Vieillissement croissant, et économie dématérialisée. Comment intégrer la population des seniors exclue de cette nouvelle économie digitale ?
En 2020, un Français sur trois sera âgé de plus de 65 ans. Et le pays des « baby-boomers » devenus soixante ans plus tard celui des « papy-boomers », n’est pas le seul exemple qui confirme la règle. Le globe dans son ensemble connaît une vague de vieillissement de sa population. Selon l’OMS le nombre de personnes âgées atteindra les 2 milliards d’habitants d’ici 2050. Simples sont les causes : une explosion démographique qui se double d’une hausse mondiale de l’espérance de vie qui atteint aujourd’hui 71,4 ans. Lourdes, sont les conséquences pour une économie mondiale qui doit répondre aux enjeux de ce vieillissement et faire de la « Silver Economie » une aubaine.
Pour Alessandro Promutico, analyste digital de l’Atelier BNP Paribas : « La ''Silver Economie'' s’est adressée traditionnellement aux personnes âgées, entre 65 et 75 ans qui partaient à la retraite et qui s’intéressaient à l’immobilier et à la succession. Mais l’essor de l’espérance de vie a fait de ces personnes les acteurs d’un dynamisme économique beaucoup plus fort parce qu’ils peuvent démarrer une toute nouvelle vie. À cet âge, la majorité des personnes, ont amassé un capital qui leur permet de réaliser les rêves qu’ils ont consciemment formés pendant leur vie active. C’est se dire en somme, voilà, il me reste une dizaine d’années à vivre, et c’est la dernière chance que j’ai de réaliser mes projets. La Silver Economie est une nouvelle raison d’être qui s’appuie sur de nouvelles ressources financières. »
En miroir de ce phénomène de vieillissement, l’impact du numérique et des nouvelles technologies sur nos sociétés est croissant. Les circuits financiers traditionnels se dématérialisent. Et, dans ce siècle numérique, où une partie de l’économie s’est digitalisée, comment intégrer les seniors dans ces nouveaux circuits financiers ? Car le fleurissement de ces nouveaux dispositifs perturbe les usages d’une population plus habituée aux timbres qu’aux emails. Au billet qu’au bitcoin. Et au-delà de 75 ans, l’espérance de vie prolongée pose des problèmes majeurs : le déclin des capacités cognitives et physiques face à la gestion d’un capital. Par conséquent, l’essor de nouveaux services financiers aidés par la technologie, proposés par la Fin Tech ne créera-t-elle pas des silos financiers en laissant à la marge toute cette frange de la population ? Les services de la FinTech et plus largement des banques, seront-t-ils en mesure d’accompagner le vieillissement de la population et de la protéger contre les abus financiers ?
Une génération de plus en plus connectée
Seniors et technologie : une antinomie ? La fracture numérique, fracture sociale, continue-t-elle d’être une fracture générationnelle ? Petits-enfants connectés, grands-parents débranchés, l’assertion est-elle toujours vraie ? Il faudrait tordre le cou à ces évidences. Car au-delà des clichés, la population des seniors est en demande croissante de connexion. Selon le Baromètre de TNS de 2016 : 69% des seniors français de 55 ans et + possèdent un appareil connecté (smartphone, ordinateur, tablette), quand 39% en détiennent au moins 2. Pour Florence Paour, directrice marketing chez Orange. « On sent une demande croissante dans cette frange de la population. Les personnes âgées ont besoin de rester en contact avec leurs proches, enfants, petits-enfants, de plus en plus équipés en smartphones. Ils ne sont pas forcément réfractaires aux nouvelles technologies ». La même tendance peut être observée de l’autre côté de l’Atlantique, puisqu’en 2014, 77% des seniors possèdent un téléphone, 59% Internet, et 47% une tablette. Et le phénomène croît. C’est la raison pour laquelle tout un secteur de la téléphonie mobile s’est concentré sur cette cible à l’image de l’entreprise suédoise Doro qui a pu concevoir des smartphones spécialisés pour personnes âgées.
