», de
réduire le temps de travail à 35 puis à 30 heures.
— Nous ne pouvons pas faire au patronat la promesse illusoire
que
sa notion de la hiérarchie et de l'autorité restera intangible,
car elle
est, à nos yeux, archaïquement fondée sur l'extériorité du
pouvoir,
selon une image sacralisée du pouvoir et de la transcendance
dont les
théologiens ne veulent même plus pour leur Dieu. Mais nous
pouvons
l'assurer qu'à partir d'une conception de la direction dont le
seul
critère soit la performance au service du plus-être et du
mieux-être de
la communauté, des marchés immenses s'ouvriront à l'intérieur
par les
moyens nouveaux dont disposeront les travailleurs, et, dans le
tiers
monde, lorsqu'on s'attachera à répondre à ses besoins au lieu
de lui
imposer nos surplus et nos armes.
— Nous ne pouvons pas faire aux techniciens et aux cadres la
promesse illusoire d'un plus grand élargissement de l'éventail
des
salaires, ni flatter leurs tendances technocratiques, mais leur
ouvrir la
perspective exaltante de devenir les créateurs actifs d'une
société
échappant aux dominations, en devenant non plus les « chefs »,
mais
les animateurs d'un mouvement de « conscientisation »
technique,
scientifique et humaine de l'ensemble des producteurs, ouvriers
ou
patrons, par le partage, sans suffisance ni paternalisme, de
leur savoir
qui cessera d'être, comme l'avoir, un moyen de pouvoir.
— Nous ne pouvons pas faire aux étudiants la promesse illusoire
que les diplômes demeureront exploitables comme un titre de
rente
ou de commandement, dispensant du travail manuel. Mais nous
devons au contraire leur demander d'être les artisans les plus
actifs,
sans morgue et sans privilège, de la mutation radicale de
l'école et de
l'université, se fondant de plus en plus dans le monde du
travail,
comme le levain dans la pâte, et cessant ainsi d'être des instruments
d'intégration de la jeunesse à l'ordre moral et économique
existant,
pour devenir des lieux d'élection de l'invention du futur.
— Nous ne pouvons pas faire aux paysans, pas plus qu'à
quiconque,
la promesse illusoire de défendre n'importe quelle production
indépendamment de son utilité sociale : il n'y aura plus de
groupes de
pression pour défendre à tout prix les bouilleurs de cru ou les
planteurs de tabac. Mais une aide systématique à la
reconversion des
cultures, à leur adaptation plus harmonieuse à chaque sol et à
chaque
climat, et, surtout, une protection impitoyable des prix contre
les
intermédiaires pillards, contre le despotisme des ramasseurs,
des
transporteurs et des mandataires, et contre les trafiquants de
la terre
et de l'immobilier.
— Nous ne pouvons pas faire aux chefs militaires la promesse
illusoire de les laisser vivre sur l'illusion technocratique
selon laquelle
la cybernétique et la « théorie des jeux » s'appliquent à la
gestion des
techniques de la mort, et peuvent se mener en dehors du peuple
et au dessus de lui. Mais nous pouvons, en revanche, leur demander de
mettre au service de tous les vertus d'abnégation, de sacrifice
et de
générosité qui ont été cultivées dans la tradition militaire.
Ce ne sera
plus, désormais, à l'intérieur d'une caste, mais dans un
dialogue
fraternel et quotidien avec le peuple tout entier, pour prendre
ensemble conscience des fins et des moyens de la défense, qui
n'est
pas seulement question de technique et de discipline, mais
participation
humble et passionnée à une pédagogie de la grandeur.
Roger Garaudy. Extraits de la conclusion. Appel aux vivants. 1979
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