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Deux productions super-héroïques semblent marquer une étape dans l’évolution du genre cette année : Batman vs Superman en mars dernier, Captain America : Civil War à présent, liste à laquelle on pourra sans doute ajouter X-Men : Apocalypse. Mais alors que Batman vs Superman mettait en scène de manière pompière l’effacement et l’écrasement nécessaires de l’humanité et de la démocratie face aux nouvelles divinités super-héroïques, Civil War propose une vision déceptive du super-héroïsme, déception qui conduit à un retour vers l’homme concret.
Il est fini, le temps des super-héros qui se placent au-dessus des lois pour sauver l’humanité de menaces toutes plus fantasmées les unes que les autres. Est un super-héros celui qui à présent met de lui-même un terme à ses superpouvoirs.
L’équation que formule Vision résume l’inflexion nouvelle qui paraît toucher les nouveaux films de super-héros : depuis que Tony Stark a révélé en public son identité super-héroïque, les êtres exceptionnels se sont multipliés, en même temps que se sont multipliées les menaces et les catastrophes. En somme, le fantasme de pouvoirs aussi grands a pour contrepartie l’invention de menaces tout aussi grandes pour éprouver ces nouvelles divinités. Dans une rivalité planétaire de qui a la plus grosse, super-héros et villains prenaient la Terre entière pour leur terrain de jeux privés.
C’est cette dimension privée de la sécurité planétaire qui se trouve à présent au cœur des critiques super-héroïques. Déjà Captain America : Le Soldat de l’Hiver au sein du Marvel Cinematographic Universe, et plus lointain Watchmen de manière indépendante, mettaient en crise l’association des super-héros et des agences de sécurité secrètes. Il est remarquable de voir que le genre qui a historiquement contribué à sortir la culture américaine du traumatisme du 11 septembre à travers des œuvres comme Iron Man et The Avengers soit celui qui à présent intègre le mieux les exigences démocratiques d’un contrôle des pouvoirs sécuritaires et d’une plus grande transparence des organismes gouvernementaux.
Exiger des super-héros qu’ils se plient à l’ONU fait écho de manière métaphorique aux revendications citoyennes de surveillance plus accrue de l’exécutif en politique.
Mais Civil War ne se contente pas de basculer tout simplement d’une conception religieuse du patriotisme à une représentation idéale du parlementarisme, de la même manière que The Avengers et Iron Man n’avaient pas renié le super-héroïsme intranquille des productions antérieures. La question de la responsabilité personnelle de ses actes qui hante le film de super-héros depuis le fameux slogan de Spider-Man – « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » – resurgit à travers Captain America, qui apparaît de plus en plus comme figure gardienne de la liberté gravée dans la Constitution américaine et par conséquent subversive vis-à-vis de tous les gouvernements qui se chargeraient de la réduire au nom de notre prétendue sécurité.
On pourrait légitimement reprocher au film de trop se focaliser sur les super-héros et de ne pas assez impliquer la société civile dans une guerre dite « civile ». Mais en réalité, elle est civile parce qu’elle implique le déchirant conflit entre la responsabilité personnelle et la responsabilité collective. Plus que politique, le conflit entre super-héros est éthique : il s’agit de définir quelle posture morale apparaît la meilleure dans sa relation au politique.
À une époque où la défiance envers les gouvernements ne cesse de croître, la résistance de Captain America à l’idée de se soumettre intégralement à des institutions dont on ne connaît pas la fiabilité semble plus libertaire que conservatrice. Est-il juste de confier le procès de Bucky, dont le passé de Soldat de l’Hiver n’a pas été de son fait, à une institution qui méconnaîtra d’avance l’histoire personnelle de cet homme instrumentalisé ? Inversement, le choix d’Iron Man de placer sous commandement extérieur les forces super-héroïques, après avoir mesuré l’étendue des pertes humaines que les dernières interventions avaient coûtée, ne se présente pas non plus comme une manœuvre de récupération politicienne, mais avant tout comme une décision morale de ne pas succomber à l’orgueil.
Cette esth-éthique de l’ambiguïté que cultive Civil War, qui interroge les super-héros dans leur psychologie la plus intime avec une grande simplicité, au contraire de Batman vs Superman qui se perdait dans des discours métaphysiques vides de sens, ramène ainsi le spectacle super-héroïque à ce qu’il a de plus humain.
Dans cet effondrement interne d’une mythologie contemporaine et dans la guerre fratricide entre des dieux que l’on croyait monolithiques semble renaître ce que l’on croyait perdu avec la multiplication de films typiques de l’American monomyth : un héroïsme moral, qui s’ouvre à la division, au questionnement, au doute, pour faire le choix le plus juste qui soit.
Captain America : Civil War, d’Anthony et Joe Russo, 2016
Maxime