Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu
se trouvera devant vos yeux. Il ne demande
rien ! Oubliez-le, oubliez-le ! Ce n’est
qu’un cri, qu’on ne peut pas mettre dans un poème
parfait, avais-je donc le temps de le finir ?
Mais quand vous foulerez ce bouquet d’orties
qui avait été moi, dans un autre siècle,
en une histoire qui vous sera périmée,
souvenez-vous seulement que j’étais innocent
et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,
j’avais eu, moi aussi, un visage marqué
par la colère, par la pitié et la joie,
un visage d’homme, tout simplement !
*
A day will come, no doubt, when this poem
will find itself before your eyes. It asks
nothing! Forget it, forget it! It is nothing
but a scream, that cannot fit in a perfect
poem. Have I even time to finish it?
But when you trample on this bunch of nettles
that had been me, in another century,
in a history that you will have canceled,
remember only that I was innocent
and that, like all of you, mortals of this day,
I had, I too had a face marked
by rage, by pity and joy,
an ordinary human face!
***
Benjamin Fondane (Iași, Roumanie, 1898 – Auschwitz 1944) – Extrait de « Préface en prose » – L’Exode (Super flumina Babylonis) (1942) – Le mal des fantômes (Verdier, 2006)
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