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Les « Hantises » sensuelles de Pierre Cambon

Publié le 23 mars 2017 par Savatier

Beaucoup d’artistes ont aujourd’hui recours à la création et à l’impression numériques qui offrent une multitude de possibilités plastiques, envisageables dans un temps de plus en plus réduit. Face à ces progrès technologiques, la véritable originalité ne réside-t-elle pas davantage dans la maîtrise de quelques techniques anciennes ? C’est la question que l’on se pose légitimement en parcourant l’exposition « Hantises » qui réunit, jusqu’au 8 avril, de récents travaux de Pierre Cambon à la galerie La Ralentie (22-24, rue de la Fontaine au roi, 75011).

Pierre Cambon réalise des héliogravures ; Nicéphore Niépce mit au point ce procédé (ancêtre de la photographie) dans le premier quart du XIXe siècle. La méthode, longue, complexe, impose une parfaite connaissance des différentes étapes délicates qui la composent, de la prise de vue au passage sous presse. Il faut de la minutie, de la patience dans cette discipline, mais le résultat produit des images d’une qualité inégalée.

Les « Hantises » sensuelles de Pierre Cambon

Les œuvres de cet artiste en sont la preuve. Sans doute son expertise du processus n’y est pas étrangère ; ce sont pourtant bel et bien ses choix esthétiques qui emportent la conviction du regardeur. L’ensemble de l’exposition se focalise sur le corps féminin et sur la thématique classique du nu. Pour autant, la manière dont il traite le sujet, alliant la technique photographique à l’esthétique de la gravure, se démarque de toute approche académique. Sa série « Clémence » n’accorde que peu d’importance au modèle entier ; la focalisation se fait sur des fragments, déterminant une géographie poétique du corps dont un désir contenu dessinerait les frontières.

Plus surprenante est sa série « Les apparantes » ou plusieurs modèles évoluent dans un décor qui rappelle les vastes appartements bourgeois du XIXe siècle : des boiseries couvrent les murs à mi-hauteur, relayées par une tapisserie dont les motifs se retrouvent aussi dans les rideaux ; des sièges anciens et des bibliothèques meublent l’ensemble. L’artiste a-t-il poussé sa composition jusqu’à choisir les titres des ouvrages qu’elles contiennent ? Des livres d’art voisinent avec l’édition de la Divine Comédie de Dante abondamment illustrée au début des années 1960 par Dali et rien ne convient mieux à ces nus diaphanes que de figurer au premier plan devant L’Enfer, Le Purgatoire et Le Paradis

Les « Hantises » sensuelles de Pierre Cambon

Diaphanes, ces femmes le sont, fantomatiques même. Voilà bien ici la source du trouble. Jouant sur les temps de pose, Pierre Cambon parvient à superposer des corps insaisissables, transparents, presque dématérialisés et un décor fixe, bien défini. Adeline se consume dans l’escalier de la bibliothèque, l’ectoplasme d’Aurélie occupe un canapé, des livres traversent le corps de Clémence dont la silhouette s’estompe ailleurs dans un fauteuil, Léa se fond sur le parement de la cheminée dans une gestuelle qui rappelle la crucifixion. L’esprit l’emporte sur la matière sans pour autant la nier car la sensualité est omniprésente, dans un équilibre velouté que l’on sent fragile, laissant l’étrange impression que rien n’est définitif. On pourrait se croire dans un conte fantastique d’Hoffmann ou de Théophile Gautier.

Au cœur de cette dialectique de l’éphémère, à l’esthétique irréprochable, un autre trouble s’installe, qui met en scène deux femmes, l’une debout, l’autre sur le sol, semblant se prosterner devant la première dans une relation qui reste difficile à définir. Delacroix, à propos des Baigneuses du Salon de 1853 qui assurèrent à Gustave Courbet un beau succès de scandale, écrivait dans son journal : « Il y a entre ces deux figures un échange de pensées qu’on ne peut comprendre. » Peut-être refusait-il d’avouer qu’il avait trop bien compris la portée saphique de la scène. Ici, la question se pose dans les mêmes termes : l’interaction des deux figures ne paraît prendre son sens que dans un rapport érotique d’abandon, voire plus clairement de soumission.

Les « Hantises » sensuelles de Pierre Cambon

Le spectateur qui aura déambulé au rez-de-chaussée de la galerie aura tout intérêt à prolonger sa visite dans la cave, où l’attend ce que l’on appelait jadis un « Enfer » (donc, un jardin des délices) regroupant quelques « Curiosa ». S’y trouvent, notamment, deux sexes féminins pris en cadrage serré. L’artiste a choisi de les encadrer derrière une lentille convexe. L’un d’entre eux, accroché au mur, réserve une curieuse surprise : vu de face, se présente un sexe en deux dimensions, remarquablement rendu, mais il suffit au regardeur de se déplacer latéralement pour qu’apparaisse à son œil une image tridimensionnelle, comme si ce ventre offert s’avançait vers lui. Ce jeu optique, qui relève d’une approche assez similaire à l’anamorphose que l’on relève dans Les Ambassadeurs d’Holbein, n’est pas la moindre des singularités de cette exposition.

Illustrations : photos © Galerie La Ralentie.


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