On avait annoncé à Catherine sa mort dans 18 mois. Maladie rendue trop avancée en elle, Non soignable. Catherine n'avait que 51 ans. En couple depuis ses 24 ans, elle avait choisi de prendre sa mort assurée, en main. Si elle n'avait aucun contrôle sur sa propre fin de vie, elle pourrait au minimum essayait d'organiser son monde comme elle l'entendait.
Pour la dernière fois.
Dix-huit mois, ça lui donnait amplement le temps de trouver, pour son mari, une nouvelle partenaire. Toute sa vie, elle avait été plus débrouillarde que lui, et la pensée qu'il soit maintenant seul, la hantait autant que sa mort précipitée hantait ses proches. Elle ne voulait pas laisser de gens malheureux derrière. Son mari, Pierre, le premier. Il devait faire la rencontre d'une nouvelle femme, ce qui l'aiderait à faire son deuil d'elle-même.
Et Catherine sera plus que pro-active dans le dossier. Elle inscrirait Pierre sur des sites de rencontres pour son groupe d'âge (53 ans), ferait elle-même des appels, pour fixer des rendez-vous.
L'initiative et le dévouement de Catherine intimidait tout le monde et rendait la vie très inconfortable. C'était mal compris de tous. Mais comment refuser les dernières volontés d'une condamnée? Pierre ne voyait, à l'origine, pas la chose du même oeil qu'elle. Tout d'abord, jamais l'idée d'en fréquenter une autre ne l'avait effleuré. Il sentait une odeur de trahison planer autour de lui et détestait le projet que Catherine trouve pour lui, une nouvelle femme avec laquelle partager sa vie. Mais comment lui expliquer sans la blesser dans son entreprise?
Catherine avait ce côté "control freak" qui l'agaçait parfois et cette idée, qu'il trouvait grotesque, venait sursouligner le côté contrôlant de sa blonde des 30 dernières années. Ne pouvait-il pas lui-même choisir sa manière de vivre son deuil? Et 18 mois! c'était si loin! Pas envie de magasiner le copinage!
Mais Catherine lui avait bien expliqué qu'elle avait fait son deuil de la vie. Et que cette vie le comprenait, lui aussi. Et qu'elle ne se faisait pas du tout à l'idée qu'il vive seul, lui qui avait toujours eu besoin de tout le monde dans la vie. Et qu'elle voulait prendre soin de lui, même dans la mort. Une nouvelle femme ferait peut-être tout ce que Catherine lui refusait au lit. Elle voulait transformer le moment de peine extrême qui s'amenait, probablement dans la période des fête en plus, en moment de joie et d'allégresse. Comme seul un nouvel amour pouvait générer.
Elle ne voulait pas le voir peiné, mais le voir planer.
Peu, à peu, vers le 10ème mois, l'idée à fait son chemin dans la tête de Pierre. Il voyait bien qu'il la blessait quand il refusait de rencontrer les femmes que Catherine lui avait trouvé.
À la limite, il prendrait à l'écart celle avec laquelle il s'entendrait le mieux et, en privé, lui dirait "faisons semblant et quand elle sera décédée, reprenons nos vies normales".
Et c'est exactement ce qu'il fit avec Brigitte. Catherine lui parla de son projet, de son probable décès autour de décembre 2006 aussi, et s'assura qu'il s'agissait d'une femme de bon goût, qui ne serai ni une profiteuse, ni une sugar baby, ni un garce. Brigitte avait toute les qualités. Elle était vétérinaire et n'avait pas du tout besoin du portefeuille de Pierre et Catherine. Elle devenait une bonne amie.
Pierre l'avait prise à l'écart pour lui faire comprendre de jouer un rôle pour les 8 prochains mois, qu'il n'avait pas l'intention de tomber en amour avec elle et qu'une simple amitié nouvelle, à trois, ferait l'affaire si elle le voulait bien.
Jules & Jim, couleur femme, c'était pour le cinéma.
Brigitte eu besoin d'un peu de temps pour y penser, mais elle les trouvait tous les deux fort sympathiques. ne s'ennuyait en rien en leur compagnie, et avait besoin de cette compagnie. Même si il y avait parfum de tragédie dans l'air et qu'elle serait forcément ostracisée et perçue étrangement par la famille et les proches de la future défunte. Déjà, de toute manière, la mort annoncée avait éloigné pratiquement tout le monde et chacun réagissait de manière complètement différente aux idées de Catherine et à sa fin, inévitable, semblait-il. Catherine la première, qui se donnait corps et âme pour trouver une nouvelle âme soeur à son mari.
Elle voulait donner l'amour en héritage.
Pierre et Brigitte multiplièrent les repas au resto. Bientôt tous les vendredis. Puis les samedis aussi. Puis une première nuit passée à la maison, dans le même lit. Avec Catherine dans une chambre d'amis. Consentante. Quelques larmes la première fois, mais sans déchirantes difficultés par la suite. C'était des larmes de parfaite réalisation de son projet. Elle avait légué l'amour à son mari, avant son départ.
8 mois de fréquentations, ça fait bouger les eaux. Pierre tombait peu à peu amoureux de Brigitte et vice-versa. Elle avait une lumière pétillante dans le regard qui n'était plus dans celui de Catherine. Décembre passa et la condition de Catherine ne se détériora pas davantage.
Janvier, Février, Mars, Avril, Mai...Catherine survécu aux 123 mois suivants.
La menant à nos jours.
Les médecins n'y croyaient pas eux-mêmes et la considérait comme un cas unique.
Mais son couple ne survécu pas.
Brigitte et Pierre emménagèrent ensemble en novembre 2007.
Pierre et Catherine s'étaient mariés jusqu'à ce que la mort les séparent.
Une mort erronée.
Plus de 30 ans de vie partagée, noyée par une drôle de marrée.
Catherine a aujourd'hui 61 ans, vit seule, ne les fréquente plus vraiment.
Elle ne se sent plus malade.
Enfin un peu...
La mort n'a plus de sens pour elle.
L'amour non plus.
Elle tente de vivre sans penser aux deux.