[Critique] BRIMSTONE

Par Onrembobine @OnRembobinefr

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Titre original : Brimstone

Note:
Origine : Danemark/France/Allemagne/Belgique
Réalisateur : Martin Koolhoven
Distribution : Dakota Fanning, Guy Pearce, Carice Van Houten, Kit Harington, Emilia Jones, Paul Anderson, Ivy George…
Genre : Western/Drame/Thriller
Date de sortie : 22 mars 2017

Le Pitch :
Fin du XIXème siècle en Amérique : une jeune femme mène une vie plutôt paisible avec son mari et ses enfants, jusqu’au jour où un mystérieux pasteur fait irruption en ville. Un homme qui n’a jamais cessé de la pourchasser depuis l’enfance et qui aujourd’hui, va la forcer à prendre à nouveau la fuite…

La Critique de Brimstone :

On parle volontiers d’un âge d’or du western. John Wayne puis Sergio Leone, Clint Eastwood, Eli Walach, Charles Bronson ou encore John Ford et Steve McQueen en faisant partie. Des acteurs et réalisateurs qui ont défini les contours et inventé les codes d’un genre qui n’en finit plus de fasciner depuis. Y compris ceux qui ont grandi loin de l’Ouest dans lequel évoluent les personnages crépusculaires de ces films légendaires, ayant presque à eux seuls forgé le mythe de tout un pays sujet à bien des fantasmes. C’est le cas de Martin Koolhoven, un metteur en scène néerlandais qui pour la première fois avec Brimstone, qu’il a également écrit, dirige un casting international, dans ce qui s’apparente à une interprétation du western somme toute personnelle mais néanmoins portée par des références solides et identifiables. Un film non seulement impressionnant mais également marquant à plus d’un titre…

La Nuit du Prêcheur

Il était une fois une jeune femme soumise à l’influence malsaine d’un homme violent. Un prêcheur quasiment fantomatique et menaçant, qui avait juré de la poursuivre jusqu’à son dernier souffle… Brimstone évoque bien sûr La Nuit du Chasseur. Pour son homme d’église malfaisant principalement. Un classique parmi les classiques dont Martin Koolhoven parvient néanmoins à se détacher, grâce à un traitement qui dénote du recul inhérent à sa position extérieure. Koolhoven qui n’est pas américain et qui peut donc manipuler des codes tout en leur faisant bénéficier d’un traitement bien à lui. Ainsi, son long-métrage rappelle également des œuvres comme L’Homme des Hautes Plaines et Pale Rider, si ce n’est qu’ici, la figure mythologique aux origines troubles et à la condition toute aussi nébuleuse, est mue par un désir de faire le mal et non le bien. La justice intéresse peu le personnage ô combien traumatisant campé par un Guy Pearce incroyable. Lui, ce qu’il veut, c’est arriver à ses fins, en trouvant la justification de son attitude contre-nature dans une religion qu’il a remodelé à son image. Il prêche la mauvaise parole et le courroux d’un Dieu dont il a corrompu les enseignements. Une figure quasi démoniaque qui jouit d’un liberté inhérente qu’il s’est lui-même accordée, envers le Divin et les hommes.
Hitchcok a un jour affirmé qu’un bon méchant faisait souvent un bon film. Celui de Brimstone est glaçant. Campé par un acteur excellent car complètement investi qui se livre à un exercice parfait d’équilibriste, le pasteur de Brimstone terrifie. Sa voix, son visage buriné constellé de cicatrices et son impressionnante stature font de lui une entité quasi-fantastique. Au fil des minutes, alors que ses motivations se font plus claires, sa véritable condition se perd par contre dans un flou inquiétant qui finit d’inscrire le film dans une logique presque surnaturelle, à la lisière du slasher pour ce qui est du dernier quart tout spécialement. Toutes proportions gardées.

