" Nous agirons ensemble, à des rythmes et des intensités différents si nécessaire, tout en cheminant dans la même direction, comme nous l'avions fait par le passé, conformément aux traités et en laissant la porte ouverte à ceux qui voudront nous rejoindre plus tard. " (projet de déclaration commune prévue lors du Sommet de Rome du 25 mars 2017).
L'Europe a 60 ans ! Ou plutôt, l'Union Européenne a 60 ans. Elle est née du Traité de Rome signé le 25 mars 1957 qui a réuni les six membres fondateurs : la France, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Maintenant, l'Europe unie est composée de vingt-huit États, mais pas pour longtemps puisque le Royaume-Uni, conformément au référendum du 23 juin 2016, a décidé de démarrer la procédure du Brexit le 29 mars 2017. Les premières bougies sont la paix, la liberté, la démocratie, mais il y en a d'autres, comme la monnaie, et il en manque, comme l'armée.
Parmi les personnalités françaises qui ont contribué au Traité de Rome, en plus de Guy Mollet, Président du Conseil, et de Christian Pineau, Ministre des Affaires étrangères, il y a eu Maurice Faure et aussi Jean-François Deniau et Jean François-Poncet. Arrivant au pouvoir quatorze mois plus tard, le Général De Gaulle s'est bien gardé de suspendre l'application du Traité de Rome (il en avait la possibilité) mais au contraire, ce fut lui qui l'a fait vivre, toutefois en s'attachant à rejeter toute adhésion du Royaume-Uni qu'il considérait trop lié aux États-Unis pour l'ancrer au continent européen.
L'article 2 du Traité de Rome dit notamment : " La Communauté a pour mission, par l'établissement d'un marché commun, de promouvoir une expansion continue et accélérée, un relèvement accéléré du niveau de vie, et des relations plus étroites entre les États qu'elle réunit. ".
Ce traité est l'aboutissement de la fameuse déclaration de Robert Schuman, alors Ministre français des Affaires étrangères, qui avait initié la CECA (Communauté européen du charbon et de l'acier) le 9 mai 1950, au Quai d'Orsay, à Paris : " En se faisant depuis plus de vingt ans le champion d'une Europe unie, la France a toujours eu pour objectif essentiel de servir la paix. L'Europe n'a pas été faite, nous avons eu la guerre. L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d'abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l'opposition séculaire de la France et de l'Allemagne soit éliminée : l'action entreprise doit toucher au premier chef la France et l'Allemagne. (...) La mise en commun des productions de charbon et d'acier assurera immédiatement l'établissement de bases communes de développement économique, première étape de la Fédération européenne (...). La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l'Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible. (...) Ainsi sera réalisée simplement et rapidement la fusion d'intérêts indispensable à l'établissement d'une communauté économique et introduit le ferment d'une communauté plus large et plus profonde entre des pays longtemps opposés par des divisions sanglantes. (...) Cette proposition réalisera les premières assises concrètes d'une Fédération européenne indispensable à la préservation de la paix. " (9 mai 1950). C'est pour cette raison que le 9 mai a été choisi comme date de la fête de l'Europe.
Cet ensemble institutionnel sexagénaire est original et sans précédent dans l'histoire du monde : réunir plusieurs États sans supprimer leur identité, tout en unissant leurs forces de manière volontaire et libre, démocratique et pacifique, pour faire face aux enjeux du XXI e siècle qui sont à la fois économiques (créer une puissance face aux grands ensembles mondiaux que sont les États-Unis, la Chine, l'Inde, la Russie, etc.) et environnementaux (impulser une meilleure prise en compte internationale de la protection de la planète).
Inutile de constater que depuis une quinzaine d'années, l'idée européenne patine sur des problèmes identitaires dans la plupart des pays membres. En France plus particulièrement, c'est le résultat d'une trentaine d'années de "schizophrénie" gouvernementale (de tout bord) visant au double langage des dirigeants qui prennent des décisions à Bruxelles puis les renient à Paris par électoralisme.
Au force de prendre l'Europe pour bouc émissaire, les dirigeants français sont parvenus à dégoûter une partie des citoyens de la construction européenne pourtant indispensable et se basant sur cette idée essentielle : l'intérêt de l'Union Européenne est dans l'intérêt national de la France. Ce qui est pour certains europhobes une perte de souveraineté est une délégation de souveraineté, librement consentie (j'insiste sur ce fait) pour que l'action de la France puisse avoir l'effet levier de la puissance européenne (500 millions d'habitants).
Romano Prodi, ancien Premier Ministre italien et ancien Président de la Commission Européenne, a fait remarquer ces derniers jours dans "L'Express" : " L'Europe se trouve dans la situation des cités de la Renaissance qui n'avaient pas réussi à s'unifier. L'Italie a été rayée des cartes pendant quatre siècles. ".
