L’exposition Relationnal Undercurrents: Contemporary Art of the Caribbean Archipelago, qui sera présentée à partir de Septembre 2017 au MOLAA – Musée de l’Art Latino-américain, Long Beach, Californie – propose une lecture de la production artistique de la Caraïbe insulaire du vingt-et-unième siècle avec l’archipel comme toile de fond analytique. Inscrite dans le programme Pacific Standard Time de la Fondation Getty : LA/LA initiative, cette exposition se focalise sur une région complexe à définir.
L’exposition structurée en quatre sections, Conceptual Mappings. (Configurations conceptuelles), Perpetual Horizons. (Horizons perpétuels), Landscape Ecologies. (Ecologies et paysages), Representational Acts. (Actes représentatifs) développe une approche archipélique de l’art contemporain caribéen. Ces sections secondaires se rattachent au thème principal des relations sous-jacentes au sein de la Caraïbe insulaire.
Cette exposition itinérante, prévue jusqu’à 2019 sera présentée ensuite à New-York, Miami, à Portland (Maine) et dans le Delaware. Le premier site qui accueillera les quatre – vingt plasticiens contemporains leur consacre une surface d’environ 651 m2. Commissaire de cet événement, Tatiana Flores, universitaire et professeur d’Histoire de l’art a répondu aux questions de Suzanne Lampla.
Engel Leornardo
Antillas
Qu’est ce qui a inspiré le thème et la structure de cette exposition ? Quels supports théoriques et quels auteurs ?
Ce projet fait partie d’une initiative financée par la Fondation Getty de Los Angeles, la Pacific Standard Time LA/LA qui proposera une série d’expositions d’art latino-américain destinées aux musées et aux institutions culturelles du sud de la Californie. Le thème et la structure m’ont été inspirés par mes recherches sur la relation entre la Caraïbe et le concept d’Amérique latine. Mais aussi par mes lectures de grands auteurs caribéens comme Le Discours Antillais (1989), et Poétique de la Relation (1990) d’Edouard Glissant, par exemple, ainsi que les textes de Kamau Brathwaite; et pour la Caraïbe hispanophone, Benitez-Rojo et Silvio Torres-Saillant. A cela s’ajoute une réflexion sur les catalogues d’expositions collectives précédentes, parmi lesquelles Kréyol Factory (Paris, Parc de la Villette, 2009), et surtout, Caribbean : Crossroads of the World (New York, El Museo del Barrio, 2012). Sans oublier l’analyse de Carlos Garrido Castellano, Art, Individu et Société (2013).
Ce n’est pas votre premier projet sur l’archipel Caribéen si on tient compte des deux projets de 2011. En quoi le projet Relations sous-jacentes complète-t-il les précédents ?
En effet, j’ai déjà conçu des expositions relatives à la Caraïbe: Wrestling with the Image: Caribbean Interventions, avec Christopher Cozier pour l’Art Museum of the Americas à Washington, D.C. en 2011 et Disillusions: Gendered Visions of the Caribbean and its Diasporas dans le comté du Middlesex au College Studio en 2011. D’ailleurs, Christopher Cozier expose à nouveau dans ce projet de 2017. Cette exposition vient donc renforcer des relations et relier les mondes divers de la Caraïbe insulaire.
Ernest Breleur
Corps d’artistes
Photo Robert Charlotte
En quoi la Caraïbe insulaire diffère t’elle d’autres archipels qui partagent avec elle une histoire coloniale significative ?
Les îles de la Caraïbe ont perdu leur population indigène lors du processus de colonisation, donc, les populations qui vivent dans l’archipel viennent toutes d’ailleurs, contrairement aux îles du Pacifique, où perdure une forte tradition de marins due à leur héritage ancestral. L’expérience des populations caribéennes diffère fondamentalement de celle des îliens du Pacifique. Pour les Polynésiens natifs, la mer n’était pas un obstacle et les voyages se basaient sur une connaissance millénaire des trajectoires interconnectées entre le déplacement des îles dans la mer et des étoiles dans le ciel. Feu l’universitaire Polynésien, Epeli Hau’ofa soutenait que c’était au colonialisme européen que l’on devait l’introduction du concept d’îles comme étant des entités isolées, et limitées par des frontières.
