- J'ai baisé un nombre incalculable de fois avec ce type et je ne connais même pas le nom de son père! Même pas le nom de son père, même pas son nom!
Le type dont il s'agit, c'est Carlos De Andrade, 23 ans. Celle qui s'exprime ainsi, c'est Lou Pascal, son amie, 25 ans. Le matin du 26 juin 2004, elle découvre son corps sans vie dans la baignoire de la salle de bains du studio qu'il occupe rue des Mésanges 18 à Lausanne: il s'est ouvert les veines et le sang s'est répandu abondamment.
La veille, Lou et Carlos se sont disputés après avoir fait l'amour. Elle n'a pas pu lui dire qu'elle était enceinte de lui. Elle ne pourra plus jamais le lui dire. Ils se sont disputés. Une fois de plus. Parce que Carlos lui a menti. Une fois de plus. Elle était venue l'après-midi et il n'était pas là. Après l'amour, il a prétendu le contraire, qu'il était là, à peindre.
Lou ne supportait pas que Carlos lui mente. Mais c'était plus fort que lui. Était-ce pour la protéger? Était-ce pour lui cacher des choses? Elle ne sait. Tout ce qu'elle sait est que, même si elle ne connaît rien de son passé lointain, elle connaît suffisamment son passé récent pour dire qu'un suicide ne lui ressemble décidément pas.
Lou est confortée dans cette conviction par le fait qu'il n'a pas fermé sa porte d'entrée à clé, contrairement à son habitude, qu'il ne lui a laissé aucune lettre d'adieu et qu'il a commencé une toile sans l'achever. L'autopsie a d'ailleurs révélé qu'il avait absorbé des médocs - or il détestait les drogues - et qu'il était mort de noyade et non pas de perte de sang.
Heureusement, Lou est entourée: il y a sa soeur, Nicole Ménière, son aînée de trois ans, qui l'a élevée quand leurs deux parents sont décédés dans un accident survenu dix ans plus tôt; il y a Daniel Edwards, un ami d'enfance, un de ses soupirants, bien sous tous rapports, réellement, même s'il n'est pas aussi beau que l'était son ami métis brésilien:
Lou avait beau connaître par coeur chaque millimètre de sa peau, la beauté de l'homme lui coupait le souffle à chaque fois que ses yeux se posaient sur lui, comme si elle le contemplait pour la première fois.
L'inspecteur Charles Rouzier mène l'enquête. Lui aussi n'est pas convaincu par la version du suicide. Pourtant tous les éléments de l'enquête semblent l'accréditer. Ce qui ne laisse pas de le mettre mal à l'aise. Mais, comme c'est quelqu'un qui n'est pas du genre à renoncer, il suivra toutes les pistes possibles avant de clore le dossier.
Pendant ce temps Lou ne sait plus trop que penser de celui qu'elle aime toujours, ni que décider au sujet de l'enfant de lui qu'elle attend. Une semaine après sa mort, elle a été piquée au-dessus du sein gauche par un moustique: La piqûre va, par l'intensité des démangeaisons, être le baromètre de ses états d'âme durant tout le récit.
Quand Lou apprendra de la bouche de l'inspecteur Rouzier ce qui est arrivé à son ami, cette piqûre naguère douloureuse se présentera finalement bien, comme pourra le constater l'obstétricien qu'elle a consulté au début de l'histoire et qu'elle revoit au moment du dénouement, juste avant que Marie-Christine Horn ne lui donne un épilogue:
Elle défit les trois premiers boutons de la chemise de nuit prêtée par l'hôpital, dévoilant la naissance de ses seins. Il se rapprocha pour tâter la papule et se réjouit de constater qu'elle s'était refermée. La guérison suivait la bonne voie, ce ne serait bientôt plus qu'un lointain souvenir.
Francis Richard
La piqûre, Marie-Christine Horn, 288 pages L'Âge d'Homme
Livres précédents:
Le nombre de fois où je suis morte, Marie-Christine Buffat, 128 pages, Xenia (2012)
Tout ce qui est rouge, Marie-Christine Horn, 386 pages, L'Âge d'Homme (2015)