Critique de Mon Coeur, de Pauline Bureau, vu le 24 mars 2017 aux Bouffes du Nord
Avec Yann Burlot, Nicolas Chupin, Rébecca Finet, Sonia Floire, Camille Garcia, Marie Nicolle, Anthony Roullier et Catherine Vinatier, dans une mise en scène de Pauline Bureau
Une pièce sur l’affaire du Médiator… Voilà un spectacle que j’aurais manqué si je n’avais pas vu les très bons retours de certains twittos théâtreux sur la toile. L’affaire, que j’ai suivie de loin lorsqu’elle éclatait en 2012, se retrouve sur une scène de théâtre, et j’avais peur du documentaire, que j’ai souvent tendance à éviter. Mais je n’avais rien compris. Les scènes de justice, devant le comité d’expert, ne sont-elles pas en-elles même déjà théâtralisées ? La transposition de la vie à la scène était alors naturelle. C’est le parti pris de Pauline Bureau : dans Mon Coeur, elle met en scène simplement les faits. Aucun ajout n’est nécessaire : ils parlent suffisamment crûment pour eux-mêmes.
Le spectacle se divise en deux temps. Pour amener à ces scènes de justice, il faut d’abord contextualiser. En deux heures, il faudra retracer 15 ans de la vie de Claire Tabard, venue consulter pour une difficulté à perdre du poids après une grossesse, et dès lors devenue victime du Mediator. On suit Claire dans sa vie de jeune femme active, élevant seule son enfant, travaillant comme vendeuse dans une boutique de lingerie féminine le jour, sortant et profitant de la vie la nuit. Mais le médicament entraîne des ralentissements de son rythme de vie, et Claire, épuisée, finira par consulter. Le verdict est sans appel : elle devra subir une opération à coeur ouvert la semaine d’après si elle veut vivre. S’ensuivent de longues périodes de récupération auxquelles assiste son fils, Max, impuissant.
La deuxième partie est plus dure encore. La scénographie est minime, seuls les mots sont là pour retranscrire une vérité qui dérange. On suit le long combat d’Irène Frachon pour faire interdire le Médiator en France, alors même que la plupart des autres pays l’ont déjà proscrit de la vente depuis un bout de temps. Parallèlement, c’est la poursuite judiciaire entamée par Claire Tabard qui prend forme sur la scène. La confrontation entre les deux parties est longue, douloureuse, impensable. A notre tour d’assister, impuissant, à l’inhumanité d’une société qui se prétend pourtant organisme de santé. Le théâtre prend alors la forme d’une dénonciation, mais également celui d’un témoin nécessaire.
Le témoignage est d’autant plus poignant qu’il est porté par des comédiens dont l’humanité ne fait aucun doute. Catherine Vinatier est une Irène Frachon dont la fragilité est perceptible, mais qui, animée par un désir de sauver des vies, ne lâchera le combat à aucun moment. Sa rencontre avec Claire (Marie Nicolle) est d’une simplicité sans nom et pourtant tout est dit. La lente descente aux enfers de Claire ne pouvait être mieux appréhendée que par l’évolution, physique, psychologique, du personnage, et la transformation est bluffante. Toute la vie qui animait la jeune femme disparaît au détriment de la fatigue, de la souffrance, et de la solitude. Le brin d’espoir est incarné par Nicolas Chupin, l’avocat de Claire : Hugo. La complexité du cas, les épreuves à surmonter, la longueur des réclamations, rien n’aurait pu exister sans sa patience et son professionnalisme. Il devient une échappatoire nécessaire à la cruauté et l’indécence du comité d’expertise. Une touche d’humanité essentielle pour respirer lors de cette deuxième partie.
Un cri du coeur, intelligent et essentiel.♥ ♥ ♥