Emporté trop tôt par une crise cardiaque, Larry Brown n'a certainement pas eu le temps d'exprimer la plénitude de son talent d'écrivain. Je n'ai découvert que récemment ce conteur de l'Amérique des démunis et des sans grade, à l'occasion de deux lectures coup sur coup, "Père et fils" et "Joe". Profitant de la récente réédition chez Gallmeister d'un bouquin écrit en 2000, je me suis donc attelé à la lecture de "Fay", 550 pages qui s'intéressent au destin de Fay, jeune femme déjà apparue dans "Joe". Donnant son prénom au roman, Fay est un personnage fort qui découvre la vie en même temps qu'elle découvre les émois qu'elle inspire aux hommes sur sa route. On reconnait tout de suite le style Larry Brown : une écriture qui s'attache à des détails insignifiants de l'existence en réussissant à en extirper la moelle la plus intime pour en faire des épisodes marquants. Plus : des personnages attachants de loosers magnifiques, des paumés qui s'évertuent à vivre malgré l'absurdité de certaines situations et la grossièreté de ceux qui les entourent. Grand médiateur des âmes tourmentées de l'Amérique rurale white trash, Larry Brown promène une nouvelle fois son regard bienveillant sur ces personnages attachants en diable. Peut-être moins économe de moyens qu'il ne l'avait été pour "Joe", ce bouquin-là reste en dessous de celui-ci mais n'en demeure pas moins un très bon roman des oubliés qui s'évertuent à vivre. Le lecteur s'attache à Fay et à son destin, tremblant devant son inconscience mais vibrant en la découvrant prête à tout pour assumer sa vie. Au final 550 pages qui passent à toute vitesse et dont on ressort rasséréné et confiant sur la grandeur de certaines âmes perdues.
Quatrième de couverture : "À dix-sept ans à peine, Fay fuit une vie de misère. Elle s’élance sur les routes du Mississippi pour gagner la mer et un autre avenir. Elle n’a pas mis les pieds à l’école depuis longtemps, ignore beaucoup des règles de la vie en société et ne sait pas vraiment ce que les hommes attendent des femmes. Belle, lumineuse et parfois inconsciente, elle trace sa destinée au hasard de ses rencontres, s’abandonnant aussi facilement qu’elle prend la fuite. Mais cette femme-enfant qui ne réalise qu’à demi l’emprise qu’elle exerce sur ceux qui croisent son chemin, laissera dans son sillage une traînée de cendre et de sang".
Extrait : Fumer à nouveau.En avoir une entre les doigts.Tous les chewing-gums et les bonbons qu'elle s'était mis dans la bouche, puis l'hypnose, à laquelle elle s'était soumise, à Tupelo, et arrêter, arrêter jour après jour, tout ça pour quoi?Pour se retrouver à nouveau avec une cigarette entre les doigts. si on se rendait malheureux en arrêtant, pourquoi arrêter? Et si ça tuait, merde, elle pouvait se tuer sur cette route, cet après-midi, mais ça ne signifiait pas que ça arriverait. On pouvait se faire tuer en traversant la rue. Bon sang, cent cinquante kilos de merde gelée pouvaient tomber d'un avion et écrabouiller dans son fauteuil un type plongé dans la lecture du dernier Danielle Steel. Merde, on pouvait se faire tuer en allant à l'église.Crise cardiaque. Boum! De toute façon,il fallait bien mourir.
Larry Brown - Fay , Gallmeister . 560 pages - 12 €