Si donc le désir de connexion est réel et qu’une intégration progressive des seniors dans l’écosystème numérique est notable, les seniors sont-ils néanmoins prêts à se servir des bénéfices financiers de ces nouvelles technologies ?
FinTech et Silver Economie : un marché émergent ?
Alors que le microcosme de la FinTech ne cesse de tourner son regard vers les « digital native » et les « millennials », les seniors sont pour le moment très peu intégrés dans ces circuits. Si bien que pourrait se créer à terme une fracture financière générationnelle. Si l’usage des outils FinTech est mineur, il n’est pourtant pas inexistant et croît. C’est ainsi que les États-Unis ont fait le constat d’une augmentation de l’usage de services bancaires en ligne chez les seniors, passée de 5% à 13%, entre 2011 et 2014. « Beaucoup de seniors sont mûrs pour utiliser ces technologies. Il faut juste être capable de bien les accompagner en leur offrant des services dédiés », explique Yves Morel. En outre, Capital One, une banque en ligne américaine a noué un partenariat avec l’OATS (Older Adults Technology Services) et Grovo, adepte du micro-learning, pour développer un outil spécifiquement destiné à l’éducation des seniors face au paiement en ligne. 40 vidéos de 120 secondes leur fournissent toutes les clés de compréhension à l’égard de la Fin tech et des possibilités qui sont les leurs, dans la gestion de leur capital. Pour Tom Kamber, le directeur de l’OATS : « Nous travaillons avec une centaine de personnes âgées qui désirent comprendre comment réaliser des opérations financières en ligne ou sur mobile, mais elles sont effrayées et aucune ressource n’existe pour les aider. » Ken Kido le rejoint sur ce point : « Pour nous, tous les clients ont de l’importance. La génération milléniale a grandi avec la technologie, mais les personnes âgées se retrouvent angoissées à son égard à cause d’un manque de compréhension. Cet outil leur profitera en levant toutes leurs appréhensions. »
Si le marché n’est pas encore là, pour Alessandro Promutico ce n’est qu’une question de temps mais aussi de cible : « Certes, il n’y a aujourd’hui que peu de FinTech qui se positionnent directement autour de cette cible. Mais elles arriveront. Car elle n’est pas si différente de celle des digital natives dans le sens où ils n’ont pas d’obligations, peu de contraintes dans la journée et que leur esprit est tourné vers de nouveaux horizons. La Silver economy pour la FinTech serait de trouver des services à destination des jeunes générations qui pourraient avoir une valeur ajoutée pour les personnes âgées. D’autant qu’il y’a eu un renversement dans la transmission de la connaissance. Les parents transmettent leurs compétences à leurs enfants, puis à un certain âge il y’a un renversement. Les enfants et petits-enfants transmettent à leur tour leur expérience technologique. Les personnes âgées ont plutôt tendance à chercher quelqu’un qui puisse leur expliquer ces nouveaux outils de façon traditionnelle. Mais une fois l’explication comprise, et conscients du gain de temps et d’argent, ils deviennent des utilisateurs à part entière. Car les seniors ont cette valeur de la fidélité que n’ont pas les millenials. Alors c’est sûr, il y ’a un coût économique mais il y a aussi un retour sur investissement très fort, car c’est une cible qui n’est pas volatile. » Et dans la perspective où un marché évoluerait un peu plus en la faveur des seniors, à la question de savoir si des services Fintech pourrait proposer des services financiers inédits à cette clientèle, la réponse d’Alessandro Promutico est la suivante : « A mon avis, ce que fournira la FinTech c’est une facilité d’utilisation. Elle se concentrera sur le terrain de jeu de l’interface, mais ne sera pas en mesure de proposer des services comme des crédits aux seniors. C’est l’acteur traditionnel qui endossera ce rôle. Parce que le capital coûte cher par rapport à sa gestion, aux risques et aux régulateurs. En revanche une banque aura la compétence et la force pour prendre ce type de risque. La banque reste en dernière instance l’acteur de l’intermédiation financière. »