Aujourd'hui, taper sur l'Europe, surtout pendant une période électorale, c'est un moyen de se défausser de ses propres responsabilités nationales. Si l'emploi va mal en France, ce n'est pas à cause de l'Europe, mais malgré l'Europe. L'Allemagne, pour prendre un pays comparable, répond aux mêmes "lois" européennes que la France mais n'est pas en faillite industrielle. Pourquoi ? Parce qu'en 2004, l'ensemble de la classe politique avait pris ses responsabilités pour engager des réformes qui ont permis à l'activité économique de se créer et de se développer, ce que la France a toujours refusé de faire jusqu'à maintenant, ou alors, à la marge.
Le problème français n'est donc pas un problème européen mais bien un problème intérieur propre à la France. Aujourd'hui, plus encore qu'hier, la France a besoin d'Europe. Et l'Europe a besoin de poursuivre son intégration. Pourquoi ? Parce que le monde est plus menaçant aujourd'hui qu'hier.
Depuis 2014, la Russie de Vladimir Poutine est prête à remettre en cause les frontières. Depuis quelques années, le Président Erdogan remet en cause la laïcité en Turquie pour des raisons souvent électoralistes. Enfin, depuis deux mois, les États-Unis sont présidés par Donald Trump qui n'a pas caché sa détestation de la construction européenne, et on peut le comprendre car il préférerait négocier des accords individuellement État européen après État européen, chacun dans sa nudité, sans la puissance de l'unité qui hisse justement les États européens au même niveau économique que les États-Unis.
Que des Américains ou des Russes s'opposent à la construction européenne me paraît cohérente pour leurs propres intérêts, mais c'est véritablement antipatriotique quand cet antieuropéanisme provient de citoyens des nations européennes elles-mêmes. C'est la raison d'ailleurs du drapeau européen aux côtés du drapeau français. Notre patrie est à la fois française et européenne.
C'est vrai qu'en plus du Brexit qui va occuper laborieusement les prochaines années au lieu de mettre en avant des projets constructifs, l'Union Européenne a été secouée par la crise de la dette souveraine de la Grèce (en raison d'une gestion calamiteuse de ce pays par des dirigeants démagogues et clientélistes),
Pourtant, les résultats concrets de l'Union Européenne sont exceptionnels.
D'abord la paix, on ne le répétera jamais assez, d'autant plus que certains le nient avec une farouche mauvaise foi. La paix a été préservée depuis environ soixante-dix ans dans une partie du monde habituée à être en guerre perpétuellement (relire les leçons de l'histoire européenne sur deux millénaires devrait remettre les pendules à l'heure, d'autant plus qu'il faut changer d'heure ce week-end !).
Ensuite, une monnaie unique, l'euro, décidée en France démocratiquement par un référendum qui a été positif (rappelons-le aussi à ces supposés adorateurs des référendums seulement quand le "non" l'emporterait). Cet euro a évité la déroute financière de la France, notamment pendant la crise de septembre 2008. Au 31 décembre 2016, la France est en déficit budgétaire de 3,4% du PIB et a cumulé une dette publique de 2 147 milliards d'euros, soit 96% du PIB (selon l'INSEE le 24 mars 2017) : jamais sans l'euro, la France n'aurait obtenu des taux d'intérêt aussi faibles que maintenant (parfois négatifs) pour sa dette.
D'autres réalisations sont essentielles, comme l'Espace de Schengen qui, en raison de changements géopolitiques, nécessiterait une réforme pour préserver cet acquis essentiel, la libre circulation des personnes et des biens (aller de Paris à Prague sans s'arrêter aux frontières, par exemple). Aussi le projet Erasmus, qui fête son trentième anniversaire, qui permet aux étudiants européens de valider une année universitaire dans un autre pays (ce dispositif fonctionne aussi en association avec d'autres États non membres de l'Union Européenne et est désormais valable pour les apprentis et pas seulement les étudiants).
Ce n'est pas un hasard si 82% des jeunes Français de 18 à 30 ans seraient favorables à la construction européenne qu'ils jugent positive, selon un sondage OpinionWay réalisé les 23 et 24 mars 2017 pour "20 minutes". C'est heureusement eux qui seront la société de demain et pas les plus âgés tentés par le repli identitaire qui ont du mal à accepter que le monde bouge (avec ou sans eux).
Cela n'empêche pas que l'Europe se trouve devant des défis historiques. Le premier est de faire une Europe de la Défense qui, nécessairement, inclura le Royaume-Uni d'une manière ou d'une autre. La France ne peut pas supporter à elle seule toutes les dépenses militaires de l'Europe et pourtant, celle-ci a besoin d'une défense européenne d'autant plus que l'Amérique de Donald Trump veut se désengager de l'OTAN. Plus généralement, il manque une diplomatie européenne qui permette aux Européens de se faire entendre sur la scène internationale.
Sur le plan intérieur, l'Europe a aussi besoin de profondes réformes. Elle ne peut plus instituer comme règle la concurrence intérieure alors que l'objectif devrait être la compétitivité à l'extérieur. Au contraire, c'est le principe de solidarité qui devrait primer au sein de l'Europe. Cela en particulier sur le plan économique et sur le plan fiscal. L'harmonisation fiscale est une nécessité vitale pour l'aménagement du territoire économique. Surtout, il faut trouver un nouveau modèle fiscal compatible avec la nouvelle industrie numérique de type Uber qui réussit à réduire au maximum ses dépenses fiscales en raison de failles dans le "système" et de son "obsolescence".
