C’est acté : le peuple français, apparemment fan de ballon rond, s’est donc trouvé onze champions pour trotter en formation dans la prochaine élection présidentielle. Vu l’état du pays, il fallait au moins ça et dans ce cadre, le terme de « champions » n’est vraiment pas usurpé.
Oui, je sais que certains m’objecteront avec force la dernière petite phrase de François Hollande, qui serait toujours, selon des rumeurs insistantes, l’actuel président français, et qui a déclaré – très probablement à la suite d’un de ses dîners beaucoup trop arrosés – que, je cite en substance, la France pète la forme après son passage :
Aujourd'hui, ma fierté est de pouvoir remettre à mon successeur un pays plus fort, plus digne, plus soudé, plus cohérent qu'en 2012 #Crolles
— François Hollande (@fhollande) March 18, 2017
Cependant, si l’on reste un peu lucide, force est de constater qu’il faudra bien de véritables champions pour relever le niveau et que, grâce à la belle équipe de pieds bots qui vont tenter de faire du foot présidentiel, on peut d’ores et déjà s’attendre à de grands moments de vie politique française.
Une pré-campagne de haute volée
Il faut admettre que la pré-campagne fut particulièrement agitée et pleine de ces rebondissements qui permettent à chaque citoyen français de se faire une idée précise des tenants et des aboutissants de cette élection.
Ainsi, la presse nous a détaillé par le menu l’ensemble du programme électoral de Fillon, qui se compose essentiellement de CDI pour les femmes mariées, de stages rémunérés pour les enfants, de ponction de 75% sur salaire, de costumes haut-de-gamme et de prêts à taux zéros. Difficile de ne pas adhérer quand s’y ajoute une plus grande souplesse de la justice et une couverture médiatique renforcée.
Le programme de Macron a lui aussi bénéficié d’une analyse détaillée, poussée et chiffrée à tel point que tout le monde est maintenant capable d’en résumer les grandes lignes en quelques mots dans lesquels apparaîtront immanquablement « pensez printemps », « travailler plus pour gagner moins », « culture française » et d’autres concepts dont la solidité et inversement proportionnelle à la place occupée dans les discours du sémillant adulescent. Il est à noter que, comme pour le candidat Fillon, les costumes sont aussi un sujet de préoccupation du candidat qui se dit aussi tout à fait serein face aux t-shirts.
Pour les autres candidats, là encore, on a pu à chaque fois faire son miel des articles détaillés de la presse qui, parfaitement raccord avec ses capacités naturelles à informer un public attentif, aura déployé d’immenses efforts pour se faire tous les jours plus didactique. On ne compte plus les infographies pertinentes mesurant les écarts des programmes économiques de chaque candidat, tout comme se sont multipliées les chroniques intelligentes d’analyses des propositions sociales ou politiques de nos 11 prétendants.
Pour le moment, à l’exception d’organes comme Contrepoints qui se vautrent dans la facilité évidente de détailler la vie intime ou les turpitudes des candidats (comme ici, là ou là), on ne peut que constater que la presse a fait un remarquable travail démocratique en proposant quasiment chaque jour un éclairage nouveau sur chacun des candidats, notamment sur leurs patrimoines financiers, patrimonial ou vestimentaire à partir du moment où leur prénom et leur nom commencent par F, ou en analysant avec recul et déontologie l’engouement que provoque naturellement ces leaders beaux, forts et intelligents dès qu’ils ont un âge inférieur à 40 ans.
Une campagne toute en finesse
Tout ceci concourt à un débat de qualité où, de surcroît, l’humour n’est pas absent ce qui ne gâche rien.
Ainsi voilà Fillon, Macron, Le Pen ou Mélenchon qui s’érigent ouvertement en candidats anti-système. François Fillon est à l’évidence en lutte contre une presse déchaînée contre lui. Emmanuel Macron, lui, sait que n’étant pas issu d’un parti politique traditionnel, ne trouvera que des bâtons dans ses roues. Jean-Luc Mélenchon, lui, s’oppose au système par l’angle de la bienpensance petite bourgeoise étriquée en choisissant de prendre le parti des classes laborieuses. Quant à Marine Le Pen, elle joue bien évidemment la carte du « magic-combo » en rappelant qu’elle a toujours été âprement combattue par les médias, les partis et la bienpensance.
