L'exercice très bordelais de la dégustation "en primeur" est un rien casse gueule.
Casse gueule pour de multiples raisons.
La plus évidente est qu'il n'est pas facile de juger aujourd'hui d'un vin en cours d'élevage, un perdreau de l'année. Même pas un perdreau de l'année puisque le vin n'est pas fini ! Enfin, si : on peut en juger aujourd'hui, bien sûr.
Sauf que là on le fait avec une perspective d'au moins une dizaine d'années avant ouverture finale. Ça devient compliqué.
D'autant plus compliqué que s'il est difficile de prévoir ce que ce vin sera devenu au terme de son élevage, puis après au moins une dizaine d'années de conservation sous verre, il est tout aussi délicat de savoir si ce que l'on goûte est réellement représentatif de ce que sera l'assemblage final ...
Oui, ce que l'on goûte :
- est ce un assemblage identique ou, au moins, très proche ?
- est ce plutôt l'assemblage qui se goûte le mieux à ce moment là ?
- pourquoi ne serait ce pas une petite partie de la production qui a été spécialement vinifiée en prévision de ces dégustations en primeurs ?
... aussi bien, peut-être est ce même l'une ou l'autre des propositions précédentes, avec les aménagements qui vont bien ?
Bref c'est casse gueule.
Mais y participer permet de prendre la température du millésime, tant par les contacts avec cette foultitude de vins en devenir qu'avec celles et ceux qui les ont élaborés
Donc casse gueule, mais intéressant.
Pour moi cela a commencé par une sélection de vins, parmi les appellations qu'il est convenu de désigner par "satellites de Saint Emilion".
Une dizaine de vins étaient annoncée, donc les 2016 "en primeurs", mais chaperonnés par leurs grands frères de 2010.
Et c'est loin d'être con, l'idée d'associer les embryons de 2016 avec leurs semblables de 2010, qui ont été affinés par le temps.
Cette mise sur orbite des satellites en primeurs se faisait au "Point Rouge", lieu que j'ignorais totalement et dont j'ai appris qu'il était avant tout dédié aux cocktails.
Pour autant il y a une carte et une cave dédiées au vin.
En outre l'esthétique est plaisante.
Je ne vais pas évoquer la totalité des vins : feuilleter l'intégralité de ce catalogue - même s'il est relativement réduit - serait par trop fastidieux.
Les vins attendaient sur deux tables dont la première était dédiée aux 2016 et la seconde, évidemment, aux 2010.
La plupart des vins étaient doublés ainsi.
Sur 2016 :
Grosse couleur par l'intensité et la jeunesse. Nez déjà ouvert et expressif, où les fruits noirs mûrs se marient déjà agréablement au boisé / épicé de l'élevage.
L'attaque est ronde avec dans la foulée une belle matière : c'est puissant mais les tanins sont soyeux et la bouche joliment aromatique.
Grosse matière, équilibre et harmonie sur une séquence qui mène agréablement jusqu'à une finale ferme.
Beau gros vin démonstratif et réussi, dans la série de ceux qui se sont mis à la "vinification intégrale".
Là aussi la vue annonce la couleur : y en a beaucoup, de couleur.
Nez de fruits mûrs avec une empreinte du bois qui reste légère et au second plan (barriques de chauffe légère me dit on, et je le crois volontiers).
La trame est belle, avec des tanins denses, serrés, mais sans agressivité. C'est sérieux, mais doté de beaux arômes de bouche. Très léger amer final qui va certainement s'estomper avec la suite de l'élevage.
Beau vin bien construit qui associe puissance et équilibre.
(50 % Merlot, 50 % Cabernet franc)
Non je n'ai pas touché aux
appétissantes charcuteries
(et surtout pas en dégustant !).
La Mauriane (Puisseguin Saint-Emilion)
Là aussi une grosse charge dès le premier coup d’œil.
Le nez est ouvert et expressif mais, à ce stade, sous une assez forte emprise du bois : le côté empyreumatique / boisé épicé est marqué.
La bouche est ronde, avec des tanins déjà quasiment soyeux qui montent en puissance jusqu'à la finale très serrée.
Une grosse matière qui promet même si c'est encore, à ce stade, un rien brouillon et sous l'emprise du bois.
A revoir : le potentiel est beau.
Du côté des 2010 :
Début d'évolution à la marge.
Nez ouvert et expressif.
Attaque ronde, en bouche : une matière joviale, dans un style frais et souple qui mène à une jolie finale.
Vin très plaisant.
Château La Rose Perrière (Lussac Sainte Emilion)
Signes d'évolution sur la frange.
Beau fruit très mûr, notes d'épices douces.
Attaque ronde, suave, beau volume et tanins de qualité sur une bonne trame acide qui tient le tout.
Belle harmonie pour une quille à boire, ou à attendre encore quelques années.
Château Tour Bayard - "L'angelot" (Montagne St Emilion)
Avec son 90% Malbec, ce n'est pas du tout un angelot, ce loustic !
Très intense, jeune et fringant à l’œil comme au nez.
Bouche puissante avec une remarquable matière (qui a profité du temps sous verre pour s'assagir). Concentré, expressif et équilibré le vin s'achève longuement sur une belle finale.
C'est très très bien ... après reste bien sûr à savoir si, dans l'esprit, on est toujours à Montagne ?
Quelle que soit la réponse que l'on donne à cette question : clair qu'il y a du vin ! et sans doute est ce l'essentiel ?
Château Bel-Air (Lussac St Emilion) (70% Merlot + 15 et 15)
La première quille ne se goûte pas très bien, avec son côté fané, presque usé.
La seconde est bien mieux, à maturité, dans un style souple et frais mais sur des notes kirsch et épices.
Tanins qui sortent un peu, avec la fraîcheur finale.
De la difficulté de l'exercice de dégustation qui vaut toujours pour une personne donnée, en un moment donné, sur une quille et seulement cette quille ...
La Mauriane (Puisseguin Saint-Emilion)Un rien de réduit au premier nez, disparait rapidement pour joliment s'ouvrir.
Belle matière bien extraite. Bouche ronde et noble sur une finale où la trame se resserre sans dureté.
Bonne quille.
Bien d'autres vins encore ...
... pour un agréable moment autour des vins et de celles et ceux qui les font.