Les États européens se réunissent donc en Conseil européen ce samedi 25 mars 2017 à Rome pour célébrer ce 60 e anniversaire, mais il est surtout question d'avenir. Une déclaration commune devrait être adoptée par tous les membres à la fin de ce sommet, mais la Pologne et la Grèce pourraient refuser de la signer.
L'année 2017 restera cependant celle de l'expectative car deux élections majeures dans deux pays essentiels vont avoir lieu. L'élection présidentielle en France en juin et mai et les élections législatives en Allemagne en septembre.
En Allemagne, le débat sera principalement tourné entre Angela Merkel, Chancelière CDU sortante, prônant l'Europe des valeurs, et Martin Schulz, ancien Président SPD du Parlement Européen, prônant l'Europe des solidarités. Les deux sont des partisans éprouvés de la construction européenne, donc, on peut légitimement considérer que la menace ne viendrait pas des électeurs allemands.
En France, la situation est bien plus compliquée car l'Europe a été le bouc émissaire de tous les maux français. Des cinq principaux candidats à l'élection présidentielle, deux seuls défendent une Europe réaliste, François Fillon qui veut s'appuyer sur l'identité des peuples européens pour asseoir la puissance économique collective, et Emmanuel Macron qui revendique une europhilie quasi-téméraire. Les autres, l'une est clairement anti-européenne, Marine Le Pen, et les deux candidats de l'ultra-gauche, Jean-Luc Hamon et Benoît Mélenchon, sont des défenseurs de l'Europe du rêve, celle des bisounours où tout serait gratuit, au point qu'elle n'existera jamais. Quant aux petits candidats, sauf peut-être Jean Lassalle qui fut longtemps député du MoDem proche de François Bayrou, ils font de l'europhobie leur fonds de commerce électoral.
Je ne doute pas qu'in fine, le peuple français sera raisonnable à défaut d'être enthousiaste sur l'idée européenne. On ne peut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. L'Europe doit être réformée, peut-être affinée, épurée, en la limitant, selon son propre principe de subsidiarité, à des sujets essentiels (monnaie, fiscalité, défense, lutte contre le terrorisme, etc.), au même titre que la France ne peut continuer à vivre au-dessus de ses moyens sans se recentrer sur ses fondamentaux.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 mars 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le Traité de Rome.
Justin Trudeau à Strasbourg (16 février 2017).
Angela Merkel et François Hollande à Strasbourg (7 octobre 2015).
Le pape François à Strasbourg (25 novembre 2014).
L'Europe n'est pas un marché.
Martin Schulz.
Davos.
Le Traité de Vienne.
Fêter l'Europe.
Le projet Erasmus.
L'élection du Président du Parlement Européen le 17 janvier 2017.
Résultats de l'élection du Président du Parlement Européen du 17 janvier 2017.
La "déclaration d'amour" de Barack Obama à l'Europe.
La "déclaration d'amour" de Jean Gabin à l'Europe.
La "déclaration d'amour" de Winston Churchill à l'Europe.
Jean-Claude Juncker.
José Manuel Barroso.
Le Brexit.
Le souverainisme, c'est le déclinisme !
Peuple et populismes.
Le défi des réfugiés.
Les Français sont-ils vraiment eurosceptiques ?
Le Traité constitutionnel européen.
Victor Hugo l'Européen.
Jacques Delors.
La crise grecque.
Monde multipolaire.
Tournant historique pour l'euro.
La transition polonaise.
Le Traité de Maastricht.
La débarrosoïsation de l'Europe.
La libération d'une partie de l'Europe.
La parlementarisation des institutions européennes.
Donald Tusk.
Angela Merkel.
La France est-elle libérale ?
Le pape pour le renouveau de l'Europe.
Composition de la Commission Juncker (10 septembre 2014).
Les propositions européennes de VGE.
Effervescence à Bruxelles.
Résultats des élections européennes du 25 mai 2014.
Le Traité de Lisbonne et la démocratie.
Guy Verhofstadt.
La France des Bisounours à l'assaut de l'Europe.
Faut-il avoir peur du Traité transatlantique ?
Le monde ne nous attend pas !
Jean-Luc Dehaene.
Alexis Tsipras.
Débat européen entre les (vrais) candidats.
Les centristes en liste.
Innovation européenne.
Michel Barnier.
Enrico Letta.
Matteo Renzi.
Silvio Berlusconi.
Herman Van Rompuy.
Daniel Cohn-Bendit.
Mario Draghi.
Le budget européen 2014-2020.
Euroscepticisme.
Le syndrome anti-européen.
Pas de nouveau mode de scrutin aux élections européennes, dommage.
Risque de shutdown européen.
L'Europe des Vingt-huit.
La révolte du Parlement Européen.
La construction européenne.
L'Union Européenne, c'est la paix.
L'écotaxe et l'Europe.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170325-europe-traite-rome.html
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/soixante-bougies-de-l-europe-unie-191083
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/03/25/35091154.html