Protéger financièrement les personnes âgées du vieillissement et des abus
Une autre question se pose quand on évoque les seniors, c’est la question du vieillissement et du déclin potentiel des capacités intellectuelles et physiques, une fois passé l’âge des 75 ans. Que ce soit en raison de maladies qui touchent la mémoire, comme Alzheimer, qui mettent les individus dans une position de faiblesse, ou bien de la simple dégénérescence cérébrale liée à l’âge. Pour sûr, les seniors ont été souvent la cible privilégiée d’escrocs, de télémarketeurs astucieux, et arnaqueurs financiers ou même de proches mal intentionnés qui profitent de leur crédulité. Ces derniers n’hésitent pas justement à se servir des ressources nouvelles du numérique pour commettre leurs délits. Phishing, faux virus, messages de détresse, remplacent désormais les démarchages agressifs classiques du porte à porte. Selon l’OMS, 1 personne âgée sur 10 est victime d’abus chaque mois dans le monde. Et sur ces abus, 9,2% sont d’ordre financier. Selon Elizabeth Loewy ancienne avocate à l’unité des Abus des personnes âgées, rattachée au Bureau du Procureur de Manhattan : « L’abus des seniors est la grande épidémie de notre nation. » C’est la raison pour laquelle, l’avocate s’est lancée dans le développement d’un nouveau service, Eversafe qui permet de prévenir les familles des activités suspectes sur les comptes financiers de leurs aînées pour les stopper en amont. Des alertes les informent et des analyses journalières sont réalisées sur les comptes bancaires.
Pour Alessandro Promutico : « Une fois passé 75 ans, le rôle de la banque est de prendre le relai et prévenir les individus de leur baisse des facultés cognitives. Non pas en imposant une date mais en détectant des anomalies et leurs récurrences sur leurs comptes. C’est à partir de ce moment-là qu’il faudrait établir une relation de mentorat avec un conseiller avec qui l’on signerait un contrat de confiance. C’est un rôle que ne fait pas encore le conseiller bancaire. Il ne s’agirait pas de forcer quelqu’un mais de proposer un vrai service de mentoring. Je pense que l’intelligence artificielle a un rôle à jouer. Il y a une palette de datas comportementales captées par les banques. Puisqu’elles ont suivi financièrement tout le long de leur vie ces personnes et connaissent sur le bout des doigts leur comportement financier. 30 ans d’historiques bancaires c’est précieux. Et l’intelligence artificielle sera capable d’analyser les trajectoires des comportements financiers et ses déviances. »
Fi du handicap intellectuel, certaines personnes âgées cumulent un handicap physique auquel il faut trouver une solution : « Avec des maladies comme la maladie de Parkinson, certaines personnes âgées ne sont plus capables de signer des chèques papier ou même de faire une signature électronique. Ils passent par des intermédiaires, ce qui génère chez eux un double sentiment de honte et de frustration. Un service qui proposerait à ces personnes la possibilité de faire des virements grâce à leur empreinte digitale répondrait à leur problème économique et social et leur permettrait de regagner confiance en soi », conclut Alessandro Promutico.
Alors, les futures étrennes des petits enfants s’enverront-elles en ligne ? Nous en sommes loin. Il s’agit plus là d’un enjeu futur qu’une tendance forte. Certes, le vieillissement de la population ne peut se lire sans le miroir de la croissance de la digitalisation, qui posera à l’avenir la question de l’inclusion des personnes âgées, pour éviter de créer une fracture numérique générationnelle. À cela et les banques traditionnelles et les start-up FinTech ont un rôle à jouer dans l’éducation et la protection des séniors, mémoire des temps passés, à la lumière de laquelle il est toujours riche de comprendre un monde en pleine évolution.