Khaled Osman,
La colombe et le moineau
Vents d'ailleurs, 2016
Une nouvelle note de lecture de Vincente Duchel-Clergeau.
Après son premier roman, « le Caire à corps perdu » qui se déroulait au Caire, Khaled Osman nous entraîne dans une enquête policière, menée par Samir, maître-assistant en civilisation arabe, qui vit à Paris depuis plusieurs années. Un étrange appel du Caire va ébranler l’équilibre précaire de sa vie, en rupture avec son passé et son pays natal, l’Égypte.
En effet, son frère jumeau, Hicham, grièvement blessé lors des évènements de la place Tahrir, l’adjure de rentrer de toute urgence au Caire avec Lamia, son ancienne petite amie, qui suivait des cours aux Beaux-Arts à Paris. Samir l’avait alors aidée à s’installer, mais il a perdu sa trace depuis.
La recherche de Lamia oblige Samir à sortir de son petit monde : ses cours, Hélène, sa compagne, férue de civilisation arabe, et la rédaction de sa thèse sur l’expédition napoléonienne en Égypte. Pourquoi avoir caché l’existence de son frère jumeau à Hélène ? Celle-ci, désormais méfiante et soucieuse de sauver leur couple, l’incite à « remettre de l’ordre dans son passé » et à se trouver car « ton insatisfaction perpétuelle commence à peser, sur toi mais aussi sur nous deux. » Elle ne manque pas de souligner les contradictions de sa posture actuelle : « Tu as quitté un pays qui t’avait déçu pour un pays où tu n’es plus toi-même !»
Samir enquête donc au milieu des étudiants des Beaux-Arts pour retrouver Lamia, ce qui donne l’occasion d’entrer dans la perception de l’Autre : Lamia incarne (ou semble incarner ?) la fleur exotique. Qu’est-il arrivé à Lamia ? A-t-elle disparu de son propre chef ? S'est-elle fait embrigader par les réseaux intégristes islamistes ?
La disparition de Lamia suscite une kyrielle de questions autour de l’Autre, de l’exil : le ressenti de l’exilé, l’adaptation dans un autre pays, « le sentiment que tout ce qui faisait votre appartenance a été remplacé par un vide sidéral. Ceux qui, voyant leurs valeurs remises en question, vivent très mal le choc. » ; l’identité «Et puis pourquoi devrions-nous être toujours définis par notre lieu de naissance ? Je me suis trouvé ici. », la relation complexe au pays natal et aux compatriotes. Hélène reproche à Samir, à l’instar d’un autre personnage secondaire du roman « Tu es le premier à pointer les tares des Égyptiens, mais au fond de toi, tu sais bien que c’est une posture pour ne pas avoir à affronter ton mal du pays. »
Khaled Osman ne se limite pas à cette question de l’exil, mais évoque tout un pan de la culture arabe. Les arts, que ce soit la poésie, les mythes et légendes fondateurs, la peinture, sont convoqués pour traduire les états d’âme et évoquer des moments forts de l’histoire égyptienne. Les tableaux de Lamia, décrits avec finesse et sensibilité, exsudent toute la violence psychologique qu’elle a ressentie dans sa chair.
La lecture de poèmes influera aussi sur le cheminement intellectuel de Samir, dans son appréhension de l’histoire nationale. Il comprendra alors la phrase de son frère : « Peut-on apporter la lumière à une population sous la menace des armes ? » Dans ce roman d’une grande richesse, le lecteur navigue entre mythes et légendes, poésie et histoire, révolution de la place Tahrir et passé de l’Egypte, à travers les rues de Paris.
Vincente Duchel-Clergeau