Ci-dessous mon texte paru dans la réédition de la biographie de Patrick Pearse par Louis-Napoléon Le Roux, en 2016, par l'ICB (disponible en librairies, diffusion Coop Breizh).
A l'occasion des célébrations du
centenaire du soulèvement de Pâques 1916, en mars 2016, le
Président de la République d'Irlande, Michael D. Higgins a donné
une interview à la télévision publique irlandaise RTE et notamment
exprimé son opinion sur cet événement fondateur de l'Irlande
moderne. A la question de savoir si ce soulèvement armé était
réellement nécessaire, le Président Higgins de rappeler que
c'était grâce aux combattants de l'époque au premier rang desquels
les signataires de la proclamation de la République d'Irlande, que
l'Irlande pouvait être aujourd'hui libre, et que l'ensemble des
Irlandais pouvaient leur en être reconnaissants,
Parmi ces signataires, l'une des
figures les plus marquantes est celle de Patrick Pearse, enseignant,
militant, combattant, intellectuel, porteur d'une force morale
certaine, d'une vision mystique du destin irlandais.
Patrick Pearse que je rencontrais,
si je puis dire, à la fin des années 70 .
Au cours de mon cursus lycéen,
j’eus la chance de passer plusieurs semaines à Dublin et de vivre
la vie d'un lycéen irlandais, chose peu courante à l'époque. Ce
Dublin que je découvrais n'avait pas grand chose à voir avec le
Dublin actuel : alors une ville pauvre, aux quartiers abîmés,
une Irlande qui tentait désespérément de sortir d'une situation
insatisfaisante, une Irlande bousculée par la guerre qui avait
repris en Irlande du nord, des professeurs qui préféraient parler
de Palestine plutôt que de Belfast, une génération d'Irlandais
rejoignant les USA, le Canada, l'Australie... Et moi un peu perdu
dans tout ça, adolescent qui avait découvert quelque temps plus tôt
avec quasi émerveillement ce monde caché de la matière bretonne,
me retrouvait dans un univers tout à la fois proche et lointain,
proche par la géographie, proche par bien des aspects culturels,
mais éloigné , très éloigné du fait de l'économie, de la
politique et de la guerre.
Hébergé dans une famille du sud
de Dublin et dont les plus proches voisins venaient de Belfast avec
le père boitant du fait d'un genou explosé par une balle, j'ai tôt
fait de me plonger avec passion et aussi naïveté dans l'histoire
irlandaise consacrant mes week-ends à partir en train ou en stop
pour visiter Newgrange, Glendalough, Tara ou encore Monasterboice .
En semaine, plutôt que de rentrer dans ma famille hôte qui passait
son temps à se déchirer pour des raisons qui m'échappaient, je
préférais rester jusqu'au départ du dernier bus au pub de la Ligue
Gaélique y rencontrant des personnages hauts en couleur et aussi des
Bretons, des jeunes et des anciens, insoumis ou réfugiés, que
j'écoutais raconter des histoires plus incroyables les unes que les
autres.
Pour donner des nouvelles à ma
famille en Bretagne, j'allais régulièrement à la GPO, la poste
centrale de Dublin, pour passer des appels en PCV , Cette GPO,
haut-lieu du soulèvement de 1916, avec en son centre une petite
statue de Cuchulain , ce héros de la mythologie irlandaise, dont je
dévorais l'histoire. Toujours cette poste où un samedi, je me
retrouvais mêlé à une grande manifestation de soutien aux
prisonniers politiques d'Irlande du nord, et me voilà parti à
suivre le mouvement sans trop savoir qui organisait quoi …...
Que de choses nouvelles, que
d'impressions étonnantes pour le jeune Lorientais que j'étais dont
les connaissances en matière de pays celtiques et particulièrement
d'Irlande se limitaient (et c'était déjà beaucoup) à ce que
présentait chaque année le Festival interceltique et aux animations
du comité Lorient-Galway.
De fil en aiguille, j'explorais à
Dublin les lieux marquants de la révolution irlandaise, me
passionnant pour le renouveau irlandais, rêvant des héros du
soulèvement, maudissant les « Brits », fantasmant sur
une Bretagne qui suivrait l'exemple irlandais , Comme je devais le
découvrir par la suite, le « virus irlandais » m'avait
frappé à l'image de nombreux Bretons depuis un siècle.
Parmi tous ces personnages que
j'admirais tels de nouveaux Cuchulain, c'est la figure de Patrick
Pearse qui me faisait vibrer le plus, sans doute son côté tragique,
romantique, mystique, un peu fou qui résonnait en moi. D'ailleurs,
un petit buste de Patrick Pearse continue à trôner dans mon bureau
bien des années plus tard …..
Ce premier long séjour à Dublin
m'a finalement profondément marqué et l'Irlande reste ma seconde
patrie après la Bretagne. Et par moment, j'aurais même envie de
franchir le pas et d'en faire ma patrie tout court …...
Une dizaine d'années plus tard,
alors que j'avais créé avec des amis, la revue d'histoire Dalc'homp
Soñj, j’eus l'occasion en 1986 d'apporter ma pierre à la mémoire
irlandaise et bretonne en publiant avec l'aide d'historiens bretons
et irlandais un numéro spécial consacré au soulèvement irlandais
de 1916. En travaillant sur le sujet et avec l'aide d' Eamon O
Ciosain, universitaire irlandais et néanmoins excellent connaisseur
de la Bretagne, je découvris un personnage tout à fait étonnant
qui joua un rôle multiple entre l'Irlande et la Bretagne,
Louis-Napoléon Le Roux . Alan Le Cloarec nous présente ce Breton
devenu irlandais et qui travaillait pour des hommes politiques
britanniques, un Trégorrois dont la vie fut un véritable roman qui
mériterait d'être porté à l'écran..
Depuis 1986, j'ai toujours pensé
qu'il serait intéressant de ré-éditer son œuvre principale, la
biographie de Patrick Pearse, restée jusqu'à récemment une
véritable référence en Irlande à tel point que l’État
irlandais a acheté il y a quelques années l'ensemble des archives
de Louis-Napoléon Le Roux. C'est aujourd'hui chose faite, que
l'Institut Culturel de Bretagne en soit remercié.
Outre le travail biographique, il
s'agit aussi d'un témoignage important de l'influence des événements
irlandais de Pâques 1916 sur la Bretagne pour le meilleur et pour le
pire tant dans les domaines politique, culturel, artistique, de
l'entre les deux-guerres jusqu'à aujourd'hui.
Cette ré-édition est l'une des
réalisations de cette année 2016, durant laquelle le Comité
Irlande 2016 a organisé ou mis en valeur près d'une cinquantaine
d’événements organisés en Bretagne autour du centenaire de
Pâques 1916 prouvant une nouvelle fois si nécessaire la profondeur
des liens entre nos deux pays.
Pour conclure cette petite
introduction, je reviendrai aux propos du Président Higgins, qui lui
aussi est un fin connaisseur de la Bretagne et que j'avais eu le
privilège d'accueillir au colloque sur l'année de l'Imaginaire
irlandais en 1996 à Lorient, propos tenus le 27 mars dernier. Dans
l'échange avec la journaliste de RTE, le Président Higgins dit
notamment la chose suivante : « le soulèvement de Pâques
1916 a eu lieu parce que l'Irlande n'était pas libre, sa langue
n'était pas enseignée, son histoire n'était pas enseignée »
.
Jacques-Yves Le Touze
Comité Irlande 2016
http://irlande2016.bzh/