It’s A Man’s World

Brimstone aurait déjà été diablement marquant si il s’en était tenu à cette dimension presque horrifique, en mêlant plusieurs genres au sein d’un univers western. Mais non, il va plus loin. Son discours au fond, s’avère très politique, porté par des thématiques elle aussi impressionnantes de justesse. Comme certains « non-américains » avant lui, le cinéaste se sert du western pour nous parler de l’Amérique. De celle d’hier, peu de temps après sa naissance et de celle d’aujourd’hui. La violence, viscérale et graphique, gore parfois, étant à elle seule une métaphore parfaitement à propos, tandis que l’héroïne campée par Dakota Fanning se pose comme une tragique illustration du sort réservé aux femmes. Brimstone parle de la domination des hommes. De ceux qui en profitent tout particulièrement et qui trouvent toutes sortes de justifications à leurs actes ignobles. Dakota Fanning qui campe une femme muette. Non pas parce qu’elle est née comme mais parce que le monde dans lequel elle fut condamnée à vivre et à grandir depuis son premier souffle, l’a poussée à devoir renoncer à la parole. On voit d’ailleurs le personnage de Carice Van Houten littéralement muselé par son mari. Une image traumatisante particulièrement évocatrice. Brimstone n’a pas peur d’incarner un discours frontal, qui dénonce mais qui rend aussi hommage à une forme brute de résilience. Découpé en plusieurs chapitres, le long-métrage évolue en parallèle de quelques parties marquantes de la Bible, et s’apparente au final à un long chemin de croix. À un calvaire parfois insoutenable, où l’espoir tente bien des percées, mais où les ténèbres ne sont jamais bien loin. Dans les sourires comme dans les larmes de ces âmes damnées, condamnées à ne jamais trouver la paix, perdues dans un univers sans pitié, où le combat et l’acceptation de règles sauvages sont les seules formes de résistance viables.

Nouveau western

Brimstone fait partie de ces westerns conscients de l’héritage que les grands leur ont laissé mais également animés d’une volonté d’aller de l’avant et de bousculer les conventions. Jouissant d’une photographie sublime, ce grand film met en opposition la majesté des paysages et la noirceur des cœurs. Le sang coule au sein de sanctuaires naturels qui font à la fois référence à la religion, qui habite un discours impitoyable en forme de dénonciation sans équivoque des travers et de l’extrémisme, mais aussi à la beauté sans cesse menacée par une laideur motivée par des désirs appelant une violence sourde et en cela franchement malsaine parfois.
D’une complexité folle, qui n’entrave néanmoins jamais la compréhension ou la portée du long-métrage, le scénario aborde beaucoup de sujets et sait conférer à la trame dominante une fluidité bienvenue, elle aussi grandement responsable de l’excellente tenue de l’ensemble. Brismstone qui rappelle des tentatives honorables mais pas aussi abouties comme The Salvation ou Shérif Jackson. Difficile de ne pas penser au tétanisant Bone Tomahawk également, tant le mélange des genres est ici de mise. Deux œuvres qui prennent à la gorge du début à la fin. On tremble devant Brimstone. Les mots hantent autant que les images. L’horreur est tangible, la menace constante et la maîtrise parfaite, au niveau du fond comme de la forme.
Un constat sans appel également valable pour les acteurs. Des comédiens parfaits, que l’on parle des premiers rôles ou des seconds, dans une compréhension totale de la tonalité et des enjeux. Dakota Fanning en particulier livre une performance totalement déchirante. Peut-être son meilleur rôle à ce jour. Face à un Guy Pearce s’imposant d’emblée comme l’un des méchants les plus incroyables de ces dernières années, elle est impeccable. Elle se bat avec la force du désespoir, la majorité du temps sans prononcer un seul mot, s’exprimant avec la force que lui confère son talent et ses magnifiques yeux bleus tachés par l’infamie qui ne cesse de la harceler par le biais d’un véritable monstre ayant pris apparence humaine. Mention pour la jeune Ivy George, excellente (elle est en ce moment dans la série de Jean-Marc Vallée, Big Little Lies) et pour Emilia Jones elle aussi impressionnante. Bien sûr, Carice Van Houten, comme toujours, est irréprochable. Tout comme Kit Harington, son collègue de Game Of Thrones, dont le personnage lui permet de rester dans un registre rugueux, beaucoup plus intéressant que tout ce qu’on lui a jusqu’à présent proposé au cinéma.
De son côté, Martin Koohoven dirige de main de maître, sans céder aux sirènes du cinéma formaté. Son Brimstone, il l’a construit de A à Z et en a soigné tous les aspects. On peut parler de prouesse. D’autant plus qu’on ne l’avait pas vraiment vu venir…

En Bref…
Brimstone est un western parfaitement tétanisant. Une épopée tragique, politique et sauvage, qui réinvente un genre en lui injectant de multiples influences, dans un esprit radical somme toute rare. Le genre de film qui hante longtemps les esprits après la projection et qui, si tout va bien, devrait être reconnu par les amateurs comme le classique instantané qu’il est. D’une violence incroyable, il se fait le vecteurs de thématiques puissantes et propose un spectacle intense, qui dénote parfaitement dans le paysage cinématographique aseptisé d’aujourd’hui. Une claque, une vraie. Qui a dit chef-d’œuvre ?

@ Gilles Rolland

  Crédits photos : The Jokers/The Bookmakers