Ce projet comporte des thématiques diverses et intéressantes: pour le commissaire comment classer cette masse d’informations qui en résulte ? Qu’en est-il de l’équipe qui accompagne ce projet ?
Il s’agit pour nous de présenter une lecture de la Caraïbe qui se démarque des schémas précédents ; l’accent était mis sur l’hétérogénéité d’abord, puis se sont ajoutés la fragmentation et la différence. Il s’agit dans ce projet de souligner au contraire les points similaires et les relations entre les différents espaces insulaires et leurs diasporas, et je bénéficie de l’aide d’une assistante de recherches. En effet, je n’ai rejoint le projet qu’en Novembre 2015, et je travaille avec une co-curatrice , Michelle Stephens.
Jean – Luc de Laguarigue
Sans titre
Nord Plage
Martinique 2003
En ce qui concerne les dates, sites d’exposition et la durée , pourquoi le MOLAA de Long Beach en Californie a-t-il été choisi ?
Il ne s’agit pas vraiment d’un choix, sauf que l’idée me plaisait de montrer une exposition majeure sur l’art caribéen dans un musée qui n’a pas vraiment tenu compte des îles caribéennes non-hispaniques auparavant. Et aussi parce que ce projet aura pour cadre un site de la côte pacifique où on est peu informé sur les histoires et les sociétés caribéennes.
Cette exposition bouscule les limites géographiques et conceptuelles de l’Amérique latine. Une approche insulaire s’étendant à des pays au-delà de la Caraïbe hispanique met en lumière l’exclusion d’autres territoires du contexte régional. L’idée de l’archipélique associe ainsi l’insulaire et le continental, encourageant ainsi le modèle comparatif relationnel que beaucoup d’universitaires caribéens évoquent, à l’instar de la citation aujourd’hui célèbre de Kamau Brathwaite, « l’unité est sous-marine. »
Dans quels autres musées et à quelles dates verra t’on cette exposition?
A New-York, à Miami, à Portland (Maine) et dans le Delaware, mais nous en sommes encore au stade des négociations pour fixer les dates précises.
Ernest Breleur
Corps d’artistes
Photo Robert Charlotte
C’est donc une exposition évolutive : comment et par qui sont décidées les modifications ?
L’exposition et l’installation des œuvres dépendront plus ou moins des contraintes imposées par la taille des musées. Tout dépendra de l’espace disponible dans chacun des musées. Pour ce qui est de l’évolution du projet, des changements ou des œuvres qui seront ajoutées ou supprimées, la liste évoluera en fonction des artistes appelés sur d’autres projets qui doivent récupérer leurs œuvres et des artistes qui rejoindront ceux qui exposent déjà dans la première version
Pouvez-vous citer des œuvres spécialement conçues pour ce projet?
Oui, Jean-Ulrick Désert par exemple, va créer une série de cartes. Nous pouvons aussi ajouter la production de Nayda Collazo-Llorens, intitulée Géo Dis/Connect créée en 2014.
A la suite de cette visite en Martinique, ressentez-vous une spécificité dans la création contemporaine des Antilles francophones ?
On sent l’engagement de certains artistes dû à l’apport du Surréalisme, et aussi quelques références à l’art Français de la période après-guerre. Les visites d’ateliers m’ont permis de découvrir une production très riche, la peinture, le dessin, la photographie, l’installation, la sculpture et la vidéo. Les thématiques aussi rejoignent aussi celles des artistes de la Caraïbe insulaire : le concept de perception, le Réalisme Magique, l’héritage du passé et la plantation, l’horizon et les traditions des Garifunas, la représentation du corps, la thématique du genre et l’engagement féministe.
A votre avis, pourquoi cette région francophone semble-t-elle marginalisée dans l’art caribéen, ou assez peu représentée dans les expositions globales caribéennes?
Des projets tels que Wrestling with the Image présentent une structure différente. Ils sont financés par la World Bank dont ne bénéficient pas les îles francophones, qui dépendent davantage du soutien des structures gouvernementales.
Raquel Païewonsky
Beach/Bitch Balls
2008
Gerard Germain pour Fondation Clément