Ainsi, cette élection aura jusqu’à présent permis de complètement renouveler le paysage politique : plus rien ne sera jamais comme avant.
Pensez donc : Fillon n’est entré dans la politique que dans les années 70. Marine Le Pen n’est pas du tout le prolongement de son père, qui a fondé son parti dans les années 70. Mélenchon a su se détacher complètement des rocardiens des années 80 avec lesquels il a pourtant traîné de longues années. Macron est en rupture totale avec son passé gouvernemental à tel point qu’aucun ténor du parti socialiste n’a renoncé à venir le rejoindre prestement dès que son succès médiatique fut acté. Hamon n’est absolument pas l’exemple d’un apparatchik encroûté au PS depuis qu’il fut étudiant, il y a 20 ans. Je passerai pudiquement sur les autres candidats qui en sont tous à leur énième tentative et/ou sont tous issus d’un syndicat, d’un parti, de l’ENA ou d’un mélange de ces éléments dans différentes proportions. Si, en 2012, le changement, c’était maintenant, en 2017, le renouvellement, ce sera avec les mêmes, deux fois, avec beaucoup de sauce.
Dans ce contexte, l’électeur français aura cette joie difficilement répressible de pouvoir, enfin !, choisir entre non pas 50 nuances de gris mais bien 11 nuances d’étatisme plus ou moins raides, fouet et menottes inclus. Difficile de trouver exercice plus subtil et plus rigolo que de sélectionner celui ou celle qui aura l’insigne honneur de mettre définitivement le pays dans le fossé.
Ainsi, le nombre total de candidat permet une juste répartition des temps de parole. Et diviser les deux heures standard d’un débat télévisuel en 11 représente une trivialité mathématique puisqu’il va falloir laisser exactement 10 minutes et 54 secondes à chaque candidat pour exposer son programme, ses idées et ses petites turpitudes. Heureusement que les chaînes de télévision ont trouvé une parade aussi drôle que le reste de cette élection en mettant en place une jolie stratégie d’ostracisation des candidats jugés peu crédibles par leur unique capacité d’analyse (celle-là même qui avait vu le Bremain, Clinton élue, Juppé désigné ou Valls gagnant).
Un élu qui va nous amuser
Tout ceci serait seulement modérément amusant si on oubliait qu’ensuite, des élections prendront place pour de vrai, et qu’un de ces candidats sera effectivement élu Président de la République française. Et là, la plaisanterie passe un cran supplémentaire.
Quel que soit l’élu, aucun ne peut prétendre décrocher une majorité présidentielle stable. Compte tenu de leur passé, de leurs casseroles, des mouvements tectoniques politiques et de la composition actuelle de l’électorat français, tous devront compter sur une majorité au mieux fragile et changeante, au pire d’emblée inexistante. Cohabitation, « ouverture », coalitions, arrangements et surtout bidouillages vont être la norme pour les cinq années à venir.
Alors que le pays est confronté à des menaces économiques, géopolitiques, sociétales évidentes, alors que l’ensemble de la société devrait maintenant s’apprêter à faire front devant des risques multiples et grandissant, l’élu devra composer avec une assemblée fracturée, un pays divisé et l’absolue certitude que ses choix seront systématiquement remis en cause ou bien par la rue, ou bien par les administrations, ou bien par les médias, ou bien par l’appareil politique ou bien par un mélange de ces éléments.
Devant ces éléments, je me demande encore qui peut bien hésiter à aller voter, qui peut encore refuser de participer à cette magnifique mascarade qui se déroulera en pillant son temps, son argent et sa patience. À l’évidence, les cinq prochaines années seront décisives pour la France et on nous propose heureusement une brochette de onze clowns poudrés ou corrompus, aux idées essayées et appliquées avec application depuis 40 ans avec un empilement épique de misère et d’échecs.
Forcément, ça va bien se passer.
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